C'est le progrès

Années 50 : la découverte du crédit à l’électroménager

Les années 50 marquent la révolution des arts ménagers.

De nouveaux équipements arrivent, le plus souvent des Etats-Unis, pour alléger les tâches des mères de famille. Les efforts de rationalisation et d’automatisation ne se limitent pas à l’industrie et à la construction.

Parallèlement, on voit se multiplier de multiples initiatives destinées à aider les plus modestes à acquérir un réchaud, une machine à coudre ou à laver.

Tel est l’objet de cette chronique publiée en mars 1952 dans la revue Arts Ménagers.

Arts Ménagers, mars 1952

Tout d’abord, ce sont les Caisses d’Allocations Familiales qui ont inclus dans leur plan d’action sociale cette fore d’intervention qui n’y était pas expressément prévue : les prêts à l’équipement ménager, destinés à rationaliser le travail domestique et, ce fait, à alléger les tâches de la mère de famille. Les premières initiatives de réalisation ont été prises par les Caisses de la Région Nord : Lille, Cambrai, Maubeuge, Armentières, suivies bientôt de Saint-Etienne, Rouen, Elbeuf, puis par un nombre toujours croissants d’autres Caisses (parmi lesquelles ne figure pas celle de la région parisienne).

Naturellement, seules les familles allocataires peuvent en être bénéficiaires. Le prêt, qui varie entre 30.000 et 50.000 francs, est destiné à permettre l’acquisition d’un certain nombre d’appareils ménagers dont la liste est établie par chacune des Caisses et qui est, en général, à peu près conforme à celle-ci : machines à laver et à essorer, machines à coudre, cuisinières et réchauds, chauffe-eau, aspirateurs, cireuses, réfrigérateurs.

Aucune retenue n’est faite sur les allocations familiales dont le caractère insaisissable et inaliénable doit être respecté et l’allocataire prend simplement l’engagement de rembourser le prêt qui lui est consenti dans un délai de 6, 12, 18 ou 24 mois, selon les cas. En général, il est demandé à la famille un effort initial, par exemple le règlement de 15 à 20% du prix de l’appareil, la Caisse versant à l’allocataire la différence, remboursable par mensualités.

La gestion des ‘’Maisons de la Famille’’

Dans certaines région, à Rouen par exemple, c’est la ‘’Maison de la Famille’’, émanation des ‘’Associations familiales’’, qui assure la gestion du service des prêts pour les Caisses d’Allocations Familiales. « Naturellement,, nous dit la dirigeante, il y a toujours beaucoup plus de demandes que l’on n’en peut satisfaire. Il faut choisir les familles les plus intéressantes, et, de préférence, celles qui comptent au moins deux ou trois enfants. Nous procédons à une enquête d’intérêt social et moral, puis soumettons la demande à une commission d’examen. Pour sauvegarder la dignité du chef de famille, nous lui laissons le soin de payer lui-même le fournisseur. Tout se passe, en général, le mieux du monde. Toutefois, si les mensualités ne nous sont pas remboursées, nous reprenons l’appareil et les sommes déjà versées nous restent acquises comme dommages et intérêts. Pour nous couvrir en cas de décès ou d’invalidité totale du chef de famille, nous demandons aux bénéficiaires des prêts de souscrire une assurance dont la prime est peu élevée. 

Cette précaution supprime en même temps l’appréhension que beaucoup de famille éprouvent au moment de s’engager dans une opération de crédit. Elles sont ainsi garanties par l’assurance et, en cas d’accident, l’appareil leur reste acquis quel que soit e nombre de mensualités restant à payer. 

Elles manifestent toutes un intérêt certain pour ce système de prêt, malgré le taux de 2% qui leur est demandé et qui, d’ailleurs, est le plus souvent compensé par un escompte accordé par les fournisseurs. Nous avons consenti, entre avril et décembre, 82 prêts, qui se décomposent comme suit : 36 machines à laver, 23 machines à coudre, 9 cuisinières, 6 cireuses, 4 réfrigérateurs, 3 aspirateurs, 1 radiateur à gaz.

Publicité Singer de 1952

On ne peut indiquer de façon plus éloquente la place qu’occupe la lessive dans la série de corvées ménagères ».

Si vous êtes membre d’une coopérative

Une autre expérience récente, mais également digne d’intérêt, est celle qui est actuellement tentée par les ‘’Sociétés coopératives de consommation’’ (sociétés dont les bénéfices, comme on le sait, donnent lieu à distribution de ristournes) sous le nom d’Union Coopérative de Crédit Ménager’’, 31 rue de Provence à Paris. Son objet est de faciliter l’installation des ‘’coopérateurs’’ et, en priorité, des jeunes ménages mariés depuis moins de cinq ans, en leur prêtant les sommes nécessaires à l’achat du mobilier, de la literie, des appareils ménagers de leur choix.

Est considéré comme ‘’coopérateur’’ tout membre d’une Société coopérative de consommation, adhérente à l’Union, à condition qu’il souscrive une action et ‘’consomme’’ pour une chiffre annuel minimum de 30.000 francs à sa coopérative. 25% du montant de l’achat doit être payé comptant par le ‘’client’’ au fournisseur de son choix, et l’Union assure directement le versement du solde. Le crédit accordé ne dépasse jamais 60.000 francs ; les remboursement sont échelonnés sur six mois à deux ans suivant l’importance du prêt. Il est demandé un intérêt de 4,5% dégressif, c’est-à-dire qu’il porte le premier mois sur la somme totale, puis on l’applique sur les sommes diminués graduellement des remboursements opérés.

De mai à septembre 1951, l’Union a procédé à l’achat de 49 chambres à coucher (avec sommiers, matelas, draps et couvertures), 35 buffets, 131 chaises, 18 tables de cuisine, 22 cuisinières, 16 réchauds, 23 poêles, 13 machines à laver, 3 machines à coudre, etc…

Bien s’équiper pour mieux vivre

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Ces initiatives sont-elles heureuses et méritent-elles d’être amplifiées ? Nous le pensons, en particulier en ce qui concerne les appareils ménagers, car elles permettent d’appliquer à la vie domestique les progrès de la science et de la technique au même titre que dans l’industrie et par la rationalisation de l’équipement et des méthodes, d’épargner le temps, l’agent et la fatigue.

Or, les jeunes ménages et les familles nombreuses qui sont les plus intéressées à la mécanisation, sont ceux qui disposent du moindre pouvoir d’achat. Telle une petite entreprise qui voudrait produire mieux, davantage et à meilleur prix, qui voudrait s’équiper, mais ne possède pas la trésorerie nécessaire. Le crédit de forme commerciale, tel qu’il est organisé actuellement en France, pratique encore trop souvent des mensualités trop élevées pour beaucoup de familles qui redoutent de s’engager, craignant les risques qui peuvent survenir en cours de remboursement. Il est donc à souhaiter que des organismes désintéressés, et libres d’attaches commerciales, instituent des services de prêts à l’équipement ménager. 

Pensons à l’enseigner à nos enfants

Et parallèlement, pour assurer le succès de l’entreprise et en multiplier les bienfaits, il faut ouvrir un autre chapitre d’action sociale : ‘’l’éducation des familles sur l’art de s’équiper’’. Il ne s’agit pas de détruire systématiquement les techniques traditionnelles, mais de tracer pour les jeunes filles et aussi les jeunes gens auxquels il appartiendra demain d’investir les sommes nécessaires à leur propre équipement domestique, des directives concernant la rationalisation des conditions de travail dont dépendront plus tard, la santé et le bonheur de leur foyer. Bien s’équiper à crédit, formue de l’avenir.

J. JACQUEMIN

Arts Ménagers, mars 1952