La Reconstruction

Le Havre

5/5. Reconstruction
réussie ou occasion manquée ?

Face à l’ampleur des destructions, on doit saluer l’effort de reconstruction mené à bien en une douzaine d’années. Néanmoins, pour beaucoup, la Reconstruction fut une occasion manquée. Un débat qui interroge notre conception du rôle de l’État face à la diversité des territoires

S’il est bien naturel de déplorer l’ampleur des destructions et de saluer le gigantesque effort collectif de la Reconstruction pendant la douzaine d’années qui suit la Libération, il faut reconnaître que l’on a trop souvent occulté son volet financier. 

Car ce sont bien des considérations économiques et financières qui expliquent pour beaucoup les déboires de la politique du ‘’tout béton’’ et des ‘’grands ensembles’’ qui s’est développée à partir du milieu des années 50 et qui a prospéré dans les années 60/70.

Au bout du compte, cette Reconstruction a-t-elle été réussie ou n’est-ce qu’une occasion manquée ?  

Le financement de la Reconstruction dépasse les moyens de l’État

Dans son ouvrage, ”la Reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954”, Danièle Voldman tente d’évaluer le montant de l’effort de l’Etat consacré spécifiquement à la reconstruction menée par le MRU. Malheureusement, les documents budgétaires utilisaient des intitulés variables au fil du temps. Mais d’une manière générale, sa conclusion est sans appel : “Après les privations de la guerre, la nation épuisée n’avait pas, seule, les ressources nécessaires au financement de la reconstruction”.

Les pouvoirs publics ont pourtant tous les instruments à leur disposition pour mobiliser des ressources. En témoignent ces publicités :

Danièle Voldman ajoute « Après le succès du grand emprunt de la Libération émis en novembre 1944, qui rapporta rapidement 164 milliards de francs, plusieurs emprunts ont été lancés pour financer une partie de la Reconstruction (…). L’État ne pouvait trouver, par ce biais, suffisamment de prêteurs pour couvrir le financement de la Reconstruction. On décida que les sinistrés se substitueraient en partie à l’État en empruntant pour son compte. La Loi de Finance du 14 mars 1947 prévoyait la création de groupements de sinistrés départementaux ou régionaux ayant pour objet l’émission d’emprunts garantit par l’État » 

A cela s’ajoutent bien évidemment les aides étrangères, en nature ou financières, avec en premier lieu le Plan Marshall.   

A partir de 1950, l’État commença à aider le financement d’investisseurs privés en versant des primes au logement puis en facilitant l’octroi de prêts bonifiés.

Pendant les quelques mois en 1953 durant lesquels il fut ministre, Pierre Courant fit voter plusieurs lois qui eurent par la suite un impact très important sur la politique du logement en France. D‘abord, en permettant à l’État d’exproprier des terrains pour les rétrocéder à des promoteurs privés pour construire des logements. Ensuite en imposant aux entreprises de consacrer 1% de leur masse salariale à l’effort de construction de logements pour leurs salariés.      

L’exemple de l’Unité d’habitation de Rézé

L’exemple de l’Unité d’Habitation de Le Corbusier à Rezé illustre bien les difficultés financières rencontrées lors de la Reconstruction. Comme l’explique Vincent Bertaud du Chazaud : « un premier programme en juin 1950 comporte 351 logements, dont beaucoup de taille moyenne, ainsi que des équipements et services (magasins, boutiques, crèche, garderie d’enfants) répartis sur une rue et en toiture-terrasse, comme à Marseille. Les contraintes budgétaires vont « assécher » ce programme qui devient définitif en mars 1953, trois mois avant le lancement des travaux. Le nombre de logements est réduit à 294, la rue commerçante est abandonnée. En février 1954, alors que le chantier est avancé, il est décidé l’installation d’une école maternelle sur le toit, laquelle est dessinée par un collaborateur de Le Corbusier, Iannis Xenakis.Le prix de la construction est arrêté en février 1953, mais le prêt est insuffisant. Sur les conseils de Chéreau, la Maison familiale met en place un complément de financement original, en faisant participer les locataires sous la forme d’une coopérative. Grâce à un apport personnel et une ponction sur son loyer, chaque locataire devient progressivement copropriétaire dans l’Unité d’habitation ».

Unité d’Habitation Le Corbusier de Rezé – Laurent Etourneau

Reconstruction réussie ou occasion manquée ?

Alors que sous le régime de Vichy, les autorités avaient quasiment imposé le recours à des architectes locaux et l’adoption dans les plans de reconstruction d’une architecture régionaliste, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme et le Comité National de l’Urbanisme n’ont fixé véritablement aucune directive stylistique. Ils ont même encouragé un certain pluralisme esthétique.

La grande majorité des reconstructions s’est faite en adoptant une architecture plutôt classique modernisée matinée de régionalisme, les meilleurs exemples étant sans doute les reconstructions de Caen, de Tours et d’Orléans. Les reconstructions de Gien et de Saint-Malo témoignent quant à elles de la volonté commune des édiles locaux et des pouvoirs publics de retrouver le vocabulaire architectural historique de ces cités sinistrées. Il ne s’agit pas reconstructions à l’identique « comme dans certains quartiers de  Varsovie ou de Saint-Pétersbourg » comme le souligne Gilles Ragot, puisque le remembrement parcellaire, la reconfiguration de la voirie et l’utilisation des procédés constructifs modernes ont profondément marqué ces opérations. 

Finalement, on pourrait dire que Le Havre et Royan, et dans une moindre mesure Sotteville-lès-Rouen, Maubeuge et les Unités d’Habitation de Le Corbusier, sont les seules reconstructions qui véritablement tranchent radicalement avec le tissu urbain préexistant « et qui ont des accents de modernité ».

Retrouver ses souvenirs ou se projeter dans l’avenir ?

Il faut bien comprendre en effet l’impact du traumatisme sur les populations, de la guerre et des destructions qu’elle a provoquées. Il est donc assez normal que les habitants se soient accrochés au fantôme de leur ville détruite, et tenter de la reconstruire telle qu’elle était présente dans leur mémoire, là où les urbanistes et les architectes voyaient dans l’ampleur de ces destructions l’opportunité de reconstruire pour l’avenir.

Aucune des reconstructions n’a été conforme au Plan local de Reconstruction et d’Aménagement initial ayant été approuvé par le MRU et par les élus locaux. Dans chaque ville, que soit pour des raisons techniques ou financières, sous la pression des associations de sinistrés ou compte tenu de la complexité des opérations de remembrement, des ajustements ont été apportés.    

Certaines batailles homériques ont défrayé la chronique (ou suscité les passions). A Saint-Dié notamment face au projet porté par Le Corbusier, finalement rejeté par la population. Au Havre, où les habitants ont contraint Auguste Perret à revoir son plan d’urbanisme initial. Mais l’urgence de la reconstruction a vite eu gain de cause et les municipalités ont toutes validé les projets adoptés par Paris. Le remembrement a néanmoins été massif, divisant parfois par cinq le nombre des parcelles. Cette réduction drastique du nombre des parcelles a été menée à bien tout en conservant l’essentiel du tracé des voies et des places principales.

Une Reconstruction réussie grâce au pragmatisme du MRU

Au demeurant, le pragmatisme du MRU et l’urgence de la situation des sinistrés ont permis de moderniser en profondeur les structures urbaines préexistantes des villes sinistrées sans les défigurer. Des villes repensées, plus ouvertes à la circulation automobile, des logements dotés du confort moderne, des équipements collectifs plus nombreux et mieux adaptés aux exigences de la population, tout en s’inscrivant assez souvent dans un continuum historique. 

Le pragmatisme d’un Raoul Dautry l’a ainsi emporté sur les velléités plus transformatrices d’un Eugène Claudius-Petit. Et Joseph Abram d’ajouter, citant Marcel Lods : « Puisqu’il fallait reconstruire, mieux aurait valu faire du neuf que du vieux, créer du futur, plutôt que reconstituer les vestiges du passé. Ce fut pourtant à cette dernière solution que le gouvernement eut recours et que, suivant l’expression un peu brutale, mais juste, que j’avais employée, la monstrueuses occasion de la guerre fut perdues ».

Joseph Abram souligne que « les décennies qui suivent la Seconde Guerre Mondiale représentent, dans l’histoire de l’architecture française, une période de profonds bouleversements. La modernité triomphante des années cinquante n’a rien à envier à celle héroïque des années vingt. Elle la prolonge et la transforme ». 

Selon Bertrand Vayssière, « la reconstruction française à la suite de la Seconde Guerre mondiale n’a pas vraiment fait preuve d’audace architecturale et urbanistique. Elle a privilégié une modernisation raisonnable qui est le résultat d’un compromis entre ancien et nouveau, le nouveau n’entrant qu’à reculons ». Une modernisation raisonnable dans les centres-villes, mais qui va être malheureusement éclipsée par la construction à la périphérie des villes de ce que l’on appellera assez vite ‘’des grands ensembles’’.      

Et Danièle Voldman de conclure : « dans cette reconstruction des ville, trois histoire se mêlent : celle d’une administration née sous le régime du maréchal Pétain, celle des villes ao long passé, celle des citoyens face à leur État ». Ces villes sinistrées et reconstruites, dont l’architecture a été longtemps victime de préjugés, qui est aujourd’hui encore trop souvent abimée, voire massacrée par ignorance ou délibérément, méritent toute notre attention. Ces villes sont en effet autant de témoignages d’une époque absolument unique, d’un point de vue à la fois technique, culturel et humain.

JL V

Article rédigé en grand partie à partir des documents suivants :

 ‘’La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954 – Histoire d’une politique’’ de Danièle Voldman  487 pages, édition L’Harmattan, 1997 

‘’L’architecture moderne en France’’, tome 2 ‘’du chaos à la croissance 1940-1966’’, de Joseph Abram, éditions Picard, 327 pages, 1999  

‘’L’architecture de la Reconstruction’’, Gilles Plum, Éditions Nicolas Chaudun, 288 pages, 2011

‘’De la  Reconstruction aux grands ensemble – triomphe et déviation du mouvement moderne’’, conférence prononcée par  Gilles Ragot à la Cité de l’Architecture du XXème siècle. 

‘’De la  Reconstruction aux grands ensemble – triomphe et déviation du mouvement moderne’’, conférence prononcée par  Gilles Ragot à la Cité de l’Architecture du XXème siècle.