En 1948, une révolution technique va bouleverser l’histoire de la musique : c’est la création du premier disque 33 tours microsillon.
Cet article extrait du numéro du mois de janvier 1952 de la revue des Arts Ménagers vous dit tout sur cette révolution.
Depuis longtemps déjà la machine parlante est un précieux auxiliaire de la musique. L’enregistrement électrique lui a permis de conserver et de restituer dans toute leur pureté les timbres des instruments et des voix ; progressivement l’échelle des vibrations susceptibles d’être fixées sur la cire s’est allonge, aussi bien dans les graves que dans les aigus, et la fidélité de la reproduction est devenue parfaite. Restait un grief sérieux contre ‘’la musique en conserve’’ : la trop courte durée d’une face de disque dont l’audition ne dépasse guère cinq minutes, oblige à sélectionner arbitrairement un morceau et, par voie de conséquence, à rompre le fil du discours musical ; si bien que les œuvres de vastes proportions, symphonies, concertos, scènes lyriques, apparaissent comme mutilées dans leurs développements.
Ce cauchemar des amateurs de disques sera bientôt une vieille histoire : un nouveau perfectionnement technique permet aujourd’hui, en effet, de porter la durée de l’enregistrement su une seule face de disque de 30 centimètres, à une trentaine de minutes , de sorte qu’une symphonie de Beethoven y tient tout entière ; Du même coup le léger bruit dû au frottement de l’aiguille disparaît : le gain réalisé est donc double. Mais – et c’est l’ombre au tableau – il faut nécessairement modifier la vitesse de rotation du plateau qui était jusqu’ici de 78 tours à la minute.
En outre, il est plus souvent nécessaire de changer la tête du pick-up, trop lourde pour la finesse des sillons. Une explication est ici indispensable : ce n’est pas seulement la moindre vitesse de rotation du disque qui permet l’allongement de sa durée ; c’est aussi une notable augmentation du nombre de spires gravées sur le disque. La vitesse a été réduite à 33 tours et 1/3 à la minute, au lieu de 78 tours. Le ‘’microsillon’’ a porté de 8 à 12 par millimètre le nombre de spires enregistrées, qui, jusqu’ici, était de 3 à 4.
Mais ce gain n’a pu être obtenu qu’en diminuant la largeur du sillon qui est passé de 125 millièmes de millimètre à 85, et sa profondeur réduite de 150 à 75 millimes de millimètre. Ainsi la longueur totale de la spirale tracée par l’aiguille enregistreuse atteint environ un kilomètre sur chaque face de disque long-playing (c’est le nom que les ingénieurs américains ont donné à ces enregistrements de ‘’longue-durée’’, désignés sur les catalogues par les initiales L.P.).
Mais ceci a nécessité l’emploi d’une matière nouvelle pour le pressage des disques, la gomme laque ne pouvant supporter les pressions considérables auxquelles il faut soumettre les disques pour le microsillon. Loin de nuire à leur résistance, le chlorure de vinyle dont on se sert aujourd’hui, se montre pratiquement inusable. C’est donc, en ceci encore une progrès qui a été réalisé. Le gain, du point de vue technique, se traduit ainsi : trois fois plus de spires sur une même face de disque, vitesse de rotation réduite de moitié ; au total : durée d’écoute multipliée par cinq.
Voyons maintenant ce qui concerne le pick-up, car nous n’avons envisagé jusqu’ici que la moitié de la question. Il est impossible d’abaisser au-dessous de 70 tours la vitesse de rotation des moteurs actionnant les tourne-disques jusqu’ici en usage. Force est donc de faire subir une modification aux appareils. Les nouveaux portent une graduations permettant de passer de 33 tours à 45 tours et à 78 tours à la minute. Ceci laisse possible l’audition des disques anciens sur les nouveaux appareils, et l’on conçoit l’importance de ce fait : il eût été déplorable de rejeter les enregistrements antérieurs à la nouvelle invention. Leur nombre est considérable, non seulement chez les collectionneurs, mais encore chez les producteurs, et c’eût été une sorte de vandalisme que de les condamner. D’autre part, il est certain que ce n’est pas en un jour que les fabricants seront en mesure d’assurer le remplacement de tous les pick-up et tourne-disques actuellement répandus dans le monde. Les ‘’matrices’’ de cuivre qui servent à presser les disques sont pour les producteurs un véritable trésor, non seulement en raison de leur valeur vénale, mais peut-être plus encore parce qu’elles conservent l’empreinte de voix qui se sont tues pour toujours, le jeu d’artistes que l’on entendra plus. En outre, le microsillon convient aux ouvrages de longue durée ; mais il est des œuvres courtes, en grand nombre, que l’on n’a point intérêt à enregistrer sur des disques long-playing, car il faudrait en grouper arbitrairement plusieurs pour remplir une face. Il est donc nécessaire de fournir des appareils permettant de faire entendre à volonté les disques à 33 tours, et ceux à 78 tours.
Plus délicate encre est le question des ‘’têtes de pick-up’’. Le microsillon exige que le poids de cet organe soit adapté à la sensibilité du disque, et les anciens sont trop lourds. Certains constructeurs ont fabriqué des pick-up à deux têtes. Les uns placent de chaque côté du plateau un pick-up, l’un pour les disques à long-playing, l‘autre pour des disques à 78 tours. D’autres offrent un pick-up bicéphale à tête réversible ; d’autres enfin des têtes de pick-up pouvant s’adapter sur le bras sans plus de difficulté qu’une prise de courant. Ces appareils ne tiennent pas plus de place que les anciens, ce qui permet une transformation facile et relativement peu onéreuse.
Il va sans dire que le prix des disques long-playing est plus élevé que celui des disques à 78 tours ; mais pas tant qu’on pourrait le croire. Les frais les plus considérables que doit amortir un fabricant de disques sont constitués par l’enregistrement de l’œuvre qu’il grave. S’il s’agit d’un ouvrage lyrique, d’une symphonie avec chœurs, les cachets payés aux exécutants, la location de la salle et du matériel, atteignent des sommes fort élevées.
Mais la clientèle qu’intéresse cette sorte de musique est certes moins étendue que celle des disques de danses. Il s’ensuit que le prix des disques long-playing ne peut être moins de cinq fois le prix des disques anciens. Mais en fait, n’est-ce point dix fois plus de musique qu’on offre – puisque les deux faces d’un disque L.-P. donnent une audition d’une heure ? Si bien que, tout compte fait, cette révolution, si longtemps attendue, ne bouleverse pas les usages. Elle justifie ce mot de Paul Valéry : « L’étonnant accroissement de nos moyens, la souplesse et la précisions qu’ils atteignent, les idées et les habitudes qu’ils introduisent, nous assurent de changements prochains et très profonds dans antique industrie du beau ». Ces changements sont accomplis. Grâce à eux, la musique a cessé d’être un art « momentané ». L’électricité lui a fait don de la permanence et de l’ubiquité.
Arts Ménagers, janvier 1952