Les tours du 860-880 North Lake shore drive à Chicago ont marqué un véritable tournant dans l’histoire de la construction des gratte-ciel.
En faisant apparaître très clairement son ossature métallique et ses façades de verre, Mies van der Rohe a défini une réponse constructive qui devient sa marque de fabrique (cf. le Seagram Building qu’il construira à New-York) et qui va influencer l’architecture moderne à travers le monde.
Autre innovation, les deux tours sont gérées par une coopérative depuis 1949 toujours très attentive à la qualité de la vie des résidents et à la préservation de ces bâtiments tout à fait exceptionnels.
Les deux tours identiques de 26 étages chacune sont disposées perpendiculairement l’une par rapport à l’autre afin d’offrir la meilleure vue sur le lac Michigan. Elles sont reliées au rez-de-chaussée par une galerie couverte.
Ce projet immobilier est le second initié par le promoteur Herbert Greenwald et l’architecte Mies van der Rohe. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les besoins en logements sont extrêmement importants aux Etats-Unis. Quelque peu idéaliste, Herbert Greenwald cherche le moyen de construire des logements de qualité à des prix raisonnables.
Mies van der Rohe est convaincu que cela est possible en construisant des immeubles de logements collectifs reposant sur une ossature métallique, des façades composées d’éléments standardisés, et de vastes plateaux ouverts que les résidents privatiseront.
Pour contenir les coûts, la construction va être entreprise sous la forme d’une coopérative (système peu répandu aux Etats-Unis). Les appartements et les garages seront ainsi vendus aux actionnaires-souscripteurs : 6 500 dollars pour les petits appartements et 12.000 dollars pour les plus grands (soit 2.600.000 4.800.000 francs de l’époque). Les occupants devront verser par la suite un loyer complémentaire d’un montant dégressif sur vingt ans couvrant les frais d’entretien, impôts et intérêts.
Confronté à la réglementation anti-incendie, Mies van der Rohe se voit contraint de recouvrir l’ossature métallique d’une couche de 5 centimètres de béton. Pour conserver l’aspect esthétique qu’il souhaitait obtenir, l’architecte va créer une seconde peau constituée de plaques d’acier galvanisé noir mat soudées sur l’ossature sur lesquels viendront s’appliquer des profils en T non porteurs tous les 1,60 mètres.
Sur ces 3 photos, on peut distinguer le montage de l’ossature porteuse, puis celle de l’ossature secondaire (factice), avant de voir le résultat final :
Extérieurement, la structure verticale est rythmée selon une trame de cinq et trois travées, respectivement sur les façades longues et courtes de chacune des deux tours, les poteaux étant séparés de 6,4 mètres.
Chaque travée est composée de quatre panneaux-fenêtres en aluminium, chacun étant composé dans la partie basse d’une fenêtre rectangulaire et dans la partie haute d’une fenêtre carrée en verre blanc. Les menuiseries extérieures sont en aluminium noir mat, comme il se doit.
Les ascenseurs, les escaliers de secours, les paliers et les gaines techniques qui alimentent les pièces humides sont regroupés dans un noyau central. Ceci permet de disposer les appartements à la périphérie du bâtiment. Le cloisonnements des appartements peut donc ainsi évoluer en fonction en fonction des besoins des résidents. On constatera au fil des années que certains appartements seront fusionnés ou redécoupés lors des changements de propriétaires. Le site internet de la copropriété publie ces plans qui mettent en lumière différentes possibilités d’aménagement des logements.
A l’intérieur des appartements, les murs étaient à l’origine blancs et le sol en linoléum sombre.
Soucieux de préserver l’homogénéité esthétique des façades, Mies van der Rohe tint à ce que les résidents soient obligés de conserver des rideaux de couleur pâle ; toutefois une seconde rangée de tringles étaient été posées d’office en second rang pour permettre aux résidents d’accrocher des rideaux de leur choix. Si à l’origine, il avait prévu l’installation d’un système de climatisation intégrée, mais des raisons budgétaires l’empêchèrent.
Voici quelques photos prises à l’époque :
Comme le souligne Peter Carter dans son ouvrage ‘’Mies van der Rohe au travail’’ : « Les moyens financiers, plus que le taux d’occupation du sol autorisé, détermina la surface totale de plancher. Le projet consista à ériger deux bâtiments sur le site afin de tirer le meilleur parti possible de sa situation exceptionnelle. Le nombre d’habitants et la hauteur furent définis en fonction, d’une part des ascenseurs (un ascenseur supplémentaire aurait été nécessaire au-delà de vingt-six étages existants ; et d’autre part des colonnes de fumée (la réglementation de la ville aurait exigé l’introduction d’une colonne de fumée adjacente à l’un des escaliers de secours si le bâtiment avait dépassé sa hauteur actuelle) ».
Reste que cet ensemble immobilier marqua un véritable tournant dans l’architecture de la seconde moitié du XXème siècle. Prenant le contrepied de Louis Sullivan, Mies van der Rohe avait inversé totalement le précepte des fonctionnalistes : ‘La forme découle de la fonction’’ (‘’Form follows function’’). Il alla même jusqu’à déclarer : « Nous faisons une forme pratique et satisfaisante, et nous introduisons les fonctions à l’intérieur. C’est aujourd’hui la façon pratique de construire, parce que les fonctions de la plupart des bâtiments changent continuellement et que les bâtiments ne peuvent pas changer économiquement ».
FICHE TECHNIQUE :
SOURCES :