Pierre Clément n’hésite pas à affirmer : « La Tour Lopez, bâtiment exceptionnel par ses qualités architecturales, constructives et urbanistiques, l’est aussi comme témoin d’une démarche constructive expérimentale originale, et comme un exemple représentatif des bâtiments les plus remarquables de l’architecture moderne des années cinquante ».
La tour de l’architecte Raymond Lopez aura aussi, malgré elle, déclenché l’une des plus belles polémiques de l‘histoire récente de l’architecture. Heureusement, sa réhabilitation il y a quelques années est en tout point exemplaire (cf. l’article qui lui est tout spécialement consacrée).
L’ordonnance du 4 octobre 1945 qui est à l’origine de la Sécurité Sociale a conduit les différentes caisses professionnelles d’allocations familiales à se regrouper. Ainsi, la toute nouvelle Caisse Centrale des Allocations Familiales se trouva donc dans l’obligation de rassembler sur un même site, l’ensemble des personnes chargées d’en assurer la gestion pour la région parisienne.
Marcel Reby fut chargé de préciser le programme de l’opération, mais c’est Raymond Lopez qui en sera l’architecte, assisté d’Henri Longepierre et de Michel Holley (ce dernier n’ayant au début du projet pas encore obtenu son diplôme d’architecte). Pour cet ensemble immobilier de bureau de 25.000 mètres carrés – qui allait le plus vaste de toute la région parisienne – la Caisse souhaitait « un ensemble fonctionnel, transparent et monumental, à l’image de ce grand service public social »
Mais la tâche n’est pas aisée car le tout doit trouver sa place dans une parcelle triangulaire (au nord du XV ème arrondissement de Paris) attenant aux immeubles déjà occupés certains services des Allocations Familiales. Plusieurs mois vont être nécessaires pour définir l’organisation du dispositif à mettre en place. Cet ensemble immobilier devait pouvoir accueillir 4.500 employés, accueillir simultanément jusqu’à 1.500 visiteurs (employeurs, salariés, indépendants…) venant encaisser des prestations, formuler des réclamations, ou tout simplement se renseigner. Point d’informatique, ni de site internet, mais des milliers de fiches cartonnées et des ateliers de mécanographie.
Raymond Lopez va proposer un assemblage de plusieurs bâtiments qui s’articulent autour d’une barre de huit étages.
A la différence des îlots haussmanniens, les volumes les plus importants se concentrent au centre de la parcelle. Fidèle aux principes de l’architecte moderne, refusant l’alignement sur les rues (Point 27 de la Charte d’Athènes), Raymond Lopez veut construire en hauteur un édifice fonctionnel et transparent, expression même de la modernité du programme. Les travaux débutent en juillet 1955 ; l’ensemble fut terminé en mars 1959.
Afin d’offrir le maximum de luminosité aux espaces de bureaux, les architectes optent pour une structure légère en acier entièrement préfabriquée et assemblée sur le chantier.
Cette ossature métallique – la plus grande de ce type en France en ce milieu des années cinquante – est composée de deux files de poteaux de 9 mètres d’entre-axes, placés au centre tous les 6,60 mètres, qui supportent des poutres en porte-à-faux de 5,5 mètres affinées vers l’extérieur. L’ensemble est couvert par une charpente légère en aluminium à pentes inversées, ce qui permet d’évacuer les eaux pluviales par l’intérieur du bâtiment.
Cette option, en parfaite opposition aux structures habituelles ‘’en cage’’, permet ainsi de libérer les façades des éléments porteurs. Une solution efficace du point de vue fonctionnel, formellement cohérente, et qui se révèle économiquement avantageuse. La structure en porte-à-faux et l’amenuisement vers l’extérieur des flèches permet également d’offrir de vastes plateaux libres facilitant l’aménagement des bureaux et des plafonds légèrement inclinés favorisant l’éclairage naturel. L’absence de poteaux périphériques aurait constitué, par rapport à une construction traditionnelle une économie d’environ 100 tonnes d’acier sur les 1.450 de la structure.
Loin de vouloir cacher l’ossature métallique, les architectes Raymond Lopez et son assistant Michel Holey choisissent d’habiller les poutres de pignons par un capotage de tôle qui reprend exactement leur forme.
Chacun des étages du bâtiment principal de 72 mètres sur 20, est organisé autour d’un noyau central regroupant les ascenseurs, les escaliers, les sanitaires et les équipement techniques. Ce noyau central est entouré d’une coursive périphérique desservant l’ensemble du plateau.
Un ingénieux systèmes de cloisons mobiles permettant de cloisonner les espaces de travail à la demande. Ce dispositif de plateaux de bureaux évolutif pouvant être cloisonné ou laissé en espaces ouverts va populariser un schéma d’organisation des espaces de travail encore très présent aujourd’hui.
Initialement, les façades de l’immeuble devaient être intégralement en verre comme cela se faisait aux Etats-Unis, marquant le caractère avant-gardiste du projet. Le conseil d’administration de la CAF ayant rejeté cette option compte tenu notamment du coût de l’installation d’un système de climatisation, les architectes ont dû trouver une alternative, qui ne s’est jamais révélé vraiment satisfaisante. Un concours fut lancé en 1954 portant sur la fourniture de panneaux opaques, d’allèges et de retombées translucides.
La solution retenue est un ‘’mur-rideau’’ tout à fait innovant constituée d’une grille Wallspan légère en profilés rectangulaires en alliage d’aluminium, suspendue au plancher du huitième et dernier étage et accrochée aux planchers des étages inférieurs. Cette grille étant habillée de panneaux de remplissage Vitrex en polyester stratifié renforcé de fibre de verre Héliotrex et de fenêtres horizontales ouvrant à l’italienne. Un ingénieux système d’accrochage, intégrant un débattement de 25 mm, permet de relier à chaque étage le mur-rideau à l’extrémité des porte-à-faux.
Le polyester armé connaît à cette époque un très grand succès auprès des architectes. Marcel Lods le décrit comme un « matériaux coloré, brillant, inaltérable, mauvais conducteur de chaleur… tout à fait merveilleux… une occasion pour sortir le Bâtiment de son ornière.. ». Matériaux composite extrêmement léger, il semble donner d‘excellentes garanties de durabilité et de résistance au feu.
Au total, la surface couverte sera de 1.500 m2 pour le bâtiment principal, et 2.100 m2 pour les quatre autres bâtiments.
Hélas, ces panneaux expérimentaux s’avérèrent être des accumulateurs de chaleur. Inaugurée le 13 juin 1959, la tour Lopez va bien vite être affublée du surnom peu glorieux de ‘tour infernale’’ en raison des températures insupportables l’été. Pour remédier à cette situation, on posera dès 1960 des pare-soleil en aluminium composés de micro-lamelles horizontales. Mais le problème persiste. Interrogée, une dame aujourd’hui à la retraite et qui a travaillé plus de trente ans dans ces locaux m’a expliqué que la température pouvait devenir insoutenable l’été ; mais très attachée à ces lieux, elle est toute heureuse d’habiter en face.
J-L V.
Articles rédigés à partir des ouvrages suivants :