France

Le haut de la Rue Nationale dans les années 60

La Reconstruction
à Tours

Ville prospère, riche de son passé et de son patrimoine architectural, Tours voit son centre historique sérieusement meurtri en juin 1940, puis en 1943 et en 1944. 

Les projets de reconstruction de l’entrée Nord et de la Rue Nationale vont, dès 1940, être l’objet d’intenses débats. 

La reconstruction du centre de la cité tourangelle va être menée à bien dès la Libération en respectant les formes traditionnelles de l’architecture locale et du classicisme du XVIIIème siècle.

Certains édifices reprennent toutefois de façon surprenante pour l’époque, les canons de l’Art Déco. 

Alors que la ville de Tours s’était développée au cours des siècles sur la rive gauche (au sud de la Loire), Louis XV décide de faire construire un pont sur le fleuve de façon à faire passer la nouvelle route conduisant de Paris à l’Espagne. Il s’en suit le percement à partir de 1773 d’un axe nord-sud traversant la ville qui va être dénommé la rue Royale, et la construction de deux bâtiments jumeaux destinés à marquer de façon majestueuse l’entrée de la ville. Rebaptisée Rue Nationale, elle devient vite une artère commerciale particulièrement animée.

Malheureusement, le 19 juin 1940, les troupes allemandes arrivent par le nord, et leurs obus incendiaires vont détruire ensemble architectural remarquable et déclencher un gigantesque incendie dans une grande partie de la ville de Tours.

Le plan de reconstruction de Camille Lefevre

L’architecte tourangeaux Camille Lefèvre va être chargé en novembre 1940 de définir un plan de reconstruction de l’entrée nord de la ville. Celui-ci propose un projet d’inspiration régionaliste comme le souhaite le régime de Vichy, en réaction au modernisme de l’entre-deux-guerres. 

Voici comment Camille Lefevre décrit la situation en juin 1943 dans la revue Urbanisme : « La rue Nationale reste – faut-il le rappeler- la dominante du problème de la reconstruction de Tours. Quelle émotion, quelles polémiques n’a-t-elle pas suscitées ? (…) Touchée sur les deux tiers de sa longueur – comme la rue Royale d’Orléans – la rue Nationale de Tours devait-elle être reconstruite à sa largeur primitive ou pouvait-on, en frappant les immeubles restants,

compte tenu, d’ailleurs, de certains terrains actuellement libres ou sur lesquels des projets étaient en cours d’étude, augmenter sensiblement la largeur primitive (elle n’étaient que de quinze mètres entre alignements), pour permettre au flot sans cesse grandissant des véhicules de passer plus aisément sans interdire les stationnements ? 

Cette dernière solution a prévalu, sans toutefois qu’on allât au-delà de 25 mètres entre alignements, et sans que de déclarassent convertis les partisans du statu quo ». 

Et il ajoute : « En dehors de la rue Nationale, le projet très mesuré ne comporte qu’un réseau très simple de voies nouvelles reprenant en partie les anciens cheminements commerciaux. Une petite place s’ouvre sensiblement à mi-développement de la rue Nationale, formant repos et permettant le stationnement des voitures ».

L’élargissement de la rue Nationale prévue par le plan de reconstruction de Camille Lefevre suscite en effet de vives polémiques. Sous l’impulsion de Paul Métadier (un pharmacien installé rue Nationale), ses opposants « se battent pour une reconstruction à l’identique de ce chef-d’œuvre de l’urbanisme du XVIIIème siècle, contre sa transformation en ‘’autostade’’ et pour la suppression du tramway ». 

Le plan de reconstruction de Camille Lefevre – Urbanisme, juin 1943

Le plan de reconstruction de Camille Lefèvre est finalement approuvé par le Commissariat à la Reconstruction Immobilière en juillet 1943, mais il ne pourra être mis en œuvre devant la persistance des oppositions locales et comme pratiquement tous les plans de reconstruction élaborés durant l’Occupation, par manque de moyens financiers, de matériaux et d’équipements. 

En 1943, mais surtout en août 1944 au moment de la Libération, « la ville connut de nouveaux bombardements qui détruisirent un peu plus la rue Nationale, le quartier de la Résistance, et le Champ Girault, plus au sud avec les installations ferroviaires ». Ce sont au total environ 8.000 bâtiments qui ont été totalement détruits ou sérieusement endommagés durant le conflit.

Le plan de reconstruction de Jean Dorian

En juillet 1944, Jean Dorian, qui avait précédement travaillé avec Camille Lefevre, est nommé par le MRU urbaniste-en-chef en charge de la reconstruction de Tours. Reprenant les orientations du plan de Camille Lefevre, notamment l’élargissement de la rue Nationale, le plan proposé en 1946 par Jean Dorian est beaucoup plus ambitieux. L’urbaniste prévoit notamment la création d’un boulevard circulaire, dans le quartier Nord détruit, une série d’îlots et d’une place rectangulaire (cf. notre article sur la place de la Résistance), la réaffectation des terrains militaires en quartiers de compensation pour loger les sinistrés. 

Surtout Jean Dorian propose de créer un nouveau quartier en plein centre-ville sur les terrains censés être récupérés sur la gare et les installations ferroviaires qui ont été la cible d’intenses bombardements en août 1944 (correspond sur le plan au triangle isocèle vert foncé dont la base est légèrement arrondie N.D.L.R.).

Jean Dorian reprend ainsi la proposition des urbanistes Agache & Saunier dans leur Plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension de 1930, mais qui avait jugé à l’époque trop ambitieux.

Jean Dorian justifie ainsi son projet dans le numéro de juillet 1946 de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui : « Les destructions permirent d’envisager le déplacement de la gare et de supprimer les raccordements avec Saint-Pierre-des-Corps et la ligne de Nantes. Les différentes solutions étudiées en accord avec la SNCF, permirent de définir finalement l’emplacement futur de la gare.  Cette solution, libérant une grande superficie occupée primitivement par toutes les installations ferroviaires permit d’envisager un desserrement et un relogement facile des sinistrés et d’assurer des liaisons entre les différents quartiers de Tours (…) La gare de passage remplaçant la gare en cul-de-sac, sera située au bout d’une longue allée bordée d’un tapis vert et la reliant avec la Préfecture et le centre la ville.  Sur ce quartier s’élèveront des bâtiments de deux types différents au milieu des espaces verts ; les uns n’ayant que quatre étages et les autres s’élevant au-dessus de ces constructions, de façon à permettre d’avoir des vues panoramiques sur les vallées de la Loire, du Cher, vers les Châteaux d’Ambroise et de Chenonceaux, vers Luynes, Longeais et Villandry ».

Le plan de reconstruction de Jean Dorian © Archives municipales

Pierre Patout et la reconstruction de l’entrée nord

Pour reconstruire l’entrée nord de la ville, le M.R.U. décide en juillet 1947 de faire appel à l’architecte parisien Pierre Patout, nommé architecte-en-chef en charge de la reconstruction du quartier nord. Après de nombreuses recherches, il finira par proposer de repousser l’entrée de la rue Nationale au niveau de l’église Saint-Julien (qui a miraculeusement échappé aux bombardements). 

Comme le souligne Gilles Plum, « la rue Nationale ne pouvant être élargie dans sa partie sud, une sorte d’entonnoir s’esquisse entre la place et ce rétrécissement. Plutôt que de le subir comme un défaut, Patout le renforce pour ouvrir au maximum la ville sur le fleuve, qui constitue à cet endroit un très bel espace naturel. Pour cela, il élargit le premier tronçon de la rue partant du fleuve, au nord, et le borde de constructions en simple rez-de-chaussée, couvertes en terrasse et à usage de boutiques ».   

Tout en conservant le principe des deux pavillons jumeaux qui marquaient l’entrée de la rue Nationale, il préfère les repousser plus à l’est et plus à l’ouest. Le pavillon reconstruit côté Est accueille désormais la bibliothèque municipale depuis 1957. Le palais des congrès qui était prévu être construit côté Est n’a jamais vu le jour.

La maquette du projet en 1949 © Archives municipales

La reconstruction de l’entrée de ville avec la nouvelle place Anatole France, notamment du fait de son caractère inachevé et des différences de niveaux que les différents aménagements qui ont été entrepris depuis, n’ont pas vraiment su régler, laisse toutefois un impression plus que mitigée. Un sentiment de vide qui fait forcément regretter l’architecture classique magnifiquement ordonnancée de la fin du XVIIème siècle.

La Rue Nationale

Les six îlots (E,M,P,I, H et G) qui bordent la Rue Nationale respectent un même ordonnancement architectural avec un bâti très homogène de part et d’autre, comprenant un rez-de-chaussée dédié aux commerces, trois étages légèrement en retrait et des toits en ardoise. S’y ajoutent, six pavillons d’angle construits sur un plan carré.    

Reprenons les mots de Gilles Plum pour décrire les façades des nouveaux immeubles de la rue Nationale : « blanches et lisses, sans encadrement de fenêtres, elles peuvent rappeler l’architecture des années 1930, comme celles de la rue du Calvaire à Nantes. Mais il cherche à s’intégrer dans le bâti existant et à rendre hommage au classicisme du XVIIIème siècle. Il adopte donc des toitures en ardoises et des travées régulières de fenêtres verticales reliées entre elles par un léger retrait de la surface du mur. (…)

Le haut de la Rue Nationale (Carte postale des années 60)

L’extrémité inférieure des toits arrive juste à l’affleurement de la façade, sans partie débordante et sans corniche marquée. (…) La rue est rythmée à certains de ses angles par de hauts pavillons de plan carré dont la toiture forme une pyramide. Sur la place, les angles ne sont pas marqués mais les longues façades sont légèrement animées par quelques avant-corps qui n’interrompent pas, néanmoins, la continuité de la toiture ».

Les modifications apportées au plan Dorian 

Outre la création de la place Anatole France pour dégager l’espace entre le fleuve et l’entrée de la rue Nationale, plusieurs modifications importantes sont apportées au Plan de Jean Dorian. 

La configuration des îlots initialement prévus est sensiblement modifiée. Comme le souligne les auteurs de l’étude réalisée sur les secteurs urbains de la Reconstruction de Tours à l’occasion de l’Inventaire général, « Si la rue Nationale, qu’il était question d’élargir, conserve finalement sa largeur d’origine, de nouvelles rues et places sont créées (rue des Déportés ou place de la Résistance par exemple), tandis que d’autres disparaissent (rue Banchereau au sein de l’îlot ABC). Les premières viennent créer des aires de respiration dans une zone préalablement très dense, tout en permettant la construction d’îlots aux surfaces conséquentes ».

Comme à Orléans, le projet de transfert de la gare hors du centre-ville est assez vite abandonné.

Vue aérienne en 1946 du quartier Nord en ruines, l’îlot D est terminé, le L en chantier  © photo Robert Arsicaud, Archives municipales 

La bibliothèque

Œuvre des architectes Pierre Patout, Jean et Charles Dorian, la bibliothèque municipales a été conçue comme un véritable signal pour marquer l’entrée de la ville. Bien que construite au début des années 50, ses formes géométriques (un cube surmonté d’un toit pyramidale), sa corniche proéminente, ses grandes baie vitrées, son escalier monumental ne sont pas sans rappeler l’architecture Art Déco d’avant-guerre. 

Bibliothèque municipale en 1965 – Fonds MRU

L’école des Beaux-Arts

L’école des Beaux-Arts reconstruction par les architectes Pierre Patout, Jacques, Pierre et Maurice Boille, en 1958 a, lui aussi beaucoup de similitudes avec l’architecture d’avant-guerre. Il s’agit d’un bâtiment rectangulaire de plus de douze mètres de haut recouvert de dalles en pierre et percée de grandes baies vitrées sur toute la hauteur, et d’un second bâtiment plus petit décalé par rapport au premier. 

Suite à l’installation de l’école dans les bâtiments réhabilités de l’ancienne imprimerie MAME, l’édifice est reconverti et agrandi par les architectes Francisco et Manuel Aires Mateus pour abriter le centre de création contemporaine Olivier Debré.  

École des Beaux-Arts en 1965 – Fonds M.R.U. 

La place de la Résistance

Après la destruction du quartier nord en juin 1940, les terrains compris entre les rues du Commerce et des Halles ne sont plus qu’un vaste champ de ruines. Créée ex-nihilo, la place de la Résistance se présente comme la première réalisation de ce Tours nouveau. Le plan carré symétrique et l’ordonnance architecturale rappelle les places royales du XVIIème siècle, sur le modèle de la place des Vosges à Paris. Seules les portes d’entrée des immeubles, toutes différentes, viennent nuancer l’architecture très ordonnancée. 

© Archives municipales de Tours, fonds Henri Goarnisson 

JL V

SOURCES : 

  • ‘’Secteurs urbains de la Reconstruction de Tours’’, Inventaire général, Patrimoine Centre Val de Loire, Marie-Luce Fourchet, Hugo Massire, 2011.https://patrimoine.centre-valdeloire.fr/gertrude-diffusion/dossier/IA37004977
  • ‘’Le Haut de la rue Nationale, tome 2, Destruction et reconstruction’’, Agence d’Urbanisme de l’Agglomération de Tours, 2010
  • ‘’L’entrée nord de la ville de Tours, un enjeu majeur d’urbanisme depuis le XVIIIe siècle’’, Jean-Luc Porhel, Conservateur en chef du patrimoine. Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques, 2013
  • Le blog d’Éric Caillé Ambroise et Touraine Balades : http://amboiseettouraine-balades.blogspot.com/2014/12/tours-haut-de-la-rue-nationale.html       Insérer le lien internet
  • ‘’L’architecture de la Reconstruction’’, Gilles Plum, Éditions Nicolas Chaudun,2011, 288 pages
  • ‘’Projet de reconstruction de la ville de Tours’’, Camille Lefevre, revue Urbanisme, juin 1943
  • ‘’Tours’’, revue L’Architecture d’Aujourd’hui, juillet 1946