Ce groupe d’immeubles HLM est sans conteste l’une des réalisations les plus marquantes de l’architecture du Mouvement moderne en Algérie.
Construit entre 1952 et 1955 par des élèves de Le Corbusier, ce ”village-vertical” haut de 23 étages reprend beaucoup des éléments constitutifs de la Cité Radieuse construite par Le Corbusier entre 1947 et 1952.
Malheureusement, cet ensemble immobilier remarquable ne bénéficie, à notre connaissance, d’aucune protection patrimoniale.
Si le parallèle est évident entre le bâtiment principal de l’Aéro-Habitat et la Cité Radieuse construite par Le Corbusier à Marseille, le projet développé par Louis Miquel assisté de Pierre Bourlier et José Ferrer-Laloë, présente néanmoins des différences notables.
Ces différences tiennent tout à la fois, aux contraintes du terrain, et aux possibilités financières limitées du maitre-d’ouvrage. La Société H.L.M. ”Aéro-Habitat” qui est à l’origine du projet, était une coopérative regroupant des ouvriers et des employés des Ateliers de l’Air. Même si elle s’est par la suite ouverte aux personnels d’autres administrations, ses moyens et ceux des futurs locataires étaient limités. D’où un certain nombre de choix constructifs. Mais il suffit de comparer les Unités d’Habitation construites par Le Corbusier pour reconnaître que le modèle de la Cité Radieuse n’était pas immuable.
Nonobstant ces différences, l’Aéro-Habitat est à l’évidence l’une des réalisations les plus marquantes de l’architecture du Mouvement moderne en Algérie.
Comme l’écrit Vincent Bertaud du Chazaud dans son ouvrage sur l’architecture en Algérie de 1830 à nos jours : “Les immeubles de l’Aéro-habitat seront l’œuvre majeure de Miquel. Il réussit là à réaliser un projet que Le Corbusier aurait pu construire s’il n’avait échoué à convaincre les autorités. L’Aéro-habitat est une bonne synthèse des réflexions du « maître » faite par son élève, à la fois en terme d’urbanisme avec le plan Obus pour Alger, d’architecture et de logement social avec l’Unité d’habitation de Marseille »
La coopérative Aéro-Habitat avait jeté son dévolu sur un terrain au milieu du parc Malglaive, dans le quartier du Telemly. Très bien desservi, il est situé à 1,5 km du centre-ville. Un terrain couvert de magnifique oliviers, mais fortement escarpé avec deux pentes d’environ 45°.
Comme l’ont expliqué les architectes, pour construire tous les logements demandés, ils avaient deux options : soit concevoir « des bâtiments de 3 à 5 étages compris dans les gabarits de la ville et bordant une voirie de desserte classique, soit des bâtiments de faible emprise au sol, c’est-à-dire très élevés, répartis dans le parc. La première solution avait pour conséquence la destruction des arbres existants et la suppression complète de toute végétation ; de plus, elle obligerait à réaliser et entretenir une voirie onéreuse ». Il a donc été décidé d’opter pour la seconde solution.
Compte tenu du nombre de logements à construire (presque trois cents), le projet retenu comportait deux immeubles élevés, situés perpendiculairement aux courbes de niveau, et deux immeubles bas, suivants les courbes de niveau. Ce dispositif permettra de préserver d’importants les espaces libres puisque les surfaces construites ne représentent qu’un cinquième des 15 hectares du terrain.
Ce projet souleva à l’époque de vives oppositions, principalement compte tenu de sa hauteur par rapport aux habitations existantes. Le projet fut néanmoins validé par les Autorités, notamment grace à l’appui de Claudius-Petit.
A. Bâtiment implanté parallèlement aux courbes de niveau ; 3 étages sur rez-de-chaussée.
B. Bâtiment perpendiculaire aux courbes de niveau ; 22 étages avec rez-de-chaussée au point le plus bas de la parcelle et 12 étages sur rez-de-chaussée au point le plus haut.
C. Bâtiment implanté parallèlement : 3 étages sur rez-de-chaussée.
D. Bâtiment perpendiculaire aux courbes de niveau ; 16 étages sur rez-de-chaussée au point le plus bas de la parcelle et 10 étages sur rez-de-chaussée au point le plus haut.
Le plus grand des quatre immeubles (bâtiment B sur le plan-masse) a donc été implanté perpendiculairement à la pente. « En tête de ce bâtiment, un ascenseur de grosse capacité, ouvert au public (donc payant), sorte de tramway vertical, conduit au dixième étage où a été aménagée une galerie marchande. Celle-ci rejoint le niveau du terrain en amont, où une circulation horizontale dessert les autres immeubles ». Des ascenseurs et des escaliers réservés aux seuls habitants de l’immeuble partent de la galerie marchande pour desservir les étages supérieurs.
Le projet final comporte 284 logements allant du studio au 5 pièces, avec une majorité de trois et de quatre pièces. Dans les bâtiments B et D (les plus hauts), les appartements sont des duplex de type F3 ou F4 desservis tous les deux étages par des coursives situées sur la façade nord. Dans les bâtiments A et C qui comportent 3 étages, les appartements sont sur un seul niveau, desservis par des cage d’escalier. Dérogeant au modèle corbuséen de la rue intérieure, la grande majorité des appartements sont donc desservis par des coursives, à l’évidence pour des raisons économiques, mais l’emploi de coursives était courant à l’époque (cf. les immeubles de Jean de Mailly à Sedan et à Toulon notamment).
Les compteurs d’eau, de gaz et d’électricité sont accessibles de l’extérieur. Les salles de bain sont livrées toutes équipées, comprenant une baignoire sabot, un lavabo et un accumulateur d’eau chaude. La cuisine est livrée équipée d’une table de travail avec un évier inoxydable, un garde-manger et un placard double face accessible du séjour.
Bénéficiant d’une double exposition, donc d’une bonne ventilation.
1 : Coursive. 2. Entrée 3. Cuisine 4. Séjour 5. Chambre 6. Salle de bain 7. Toilettes 8. Débarras
On peut lire sur le site Algérie Focus, le témoignage suivant : « l’Aéro-Habitat n’est pas seulement une cité, mais un village, qui s’est malheureusement éteint au fil des années.
Si les nombreux habitants de cet immeuble lui permettent de conserver son identité, ce qui faisait la particularité de cette habitation s’efface petit à petit.
Moins de commerces, des façades qui ternissent, des recoins abandonnés et grignotés par le temps, le charme de la cité s’estompe au grand regret des propriétaires et locataires.
Et pourtant ces quatre tours de béton sont au cœur de l’urbanisme algérien et sans aucun doute l’un des quartiers les plus réputés de la Capitale.
Désormais l’immeuble est moins animé mais a trouvé d’autres ressources. Sa place centrale dans Alger, lui permet de générer des revenus grâce à ses panneaux publicitaires géants qui sont loués à des marques ou encore aux antennes relais d’opérateurs téléphoniques mis en place sur le toit.
« Les appartements souffrent de plus en plus de problèmes d’étanchéité, les fuites d’eau sont courantes. Le gaz et l’électricité présentent également quelques failles, à cause du temps. De telle sorte qu’un important incendie s’était déclenché il y a quelques mois dans la cage d’escaliers.»
La façade est couverte d’assiettes paraboliques et le bâti vieillit. L’État algérien n’a visiblement toujours pas pris, ou voulu prendre, la mesure de la valeur patrimoniale des édifices remarquables construits par la France avant 1962. L’état de l’unité résidentielle Aéro-Habitat en est malheureusement un triste exemple.
Cela est d’autant plus regrettable que Le Corbusier a été profondément marqué dès 1911 par sa découverte de la Casbah et les cités de la vallée du M’Zab. Pourtant l’Algérie aurait les moyens financiers pour protéger ce patrimoine, ou du moins, sensibiliser les populations à le préserver. Heureusement que l’association des résidents fait le maximum avec ses maigres ressources.
JL V
SOURCES :