L’immeuble des Grands Magasins Decré reconstruit à partir de 1949 en lieu et place de l’ancien magasin, œuvre de l’architecte Henri Sauvage en 1931, est moins innovant que son célèbre prédécesseur. Il présente néanmoins des caractéristiques tout à fait intéressantes, et pas uniquement du fait de la présence d’une piste d’hélicoptères.
La famille Decré a toujours su rester à la pointe du progrès depuis le milieu du XIXème siècle, ses magasins étant véritablement une institution à Nantes.
Cet article participe de notre série sur l’architecture commerciale de la Reconstruction et des années 50.
La famille Decré est intimement liée au développement des grands magasins à Nantes et sa région depuis le milieu du XIXème siècle. Jules-César Decré fonde en 1867 le Grand-Bazar Decré situé place du pilori. Le magasin déménage en 1880 pour s’installer à l’angle de la rue Basse-Grande-Rue (actuelle rue de la Marne) et de la rue du Moulin. Grâce à l’acquisition d’immeubles voisins, l’entreprise se développe rapidement, d’autant que son catalogue de vente par correspondance est largement diffusé en Bretagne et en Poitou.
Aussi, la famille Decré décide de solliciter le célèbre architecte Henri Sauvage qui s’était fait remarquer avec la Nouvelle Samaritaine à Paris, pour construire en face du magasin historique, un nouveau magasin totalement révolutionnaire.
Henri Sauvage va concevoir, et réaliser en 100 jours, un immeuble de sept étages. Une ‘’ machine à vendre ’’ de 1.200 mètres carrés tout de fer et de verre, ‘’ transparente le jour comme la nuit ’’ grâce à sa façade vitrée étant suspendue aux sommets de poteaux depuis le cinquième étage. Le bâtiment multiplie les innovations : « Sauvage prend l’air pur au-dessus des toits, et par le moyen de ventilateurs, l’envoie dans un chemin de ronde qui fait le tour du sous-sol ; l’air s’en échappe ensuite par des ventouses ; mais au même montent d’autres bouches aspirent l’air vicié ; et comme la manœuvre est continue, l’air se trouve renouvelé six fois par heure ».
Les Grands Magasins Decré incarnent la réinvention de l’architecture commerciale et de l’urbanisme nantais des années 1930. En plus des surfaces commerciales, ils abritent un cinéma au quatrième étage, un restaurant, un bureau de poste, un manège et un théâtre de marionnettes. Une galerie d’art est également créée, afin de permettre aux clients de « venir former leur goût et développer leur sens de l’esthétisme ».
Cet immeuble est malheureusement totalement détruit le 23 septembre 1943 par des bombardements alliés. Un magasin provisoire rouvre quelques jours après plus tard à deux pas, rue de Briord. Il fonctionnera jusqu’en 1950, le temps de reconstruire le nouveau temple de la consommation nantaise.
Ce sont les architectes Louis-Marie Charpentier, Charles Friesé (anciens collaborateurs d’Henri Sauvage) et Victoire Durand-Gasselin, future épouse de Charles Friesé, qui vont être choisis en 1949 par la famille Decré pour mener à bien ce projet.
Le très grand succès rencontré par l’immeuble construit en 1931 par Henri Sauvage aurait logiquement dû servir de base à la conception du nouveau bâtiment. Mais le nouveau règlement de sécurité de 1942 proscrivait ce mode de construction alliant intimement l’acier, le bois et le verre, et l’existence d’un hall central pouvant générer un effet cheminée en cas d’incendie. Ce même règlement exigeait que les escaliers soient encloisonnés et que les ossatures soient protégées contre le feu.
L’effondrement rapide en septembre 1943 de la structure métallique de l’ancien magasin Decré explique aussi toutes les précautions prises par les architectes lors de la conception du nouvel immeuble. Largement ouverts sur l’extérieur et sur l’atrium central dans le magasin d’Henri Sauvage, les plateaux des étages vont devenir de grandes plateaux fermés doté d’un éclairage artificiel sophistiqué, de l’air conditionné et équipés d’escaliers mécaniques et d’escaliers encloisonnés.
Adapter les principes développés avant-guerre par Henri Sauvage aux conditions nouvelles se révélait techniquement impossible. Le programme du projet lui-même avait besoin d’être remanié : les exigences de la sécurité pour le cinéma amenaient à le placer au rez-de-chaussée – hypothèse incompatible avec l’économie générale d’un grand magasin – le projet de recréer un cinéma fut donc abandonnée. Lors de son voyage d’études au Canada et aux Etats-Unis en 1947, Émile Decré avait toutefois découvert les premiers centres commerciaux. Ses observations sur l’aménagement des rayons et les services proposés aux clients américains vont influencer sa vision de ce que les nouveaux Grands Magasins Decré devaient pouvoir proposer.
Éric Monin dans son étude sur les logiques commerciales développées par la famille Decré cite l’article publié en octobre 1953 dans la revue Bâtir consacré à ‘’ La reconstruction des grands magasins Decré à Nantes’’ et qui souligne l’originalité du projet considéré comme « le plus moderne de ce genre en France » : « Ici, en effet, il n’est plus nécessaire d’établir une communication avec l’extérieur. Les surfaces de vente seront donc rassemblées au centre, dans une atmosphère climatisée et une grande profusion de lumière artificielle, et les nombreux services annexes (petites réserves immédiates, salons d’essayage, bureaux, laboratoires divers pour l’alimentation) seront disposés sur toute la périphérie ».
Sauvage avait utilisé l’acier en façade. N’ayant plus de grandes surfaces vitrées, la façade a été réalisée en béton armée alors que l’ossature intérieure est en acier simplifiant ainsi les problèmes de dilatation. La trame est de 10 mètres sur 6 m 25 avec poteaux intermédiaires en sous-sol et au premier étage, celui-ci étant suspendu au deuxième afin de dégager le rez-de-chaussée. L’ossature est protégée par des enrobages de briques et de staff. Le revêtement de façade en céramique.
Les plafonds sont suspendus à 0,90 m des planchers en béton armé sur des poutres à treillis permettant le passage des gaines de ventilation, de chauffage, des alimentations et des évacuations d’eau, des nappes de fils électriques, et l’encastrement des caissons lumineux.
La terrasse est couverte de dalles posées sur plots permettant l’installation d’un bassin et de plantations, ainsi que d’une aire d’atterrissage pour hélicoptères. La surcharge prévue est de l’ordre de 1.000 kg.
Le chauffage se fait par de l’air pulsé à l’intérieur du magasin, convection dans la zone annulaire grâce à 6 chaudières produisant 2.000.000 de calories en marche normale. Le restaurant possède un triple système : air pulsé, plaques radiantes et radiateurs.
Adapter les principes développés avant-guerre par Henri Sauvage aux conditions nouvelles se révélait techniquement impossible. Le programme du projet lui-même avait besoin d’être remanié : les exigences de la sécurité pour le cinéma amenaient à le placer au rez-de-chaussée – hypothèse incompatible avec l’économie générale d’un grand magasin – le projet de recréer un cinéma fut donc abandonnée. Lors de son voyage d’études au Canada et aux Etats-Unis en 1947, Émile Decré avait toutefois découvert les premiers centres commerciaux. Ses observations sur l’aménagement des rayons et les services proposés aux clients américains vont influencer sa vision de ce que les nouveaux Grands Magasins Decré devaient pouvoir proposer.
Éric Monin dans son étude sur les logiques commerciales développées par la famille Decré cite l’article publié en octobre 1953 dans la revue Bâtir consacré à ‘’ La reconstruction des grands magasins Decré à Nantes’’ et qui souligne l’originalité du projet considéré comme « le plus moderne de ce genre en France » : « Ici, en effet, il n’est plus nécessaire d’établir une communication avec l’extérieur. Les surfaces de vente seront donc rassemblées au centre, dans une atmosphère climatisée et une grande profusion de lumière artificielle, et les nombreux services annexes (petites réserves immédiates, salons d’essayage, bureaux, laboratoires divers pour l’alimentation) seront disposés sur toute la périphérie ».
Émile Decré décide d’installer des escaliers mécaniques au moment où, à Paris, les Galeries Lafayette viennent de remplacer leurs vieilles batteries d’ascenseurs par un réseau d’escaliers mécaniques croisés. Le flux continu des escalators permet d’éviter les temps d’attente devant les ascenseurs. Ils offrent aux clients des vues plongeantes inédites sur les surfaces de vente. Au moment de l’inauguration des escalators des Galeries Lafayette, et en marge des considérations techniques liées à ce dispositif, la revue Bâtir soulignait comment « le transport par cet escalator est une joie pour la clientèle car il permet de magnifiques échappées sur l’ensemble du magasin ».
Autre avantage, et non des moindre pour l’exploitant du magasin, l’utilisation des escaliers mécaniques permet de supprimer l’escalier d’apparat qui prévalait dans les grands magasins traditionnels, et donc de récupérer une surface non négligeable facilement transformée en surface de vente.
Les surfaces accessibles au public sont desservis par un escalier mécanique double pour descendre au sous-sol et un simple situé au centre des plateaux pour monter dans les étages, ‘deux groupes d’ascenseurs aux extrémités des diagonales du bâtiment et des escaliers encloisonnés.
Sous-sol : on trouve au centre du niveau inférieur un bar et un restaurant express, les rayons d’alimentation et des articles de ménage. Sur le pourtour ont été installés la cuisine, la pâtisserie, la boucherie, un studio de photographies, divers ateliers, les réserves ainsi que la chaufferie du bâtiment.
Rez-de-chaussée, 1er, 2ème, 3ème étages : le hall du rez-de-chaussée est d’une hauteur de 6, 50 mètres. Il est accessible par quatre entrées, l’entrée principale se situant à l’angle des rues du Moulin et de la Marne. Le rez-de-chaussée et les trois étages supérieurs sont dédiés aux espaces de vente. Au premier étage dit ‘’mezzanine’’, les clients peuvent trouver notamment des ateliers de décoration et un salon de coiffure. Au deuxième, les rayons de confections, chaussures, et plus généralement tous les produits de luxe. Au troisième, les tissus d’ameublement, et les jouets.
4ème étage : il est occupé par un restaurant panoramique de 500 couverts, de venu rapidement un lieu quasiment incontournable, et d’une terrasse plantée avec un bassin. Mais la grande nouveauté de ces grands magasins vient de l’installation sur une aire renforcée du 4ème étage d’une piste d’hélicoptères.
On est loin de l’exploit de l’aviateur Jules Védrine qui, ayant réussi à faire atterrir son avion sur le toit des Galeries Lafayette le 19 janvier 1919, empocha la coquette somme pour l’époque de 25.000 francs offerte par l’enseigne dans le cadre d’une audacieuse opération promotionnelle.
Cette piste d’hélicoptères veut témoigner du caractère novateur et innovant des Grands Magasins Decré et être l’un des marqueur de sa communication.
Comme l’écrit Charles Rambert pour l ‘Architecture Française : « la piste d’hélicoptères est en quelque sortes la conclusion de l’œuvre. Évocation de l’avenir, elle montre que la direction du magasin et nos confrères ont parfaitement considéré à sa juste valeur le rôle primordial de la nouvelle voie de communication qui, demain, reliera Nantes à la région, aux plages très fréquentées que sont Le Pouliguen, La Baule et Pornichet. Ce qui nous laisse entrevoir l’essor de ce centre d’échanges intellectuels, spirituels et économiques, devant devenir, par sa position géographique, un point de contact de civilisation ».
Élément incontournable de l’architecture du Mouvement Moderne, le toit-terrasse aménagé permet aux clients des Grands Magasins Decré de se désaltérer et de reposer, voire de se cultiver, avant de poursuivre leurs achats.
Cet espace a été conçu dès l’origine pour recevoir des animations variées pour les petits comme pour les grands : des exercices de prévention routière encadrés par les agents de la circulation, des courses de voitures à pédale organisées par l’Automobile Club de l’Ouest, aux expositions consacrées à la conquête spatiale ou à la découverte des fonds marins, en passant par la présentation des nouveaux modèles d’automobiles.
Les Grands Magasins Decré ont été rachetés par le groupe Nouvelles Galeries en 1979, qui lui-même a été racheté en 1991 par le groupe Galeries Lafayette.
L’immeuble a conservé son aspect extérieur d’origine. Le toit-terrasse n’est malheureusement plus accessible. Quant à la piste d’hélicoptère, la Préfecture n’a jamais délivré d’autorisation d’utilisation pour des aéronefs.
Qui sait ce qu’ils deviendront dans les années à venir. Quoi qu’il en soit, les Grands Magasins Decré resteront dans la mémoire des Nantais qui les ont connus comme un temple de la consommation, un lieu incontournable et l’un des témoignages éclatants du dynamisme et de l’esprit d’entreprise.
J-L V
SOURCES :