France

La Résidence du Parc, architecte : André Lurçat

André Lurçat, architecte à Maubeuge 

Pour faire face à la situation d’urgence des sinistrés dans les villes les plus meurtries par la guerre, le M.R.U. va décider dès 1946 de lancer la construction de logements préfinancés par l’État, sans attendre la fin des opérations de remembrement.  

Maubeuge va bénéficier d’un crédit de 120 logements qui vont être utilisés dans deux opérations immobilières situées sur des terrains disponibles en dehors de la ville intra-muros.

Avec la Résidence du Parc, ce seront les premières réalisations d’André Lurçat comme architecte à Maubeuge.

Les 50 maisons, ”Immeubles à Destination Transitoire’’ (I.D.T.) 

Fin 1945, le projet doit porter sur la construction de 100 maisons ‘’à Destination Transitoire’’, 50 en bordure de la route de Valenciennes, les 50 autres entre la route de Valenciennes et la rue Saint-Jean.

Finalement, seule la première partie du projet, confiée à André Lurçat assisté des architectes d’opération Henri Lafitte et Pierre Boëns, est confirmée par les Autorités.

Ce programme, connu depuis sous le nom ‘’des 50 maisons’’, est réalisé sur deux rangées sur une longue bande étroite en retrait de la route de Valenciennes, face aux remparts de Vauban.

Préfinancées par le MRU au titre des Immeubles à Destination Transitoire, ces logements sont destinés en priorité aux ouvriers employés dans les chantiers de la reconstruction.

Les travaux qui avaient débuté en mai 1946, sont interrompus en 1947 car le M.R.U. a arrêté de payer les entreprises. Après quelques mois, le chantier reprend et  s’achève en 1949. 

Malheureusement, dans la années 70, plusieurs de ces maisons seront détruites au milieu de cet alignement pour faire passer une route.

Vue aérienne des IDT, 1947 © Fonds André Lurçat, Cité de l’Architecture et du Patrimoine

Pour ce premier projet, André Lurçat adopte une architecture résolument moderne avec des formes parallélépipédiques, des toits-terrasse, des enduits lisses blancs, pas ou peu de décor. Il avait d’ailleurs affirmé avec force lors de l’une de ses réunions publiques : « la ville sera moderne, claire, verte,  aérée et insolée ».  

Il combine cinq types d’habitations de 3, 4 ou 5 pièces, certaines en rez-de-chaussée, d’autres avec un étage carré. Reliés par une corniche qui file sur le toit, ces maisons mitoyennes sont très légèrement décalées les unes par rapport aux autres pour matérialiser des espaces privatifs.   

Comme le souligne Jean-Louis Cohen : ” Au lieu de juxtaposer les portes d’entrée sur les façades côtés rue, il les rejette sur les côtés, ce qui l’amène à marquer la séparation des logements par le retournement de la moulure du couronnement. En revanche, sur les façades postérieurs, les deux escaliers sont jumelés pour former un élément vertical arrondi venant s’opposer aux horizontales des maisons“.

Maisons I.D.T. de types A et B – Architecture d’Aujourd’hui, sept. 1946
Maisons I.D.T. de types C et D – Architecture d’Aujourd’hui, sept. 1946
Alignement d’IDT, 1947 © Fonds André́ Lurçat, Cité de l’Architecture et du Patrimoine

Les Immeubles Sans Affectation Individuelle (ISAI)

Les I.S.A.I. © Carte postale d’époque. Au premier plan, l’avenue de la gare. A l’arrière, l’avenue de France. 
Plan d’ensemble des ISAI – Urbanisme, 1954

André Lurçat, va réaliser entre 1947 et 1949 la première tranche de ce programme de logements préfinancés par le M.R.U. Il était assisté par deux architectes d’opération : Maurice Gouvernet et Henri Lafitte (d’après les travaux historiques) ou Marcel Mélon (selon les archives de Lurçat). Situés à l’extrémité de l’avenue de France, sur l’avenue de la Gare, ces immeubles doivent ainsi marquer au Sud la nouvelle limite urbaine de la ville à reconstruire. 

Entre les 2 immeubles collectifs en forme de H donnant sur l’avenue de la gare (Blocs A 1 et 3), l’architecte a disposé un petit pavillon (Bloc 2) qui allège et équilibre la composition.

Les deux immeubles collectifs situés derrière, sur la rue des Arts, sont quant à eux en forme de T (Blocs B). 

Sur l’avenue de la Gare, André Lurçat ajoute (à gauche sur la photo et sur le plan) un alignement horizontal de cinq cellules commerciales (Bloc 4). 

Les ISAI vus depuis l’avenue de la gare, à gauche l’alignement commercial – Carte postale JEM

Les deux immeubles collectifs en forme de H construits sur l’avenue de la Gare (Blocs A 1 et 3) sont constitués de deux barres reliées par une galerie au milieu de laquelle se trouve un escalier cylindrique. L’entrée principale de l’immeuble est situé au Nord, rue des Arts. 

Les immeubles situés à l’arrière (Blocs B) sont en forme de T.

Plan d’un étage d’un Bloc B- Technique & Travaux, 1953
Plan d’un étage courant d’un immeuble type Bloc A – Architecture d’Aujourd’hui, déc. 1947

Ces quatre immeubles de trois étages sur rez-de-chaussée, comprenent 4 appartements par niveau.

Ces bâtiments sont caractéristiques de l’architecture d’André Lurçat. On peut remarquer les loggias en saillie, les fines corniches que l’on retrouve sur plusieurs autres bâtiments de Maubeuge, ainsi que l’utilisation des premiers éléments préfabriqués selon les standards de l’architecte : grandes baies à trois vantaux, portes-fenêtres, portes vitrées à deux vantaux… 

Les immeubles de type E autour de la place des Arts seront réalisés à partir de 1949 par les adjoints d’André Lurçat, les architectes Jean Badovici et Maurice Gouvernet. Ils seront construits avec de la brique car ce matériau devient alors plus facilement disponible. L’immeuble de type D sera édifié par l’architecte Daniel Bidot entre 1953 et 1955. 

La gare routière qui est mentionnée sur le plan de l’époque ne sera pas construite. Tout comme le vélodrome qui devait prendre place à l’angle de l’avenue de la gare et du boulevard de l’Europe.

La Résidence du parc

Construite entre 1950 et 1952 pour le compte du tout nouveau Office public d’H.L.M. du Nord, la Résidence du Parc est composée de quatre immeubles disposés de part et d’autre du boulevard de l’Europe (R.N. 4 sur le plan). Pour André Lurçat, cette disposition était faite « de telle manière que l’œil du voyageur venant de la vallée enregistre successivement leur façade principale ». 

Soucieux de créer une ‘’cité-jardin urbaine’’, l’architecte avait à dessein choisi ce terrain en bordure du Petit-Bois, donc situé à l’extérieur de la ville intra-muros. 

Les quatre immeubles ‘’Fauvettes, Mésanges, Pinsons et Hirondelles’’ comportent trois étages sur un rez-de-chaussée surélevé. Chaque niveau comprend neuf logements (6 T3, 2 T2, 1 Tl). Les caves et les garages sont dans l’entresol. 

Les pièces de service (entrée, cuisine, salle de bain) sont toutes du côté Nord. Les pièces de vie (les chambres et le séjour) sont disposées au Sud. Dans les angles, les séjours bénéficient d’un balcon saillant en loggia.

Plan masse de la Résidence du Parc – Urbanisme, 1954. On remarquera que l’importance donnée aux plantations
la Résidence du Parc – Urbanisme, 1954
La Résidence du Parc – Carte postale d’époque
La Résidence du Parc – JLV

On retrouve résidence du parc, plusieurs éléments caractéristiques de l’esthétique d’André Lurçat déjà constatés dans les ISAI : outre ces loggias, les angles des bâtiments sont arrondis et une corniche court sur tout le périmètre de l’acrotère. 

Les ‘’Standards’’ d’André Lurçat

On ne peut évoquer l’œuvre d’André Lurçat à Maubeuge sans mentionner le travail qu’il conduisit en matière de rationalisation des procédés constructifs. Alors qu’au Havre Auguste Perret tient à garantir par l’adoption de sa trame de 6,24 mètres l’homogénéité des façades, André Lurçat va surtout chercher à Maubeuge à rationaliser au maximum la fabrication des éléments de base de la construction en définissant des ‘’standards’’ qui vont s’imposer à tous les chantiers de la reconstruction. Une rationalisation qui réduit les coûts de construction, et qui permet aux constructions les moins bien dotées financièrement de bénéficier d’un certain nombre de composants utilisées dans les bâtiments les mieux dotés.

Voici comment Serge Lana raconte en mai 1953 dans la revue Techniques & Travaux comment André Lurçat s’y est pris : « Il fallait donc rompre avec les méthodes artisanales, et progressivement, introduire des méthodes d’industrialisation. Cela ne pouvait pas se faire brutalement, très peu d’efforts ayant été faits en France dans ce sens. Il fallait créer des standards, les faire fabriquer, former la main d’œuvre qui les emploierait. André Lurçat profita de cette occasion (l’attribution de logements préfixants par le M.R.U. n.d.l.r.) pour mettre au point les techniques nouvelles.

De petits éléments, simples de structure, de fabrication facile et qui se trouvaient en grand nombre dans chaque immeuble furent choisis. Le choix se fixa sur : portes, fenêtres, placards, corniches, cadres de baies, bloc d’évier. Ce fut la construction de ces immeubles d’État qui permit de fixer les normes de ces éléments. Ainsi trois type de portes, sept types de fenêtres existent dans la ville.

Par exemple, comment fixa-t-on les dimensions, divisions, modes d’ouverture des fenêtres ? L’éléments de base choisi fur la fenêtre carrée. Sa hauteur fut fixée en déduisant de la hauteur des pièces l’allège réglementaire et une retombée pour linteau et volet roulant. En la divisant par deux on obtenait la fenêtre à un élément, et par juxtaposition de ces éléments des fenêtres plus larges ; en supprimant l’allège, la hauteur de l’élément augmentant, on obtenait les portes-fenêtres de la même façon. Ainsi quatre types de fenêtres et trois types de portes furent mis au point. André Lurçat collabora avec les industriels pour l’étude de ces standards. Les difficultés, bien entendu, ne manquèrent pas, et il fallut recommencer de nombreuses fois avant d’arriver au résultat. 

Cette méthode permit de déterminer avec précision ce qui était réalisable en tenant compte de l’économie indispensable ; le bloc évier, par exemple, fut ensuite écarté, il n’était pas avantageux d’industrialiser sa fabrication. 

La préfabrication de fenêtres métalliques entraîna celle des cadres de baies. Exécutées sur le chantier, en béton vibré, dans des moules, le gabarit des fenêtres pouvait être respecté au millimètre. Si la hauteur des fenêtres dépend de la hauteur des étages, celle-ci fut établie, compte tenu des directives ministérielles, en partant du nombre de marches convenable pour passer de sol à sol. Dix-huit marches de seize fixèrent cette hauteur ; en même temps l’escalier type était défini dans ses dimensions. Par la suite, on pouvait envisager sa fabrication en étant assuré qu’elle n’entrainerait pas de modifications dans les standards déjà réalisés.

Toutes ces mesures techniques furent éprouvées durant la réalisation de ces 66 logements d’État, et appliquées dans tout Maubeuge, et même à Saint-Denis (autres importants chantiers d’André Lurçat) où les escaliers sont maintenant préfabriqués. 

Une standardisation qui s’oppose à celle du M.R.U.

Par bien des aspects, André Lurçat s’est trouvé en opposition avec les positions défendues par le tout nouveau Ministère de la Reconstruction :

Alors que le M.R.U. imaginait au lendemain de la guerre pouvoir industrialiser à grande échelle la préfabrication en créant des usines chargées de fabriquer des composants normalisés, André Lurçat souhaitant utiliser en premier lieu les ressources locales et développer une démarche empirique. Il faut reconnaître que son premier chantier de reconstruction étant à Maubeuge, il pouvait bénéficier du savoir-faire locaux à la fois dans les domaines des matériaux de construction avec les briqueries, , de la métallurgie et du verre.

Dans un souci légitime de meilleure coordination, le M.R.U. a par ailleurs cherché à faire adopter par les professionnels du bâtiment une grille modulaire unique. Malheureusement, le ” pas de dix ” (centimètre) s’il pouvait sembler logique, ne reposait sur aucune cohérence pratique. Pierre et Robert Joly dans leur ouvrage sur l’Architecte André Lurçat l’illustrent ainsi : ” la préfabrication des volées d’escalier s’accommodait mal de la norme fixée our la hauteur minimum sous plafond de 2,50 mètres. Au lieu de partir du système décimal, il fallait prendre en compte la réalité constructive. Les planchers, construits en hourdis de terre courte sur poutrelles de béton armé, avec le plâtre en sous-face et le revêtement de sol, avaient une épaisseur totale de 2,78 m. chiffre non divisible par un nombre simpe. Il fallait donc procéder à rebours : partir de la hauteur d’une marche, telle que ” l’escalier pût se monter sans fatigue ” et multiplier cette hauteur par un nombre simple pour obtenir la hauteur d’étage. C’est ainsi que la hauteur d’un escalier fut fixée à 18 marches de 16 cm, soit 2,88 m”. `

Cette logique semble héritée de l’objectivité qui était parmi les mots d’ordre des Années 20. Un trait essentiel de la démarche de Lurçat est qu’elle fait porter l’effort moins sur la forme que sur la méthode “.

Exemple de standards – Technique &Travaux, 1953
Moulage d’encadrements de fenêtre

On voit ainsi la place importante que prit la réalisation de ces constructions d’État (du quartier de la gare principalement n.d.l.r.) en répondant à un deuxième faisceau de nécessités : mettre au point les techniques, en vue d’obtenir économie et rapidité ». 

Ajoutons cette précision apportée par André Lurçat : « Au terme de ce travail de régulation millimétrique des bâtiments, étroitement lié à la mise en évidence des éléments destinés à être produits en série, Lurçat prend soin d’obtenir l’accord de l’Association Syndicale de Remembrement et de Reconstruction qui présente les types aux sinistrés afin qu’ils connaissent les éléments qui seraient utilisés dans la construction de leurs immeubles »Un gage d’économie, d’harmonisation des façades et d’acceptation par les habitants.

JL V

SOURCES : 

  • ‘’Maubeuge’’, L’Architecture d’Aujourd’hui, juillet 1946
  • ’La reconstruction de Maubeuge’’, Techniques & Architecture, juillet 1946
  • ‘’Groupes d’habitations à Maubeuge’’, L’Architecture d’Aujourd’hui, septembre 1946 
  • ‘’Deux types d’immeubles pour Maubeuge’’, L’Architecture d’Aujourd’hui, décembre 1947
  • ‘’Les Immeubles Collectifs d’État à Maubeuge’’, Techniques & Travaux, mai 1953
  • ‘’Maubeuge, la reconstruction de la ville’’, Techniques & Architecture, novembre 1953
  • ‘’Le nouveau Maubeuge’’, Urbanisme, n°37/38, 1954
  • André Lurçat, autocritique d’un moderne ” Jean-Louis Cohen, Mardaga, 1995
  • L’architecte André Lurçat ”, Pierre et Robert Joly, Editions Picard, 1995