France

Cité Paul Éluard, Phot. N. Simonnot © Département de la Seine-Saint-Denis

André Lurçat à Saint-Denis

Figure importante du Mouvement Moderne avant-guerre, on lui doit notamment la villa Seurat et le groupe scolaire Karl-Marx à Villejuif.

A la Libération, tout en travaillant sur la reconstruction de Maubeuge, André Lurçat fut, jusqu’à son décès en 1970, l’architecte de la Ville de Saint-Denis.

Ville où il va tenter de mettre en pratique son concept de l’Unité d’habitation.

Au sortir de la guerre, la moitié des immeubles de Saint-Denis « sont considérés comme des taudis. La ville détient le record national de mortalité infantile et de décès par la tuberculose. La situation est d’autant plus critique que l’état des rares structures sanitaires existantes est catastrophique. Le bombardement de la ville durant la guerre n’a fait qu’ajouter à la demande constante de logements puisque des quartiers entiers ont été détruits. Pour ceux qui ont résisté, un tiers ne possède pas le gaz et la moitié n’a pas l’eau courant » note Nathalie Simonnot dans son Parcours du Patrimoine consacré à l’œuvre d’André Lurçat en Seine Saint-Denis.

C’est dans ce contexte qu’André Lurçat est nommé Architecte de la ville de Saint-Denis, le 1er octobre 1945. Il se voit alors confier la mission d’en faire une cité « moderne accueillante et épanouissante ».  Cela convient tout à fait à André Lurçat qui a travaillé avant-guerre avec Auguste Perret et Le Corbusier, et qui a été un membre actif du CIAM. Jusqu’à son décès en 1970, André Lurçat va construire près de 4 000 logements sociaux, des établissements scolaires et médico-sociaux, et un stade. Malheureusement, trop nombreux furent les équipements collectifs qu’André Lurçat avait prévu de construire pour humaniser ces unités d’habitation, mais qu’il n’a pu réaliser compte tenu du manque de moyens financiers.   

Parmi les cités construites par André Lurçat à Saint-Denis, la plupart témoigne d’une grande qualité architecturale (1er article). Heureusement, l’une d’entre elle, la cité Auguste Delaune, labellisée ”Architecture contemporaine du XXème siècle”, vient de faire l’objet d’une rénovation exemplaire (article suivant).

La Cité Paul Langevin, dès 1946

Le premier chantier de Lurçat à Saint-Denis est la cité Paul Langevin, une commande du MRU en 1946, portant sur la construction de 240 logements, dont 133 pour la première tranche. Au final, la cité ne comptera que 187 logements. 

© CNAM/DAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle

Les travaux seront laborieux du fait du manque de matériaux et des conflits entre l’État et la Municipalité. Au départ en effet, ce programme porte sur des Immeubles Sans Affectation Immédiate (ISAI). Financés par l’État, ils doivent permettre de reloger des propriétaires sinistrés auxquels il est prévu d’attribuer un logement en contrepartie de dommages-de-guerre. Mais c’est sans compter la très vive réaction des élus et des habitants de Saint-Denis lorsqu’ils constatent en 1949 que les logements sont construits, mais qu’ils restent inoccupés, alors que les taudis sont toujours très nombreux aux alentours. Finalement, le Ministère et la Mairie trouveront un terrain d’entente. 

La Cité Paul Langevin au début années 50 © Duprat

La Cité Paul Langevin au début années 50 © Duprat

La cité Paul Langevin est un ensemble immobilier assez remarquable de par sa qualité architecturale.

Dans les premiers temps qui suivent la Libération, les moyens sont limités, mais les ambitions sont grandes ; on est loin des contraintes budgétaires qui pèseront sur les Grands Ensembles à partir du milieu des années 50. André Lurçat attache une grande importance aux détails, aux façades notamment. Des peintres réalisent des dessins gravés dans le ciment des entrées d’immeubles, des mosaïques multicolores décorent le soubassement de plusieurs immeubles. 

Une entrée au début années 50 © Duprat

La même entrée en 2023 © JLV

En 1947, il présente la maquette d’un second projet ; celui de la Cité du Colonel-Fabien. Un projet très ambitieux de 1 500 logements qui doit concrétiser sa vision de l’Unité de quartier. 

Le concept de l’Unité d’habitation

Lurçat a conceptualisé sa vision de la ville moderne dans un article publié dans La Construction Moderne en 1950. Pour lui, « la cité-jardin ne doit plus être suburbaine mais urbaine. (…) L’élément fondamental ne sera plus la ville, mais l’Unité de quartier, qui, selon l’importance de la ville, se répètera deux, trois, quatre ou cinq fois, pas forcément identiques ». 

L’Unité de quartier de Lurçat est un rectangle de 25 hectares, de 400 sur 500 mètres environ, correspondant aux cinq à six minutes nécessaires à une ménagère pour revenir du marché ou à des enfants pour aller à l’école. L’Unité de quartier doit pouvoir héberger 5 000 à 6 000 habitants dans des immeubles collectifs et de l’habitat individuel au milieu d’espaces verts abondants. Pour éviter la monotonie de l’ensemble, il est important pour lui de veiller au parfait équilibre entre les volumes avec une alternance de tours et d’immeubles horizontaux, et d’attacher beaucoup d’attention aux détails de façon à personnaliser chaque édifice. Dans l’orientation des bâtiments, Lurçat insiste pour qu’aucune chambre ne soit orientée au nord et que la majorité des pièces habitables se trouvent au midi.

Petite ville dans la ville, l’Unité de quartier doit disposer de ses propres équipements collectifs (écoles, centre culturel, salle des fêtes, terrains de jeu…) et de commerces et d’un marché volant. L’emprise de l’Unité de quartier dépasse donc largement l’îlot traditionnel. « Tout habitant de l’Unité de quartier doit avoir à sa disposition, en dehors de son logement, des services communs ressortissants des domaines du ravitaillement, de la santé, de l’enseignement, et de la distraction » écrit-il.

Sur ce plan, Lurçat a notamment implanté en plus des logements : Le pavillon du gardien (F), le kiosque à journaux (G), la centrale de chauffage (H), l’école maternelle (I), l’école primaire (J), le marché volant (M), des boutiques, (N), un bureau de poste (O), un dispensaire (P), une bibliothèque (S), une salle de spectacle (T) et des terrains de sport

L’Unité d’habitation, Techniques & Architecture, juillet 48

La Cité du Colonel-Fabien

La cité Colonel-Fabien doit être le prototype de l’Unité d‘habitation d’André Lurçat. Concrètement, du fait de la lenteur du processus d’expropriation, sur la totalité des 1 500 logements prévus initialement, seuls 425 furent construits dans 10 tours et 6 barres. Par ailleurs, faute de crédits suffisants, Lurçat dût se limiter à la construction des immeubles collectifs et du logement du gardien. 

cliché anonyme de la maquette © Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle
La Cité Colonel-Fabien au début années 50 © Duprat

Toutefois, grâce au nombre de logements à construire, Lurçat pourra utiliser les standards des éléments préfabriqués qu’il a conçu pour la reconstruction de Maubeuge, qu’il s’agisse des dalles flottantes, des fenêtres, des encadrements, des portes et de certains placards, ce qui lui permet de gagner du temps et de réduire le coût de la construction. Une école maternelle fut construite en 1953, en collaboration avec Jean Prouvé ; malheureusement, elle fut détruite quelques années plus tard du fait de problèmes récurrents d’infiltration. 

La Cité Colonel-Fabien au début années 50 © Duprat
La Cité Colonel-Fabien au début années 50 © Duprat

La Cité Paul Eluard

© CNAM/DAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle

La cité Paul Éluard est construite plus à l’ouest, à côté des voies de chemin de fer et pas très loin de la Seine. Les travaux commencèrent en 1954. André Lurçat y construisit 304 logements en deux tranches successives sur un plan parfaitement symétrique et légèrement évasé vers le nord. Les immeubles sont construits avec une ossature en béton armé avec un remplissage en corps creux de pouzzolane. Les baies sont encadrées avec du béton moulé

Cité Paul Eluard © JLV.
Cité Paul Eluard © JLV.

La Cité Pierre Sémard

La cité Pierre Sémard (1956/1964) sera quant à elle implantée le long des voies de chemin de fer. Par rapport à la cité Paul Langevin et au plan initial, cette réalisation de la fin des années 50 est marquée par le poids des contraintes budgétaires et la densification croissantes des opérations immobilières. On s’éloigne ainsi de l’idéal de l’Unité d’habitation conçu par André Lurçat pour entrer dans l’ère des Grands Ensembles. D’autres suivront. Au total, ce sont près de 4 000 logements qu’André Lurçat aura construits à Saint-Denis. 

La Cité Pierre Sémard en 1964, Carte postale CIM

La Cité Auguste Delaune

La cité Auguste Delaune, labellisée depuis peu ”Architecture contemporaine du XXème siècle”, fait l’objet d’un article distinct puisqu’elle vient de bénéficier d’une réhabilitation tout à fait exemplaire. 

La Cité Delaune vers 1960 © Yves Guillemault
La Cité Delaun apr!s sa rénovation © JLV

En plus des logements, André Lurçat construira à Saint-Denis des établissements scolaires et médico-sociaux, et un stade. Malheureusement, trop nombreux furent les équipements collectifs qu’André Lurçat avait prévu de construire pour humaniser ces unités d’habitation, mais qu’il n’a pu réaliser compte tenu du manque de moyens financiers.   

Parallèlement, André Lurçat a conduit dans les années d’après-guerre, la reconstruction de la ville de Maubeuge.

JLV

SOURCES :

  • André Lurçat, Autocritique d’un moderne, Jean-Louis Cohen, Éditions Mardaga, 1995, 309 pages
  • L’architecte André Lurçat, Pierre et Robert Joly, Éditions Picard, 1995, 263 pages
  • Œuvres récentes, André Lurçat, Éditions Vincent Fréal, 1961
  • L’œuvre d’André Lurçat en Seine Saint-Denis (1945-1970), Parcours du Patrimoine, Nathalie Simonnet , 2008, 62 pages.
  • Photographies d’époque des Archives municipales de la Ville de Saint-Denis