France

La police militaire au milieu des ruines le 9 août 1944 © Publihebdos

Aunay-sur-Odon, première ville française reconstruite   

Du fait de sa localisation, proche des plages du Débarquement, Aunay-sur-Odon a été entièrement rasée en juin 1944 par les bombardements alliés. Grâce à l’énergie de ses habitants et de son Maire, ainsi qu’au soutien du M.R.U., cette bourgade normande fut proclamée en 1950 comme étant « la première ville française  reconstruite ».

Les Archives départementales du Calvados et celles de la commune ont conservé des documents précieux pour comprendre comment cette reconstruction a été pensée et mise en œuvre. C’est notamment ce que nous vous proposons de découvrir dans cet article.

Lorsque le capitaine Barlow de la 7e division blindée britannique entre un beau jour de l’été 1944 dans Aunay-sur-Odon, il ne peut que constater le désastre : « Jamais je n’ai vu une dévastation égaler celle-ci. À part les quatre murs de l’église et la tour en ruines, rien n’a été laissé debout. Tout est rasé, transformé en poussière. En fait, nous devons lancer les bulldozers à travers les ruines afin de pratiquer un chemin pour nos chars. »

L’église au milieu des ruines © Bruno Lepesqueux
Ce qu’il reste de la rue de Caen © Bruno Lepesqueux

Extraits du Rapport justificatif sommaire 

Ce rapport a été rédigé pour justifier auprès du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme la nécessité de reconstruire rapidement Aunay-sur-Odon et présenter le Plan d’Aménagement et de Reconstruction élaboré par l’urbaniste Alexandre Courtois et qui sera mis en œuvre par Pierre Dureuil désigné architecte-en-chef chargé de piloter toute l’opération.

« Odon est un chef-lieu de canton du Calvados (du canton le plus sinistré du Calvados) situé à 30 km de Vire, à 30 km de Caen, à la limite géologique de la plaine de Caen et du bocage. Il comptait au 16 juin 1944, 1300 habitants dont 1200 dans la ville et 60 répartis dans 20 villages distants de 3 km de l’agglomération principale. 

La ville était bâtie à un croisement de voies de communication importantes se dirigeant vers Falaise par Thury-Harcourt, Flers par Condé-sur-Noireau, Vire, Saint-Lô, Bayeux, Caen, dans une région riche. Elle était une zone d’échanges très active et prospère.

Depuis une vingtaine d’années, elle s’était modernisée, notamment au point de vue de l’hygiène publique. Depuis 1928, un hôpital-hospice avec maternité et maison de retraite avait été bâti. Cet établissement avait en 1943 totalisé près de 60.000 journées de malades. Elle était pourvu d’une station d’eau, de bains-douches publics. Un projet de tout à l’égout était à l’étude ».

Cinq bombardements ont rasé la Ville 

« Ils ont détruit 489 immeubles, les bâtiments publics, l’hôtel-de-ville construit en 1927, l’Église construite en 1896, l’hôpital-hospice sauf la partie maternité. Le nombre des victimes civiles s’élève à 200.

Ce n’est pas la bataille de Normandie qui a détruit Aunay. Les troupes alliées n’y sont passées que du 4 au 7 août. Il n’y avait pas d’Allemands à Aunay, ni dans les environs entre le 10 et le 18 juin, pas d’avantage d’objectifs militaires dans la commune. (…) 

Aunay a été détruit par cinq bombardements du 11 au 15 juin. Le premier bombardement a eu lieu le dimanche 11, causant la mort de 155 civils. Le cinquième, le plus violent, le 15 juin, a causé la mort de 40 civils. Des milliers de bombes de 150 à 300 kg ont détruit ce qui restait des immeubles et creusé près de 4.000 entonnoirs encore visibles dans un carré de 2 km de côté, ravagé les champs, les jardins, détruit les arbres et tué le cheptel. Trois allemands en retraite ont été tués ».

Le bombardement du 14 juin par l’aviation américaine 

Lors de la bataille de Normandie en juin 44, Aunay-sur-Odon constituait un carrefour important au croisement de plusieurs routes. Pour freiner la contre-attaque allemande, les Alliés décidèrent donc d’envoyer l’aviation.

Cette photographie permet de mesurer l’impact des bombardements effectués du 11 au le 15 juin 1944 sur Aunay-sur-Odon. Le bombardement le plus violent fut le dernier. Dans la nuit du 14 au 15 juin, 6.500 tonnes de bombes furent ainsi larguées, causant la mort de 165 personnes.

410 familles totalisant 1200 personnes sont sinistrées totales

« Ces familles ont tout perdu, immeubles, biens mobiliers, moyens professionnels d’existence. Rien n’a pu être sauvé ; l’incendie a détruit ce que les bombes avaient laissé. Les industriels dont les locaux sont détruits ont licencié leurs ouvriers, les commerçants n’ont aucun moyen de reprendre leur rôle de répartiteurs. Les agriculteurs ont perdu leurs moyens de production, détruits ou volés. Les 4/5 du cheptel ont disparu. Il n’y a ni grain, ni fourrage pour les animaux récupérés. 

Du point de vue sanitaire, la situation est grave. Le contre hospitalier n’existe plus ; il faut faire 10 km au minimum pour trouver une pharmacie. 

Et cependant, à l’exception d’une centaine d’habitants demeurés dans les départements d’accueil après l’évacuation forcée du 25 juillet, les survivants sont revenus dans les villages ou les communes environnantes. Ils sont logés dans des maisons partiellement sinistrées dans des conditions antihygiéniques, dépourvues d’objet mobiliers et de linge.

Seule l’Entraide Française est venue à leur secours par des distributions de vêtements qui ont rendu le plus grand service à une population échappée des décombres, avec pour tout bagage, ce que chacun avait sur le dos au moment du bombardement.

La carte des destructions – Archives départementales du Calvados

Dès le 15 août, les services publics, la Mairie, les P.T.T., ont été installés dans un bâtiment partiellement détruit, à l’abbaye distante de 2 km de la ville détruite. Les Contributions Directes, à leur retour, s’y sont installées en septembre. Les écoles ont repris leur activité avec une cantine scolaire, les tables et les bancs des élèves ayant été confectionnés avec des moyens de fortune et des matériaux retirés des décombres. Un marché hebdomadaire s’y tient chaque samedi.

Mais c’est là une situation qui ne peut plus durer.

La population et la municipalité sont unis dans une même volonté d’y mettre fin le plus vite possible. La situation présente est incompatible avec toute vie familiale et collective, avec toute vie économique et normale.

Il faut : 1. RELOGER LES 410 FAMILLES SINISTREES TOTALES. 2. RECONSTITUER, avec le pavillon de la maternité, seul sinistré partiel, un centre sanitaire (médecin, chirurgie, maternité). 3. RECONSTRUIRE une Cité ».

La cité provisoire 

Comme dans toutes les villes sinistrées, l’urgence impliquait à la fois de déminer puis de déblayer les ruines pour dégager les axes routiers, d’une part, et d’installer des logements d’urgence pour héberger les sinistrés et les ouvriers chargés de la reconstruction, d’autre part.

Une cité provisoire va donc être installée au sud de l’ancienne cité d’Aunay-sur-Odon de façon à ne pas empiéter sur le chantier de la nouvelle Aunay-sur-Odon. Elle se compose notamment de vingt maisons données par la Suède en 1948. Cette cité provisoire sera utilisée jusqu’en 1958. Elle sera remplacée par la suite par une caserne militaire. 

Le Plan d’Aménagement et de Reconstruction 

Voici comment a été présenté au Préfet du département, puis au Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme ce projet de reconstruction d’Aunay-sur-Odon :  

« Dispositions générales du projet :  Le projet d’aménagement et de reconstruction dont le plan et le programme est présenté ci-joint, regroupe la cité sensiblement à son emplacement ancien.

” La cité conservera un peu de son aspect précédent ; ce qui évitera aux habitants un dépaysement trop grand. Chacun pouvant se retrouver à un emplacement à peu près le même que celui qu’il occupait avant.Voirie : Les voies sont inchangées quant à leur départ ; elles voient leurs courbes et les dégagements nettement améliorées, surtout en ce qui concernent le chemin départemental de Caen à Vire et celui de Villers-Bocage à Condé-sur-Noireau. (…) Peu de voies nouvelles sont créées. Elles ont pour but, soit de morceler de grandes superficies aptes à la construction, soit de faciliter l’accès au marché “.

Schéma de circulation ancien – Archives du Calvados
Nouveau schéma de circulation – Archives du Calvados

Zonage : Le plan et le programme fixant les règles d’application du zonage prévoit 4 zones qui sont :

1°) La zone d’habitation en ordre continu formant l’ossature proprement dite de la cité. Dans cette zone se trouveront des maisons établies principalement en contiguïté, de commerce, le principaux services et bâtiments communaux.

2°) La zone d’habitation dite individuelle ou en ordre dispersé, comprenant principalement des pavillons individuels destinés à recevoir une famille. Cette zone comprend un secteur qui ne se différencie de l’ensemble de la zone définie ci-dessus que par une occupation d’espace plus grand.

3°) La zone industrielle spécialement définie pour y recevoir les industries placées en 1ère et 2ème classes, ainsi que celles de la 3ème classe particulièrement gênantes. Bien que desservie par une voie donnant accès à toutes les directions, elles se trouvent en dehors des vents dominants passant par la ville. Sa situation à proximité de l’Odon permet l’évacuation facile des eau usées après traitement.

4°) La zone rurale : comprends tous les terrains non compris dans les trois zones précitées. Elle est destinée principalement à l’élevage et à l’agriculture.

Bâtiments et Services Publiques :  L’église se trouve sensiblement à son même emplacement. De même pour les bâtiments de Mairie dont les dégagements sont plus vastes. Les écoles se situent sur le versant est d’Aunay et se trouvent dans le meilleur emplacement de la Ville. Un plateau d’évolution scolaires y est directement rattaché. 

Une salle des fêtes, foyer communal, se trouvent placée non loin des arrières de la Mairie, dans une zone plantée d’arbres. Des bâtiments de Bains-douches et une piscine d’été sont placés dans une zone verte en bordure de la petite rivière de l’Arguet. 

Un marché comprenant un marché couvert et situé à proximité de la rue de Villers et de la route de Vire. Donnant au nord de l’agglomération, sa situation permet de trouver en une de ses extrémités un vaste parc à voitures. 

Une gendarmerie trouve sa place normale à la moitié sud de la Ville, exactement au carrefour de la route de Condé-sur-Noireau et de Thury-Harcourt. L’hôpital hospice reste à son même emplacement mais se voit desservi de trois côtés par des voies. Le cimentière trop exigu est agrandi. Le terrain de sports reste à son emplacement sans modification ».

Plan d’Aménagement et de Reconstruction de janvier 1946  – Archives du Calvados

Plan des îlots – Archives départementales du Calvados

Le Plan de reconstruction prévoit 2 réserves foncières au sud-ouest : l’une pour créer des logements, l’autre pour installer une caserne pour le 8ème escadron à la place des ‘’baraquements des 83 familles’’ 

Les règles d’urbanisme

Ce document du Plan d’Aménagement et de Reconstruction synthétise toutes les règles d’urbanisme applicables à chacune des quatre zones définies ci-dessus.

A suivre …. l’article de Paris Match du 16 décembre 1950 sur la renaissance d’Aunay-sur-Odon

SOURCES :

Nous tenons à remercier tout particulièrement les personnes des Archives départementales du Calvados et de la Mairie des Monts d’Aunay et d’Aunay-sur-Odon pour leur aide et assistance. 

  • Le Catalogue de l’exposition ‘’ Aunay-sur-Odon est aujourd’hui l’image du bonheur, la Reconstruction d’Aunay-sur-Odon ’’ en 2022
  • ‘’ 5 août 1944, « Ici fut Aunay-sur-Odon »’’, Jean Quellien, Ouest-France, 24 mai 2024
  • ‘’ Aunay-sur-Odon est aujourd’hui l’image du bonheur’’, Paris Match, 16 décembre 1950