Les auteurs et les conférenciers ont l’habitude d’expliquer que c’est la découverte du numéro de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui de 1947 consacrée à l’architecture brésilienne qui a convaincu Claude Ferret, André Morisseau et les jeunes architectes qui les accompagnaient d’abandonner la vision classique ‘’Art Déco’’ d’avant-guerre pour opter pour une architecture corbuséenne tropicalisée d’Oscar Niemeyer et de Lucio Costa.
Or, ce n’était pas la première fois que la presse spécialisée évoquait Pampulha et Belo Horizonte.
L’année précédente, Pierre GUEGEN, dans le numéro de septembre de la revue Techniques & Architecture, avait écrit un article dithyrambique sur l’église Saint-François « du jeune architecte Oscar Niemeyer ».
Un article que nous vous proposons de découvrir.
Quelle surprenante architecture ! et puisque plus rien ne nous déconcerte en art, depuis le Cubisme, disons bien vite et haut : quel éblouissement, pour les amateurs, car ici l’originalité sait piéger la beauté. L’église de Pampulha réalise le mariage du tuyau et de la tente ; d’ailleurs, une église surtout toutes en courbes, en arches, en anneaux d’alliance, ne peut qu’unir le ciel et la terre, l’âme et le corps, le tuyau (non pas même le tuyau d’orgues, mais le gros grain collecteur) et les tentes du désert, multiples, groupée, dont le pan de toile touche le sable.
Il est difficile de se détacher de la façade la mieux campée au sens propre précisément ; celle du chevet, car on est pris à la fois par la grande fresque qui l’orne et par la façon simple et magistrale dont la courbe l’encadre. Le charme de cette fresque et avant tout architectural. La peinture est devenue très murale en paroles depuis quelques temps ; il est très rare, qu’elle le soit en fait. Ici, le peintre Portinari a eu un coup de génie mural ; il a ponctué ses graphismes hardis de telle sorte que, sans copier en rien le matériau de brique du mur, il le rappelle, il le transpose, il le fait chanter avec un gai lyrisme de semis.
Mais le coup de génie de l’architecte Niemeyer ne le lui cède en rien et, par l’importance de l’objet le surpasse. Ce jeune architecte a su, profitant des leçons du grand Le Corbusier, édifier pendant la guerre, avec une vibrante équipe le déjà célèbre Ministère de l’Éducation à Rio-de-Janeiro. Et voici qu’au sortir de ce triomphe de la Ligne Droite, de ce parallélisme de casiers, de cette rectitude de classeur géant où s’exprime un cartésianisme monumental, au sortir aussi de l’école corbuséenne, il conçoit un triomphe de la Ligne Courbe, qui est une affirmation de sa propre originalité.
Tout l’édifice est à la gloire de la parabole. On pouvait répondre à ceux qui trouvait l’église du Raincy, de Perret, avec ses claustras si réussis, ressemblait à une gare et non pas à une chapelle, que dans une chapelle on prend ses billets pour le ciel. On pourra répondre à ceux que décevront les parabole de Pampulha, que la forme symbolique convient parfaitement à une église où se commentent les paraboles évangéliques. L’étymologie est la même : ce qui se pose à côté d’une chose et lui ressemble. Notez que cela pourrait être une définition du rythme. Or, si la façade de chevet et si belle à Pampulha, c’est parce que la succession des ‘’tentes’’ gracieuses y est rythmée admirablement. Si je propose du rythme cette définition : une répétition inventive, on la verra aussitôt vérifiée dans les petites arcades qui accompagnent la grande : une d’un côté , deux de l’autre, dans un parfait équilibre.
De côté (en passant par la droite), le bombement des ‘’tentes’’ se fait à deux ‘’tuyaux’’, dont le premier (celui du chevet), ondulé ‘’tuyauté’’ est horizontal au faîte, tandis que le second (celui du porche) en oblique fait cône ouvrant. Cette façade latérale puissante qui évoque un obusier énorme, est décoré sobrement vers le bas d’éléments courbes.
A distance, elle évoque le fameux hangar d’Orly de Freyssinet, maintenant anéanti.
Quand on entre dans le hangar de Dieu, un vigoureux plan vertical sert de porche, qui barre la parabole et se prolongeant sur la droite, raccorde l’église à son clocher, tronc de pyramide ajouté sur un pan gigantesque haut-parleur.
Si simplement majestueuse que soit son entrée, l’église de Pampulha pareille aux églises romanes, n’écrase pas le fidèle. La façade du chevet surtout, à la mesure de l’homme et, par la façon dont elle couvre la terre ; de ses neuves tentes de Jacob, elle est aussi à la mesure de cette terre.
Quand on voit la floraison d’églises neuves poussées depuis 1918 dans les faubourgs et les banlieues de Paris, auprès de Pampulha, si simple et si nouveau, on ne peut s’empêcher de maudire encore davantage les méfaits de l’académisme en liberté dont les poussins patauds voudraient aussi être à la page et n’obtiennent qu’un fatras architectural prétentieux et une décoration criarde à faire grincer les anges. Honneur à la hardiesse des pays jeunes et à des artisans pleins de foi et de dons comme Niemeyer et Portonari.