Tout comme Le Havre, Sotteville-Lès-Rouen, Saint-Malo et Royan, Maubeuge est l’une villes dont la reconstruction fait partie des plus marquantes de l’après-guerre.
Œuvre de l’urbaniste et architecte André Lurçat, elle s’inscrit complètement dans l’esprit du Mouvement Moderne. Dans une approche assez différente de celles de Le Corbusier ou de Marcel Lods.
Sur place dès le printemps 1945, donc avant que le M.R.U. définisse le cadre et les procédures de la Reconstruction, André Lurçat va ainsi pouvoir initier une démarche tout à fait originale pour l’époque que nous allons nous efforcer de vous faire découvrir.
Le 16 mai 1940, deux jours après la percée des panzers du général Guderian à Sedan, Maubeuge est bombardée par l’aviation allemande. La 28ème division d’infanterie de la Wehrmacht incendiera peu après les bâtiments épargnés. A l’intérieur des fortifications de Vauban, la ville est presque totalement détruite. L’évacuation des décombres sera entreprise dès le mois de juillet, puis les ruines seront nivelées. Le 25 juillet 1941 les premiers baraquements seront installés pour y loger les sinistrés.
En 1941, l’architecte des bâtiments civils et des palais nationaux Paul Janin est chargé par le Commissariat à la Reconstruction Immobilière de définir un plan de reconstruction de cette ville qui comptait avant-guerre 24.000 habitants. L’hypothèse d’une ‘’Grande Place’’ remplaçant les remparts est évoquée au début de 1943 lors d’une visite de Louis Hautecoeur, Secrétaire d’État aux Beaux-Arts de Vichy, mais les quinze différents projets de reconstruction élaborés durant l’Occupation sont tous retoqués.
Il faut attendre la fin de 1944 pour que le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, Raoul Dautry, nomme André Lurçat pour mener cette reconstruction, à la fois comme urbaniste et comme architecte-en-chef. Il sera assisté de Henri Laffite.
Sur place dès avril 1945, André Lurçat va tout de suite inaugurer une démarche originale de concertation avec les habitants. Il va créer un Comité Local d’urbanisme, présidé par le Maire, le Docteur Forest, composé de représentants de tous les intérêts économiques et sociaux de la ville, non seulement de la partie sinistrée, mais de l’ensemble de la population.
Voici comment André Lurçat décrit en 1954 dans la revue Urbanisme la démarche qu’il adopta : « Il ne fallait pas ne s’occuper que du secteur détruit, mais bien à l’occasion de la reconstruction, d’essayer de résoudre, en totalité, le problème de l’aménagement de la ville.
C’est ainsi que dans ce Comité présidé par le Maire, se côtoyaient pour travailler en commun, des représentants des sinistrés, des commerçants, des syndicats d’ouvriers, des industriels, des techniciens d’industrie, de l’enseignement, de la santé publique, enfin des sportifs.
Réuni une fois par semaine, ce Comité fut l’élément d’apport de renseignements le plus important et en même temps le plus efficace. La confrontation des points de vue, des propositions, des solutions avancées, permettait de toujours rester dans la réalité et d’immédiatement rejeter tout ce qui pouvait se présenter d’utopique, aussi bien dans les ambitions de la population, que dans les propositions tant des habitants que de l’urbaniste.
Par ce moyen et cette constante discussion, un climat d’optimisme et d’intérêt pour la reconstruction était créée et entretenu ».
Chaque semaine se tenait également une réunion d’information où quiconque pouvait venir, et où était expliqué le développement du travail d’étude. A ces séances, les journalistes régionaux étaient toujours présents ; par leurs articles ils informaient régulièrement la population .
Enfin, lorsque les grandes lignes du plan furent définies en commun, une grande réunion publique permit d’inviter l’ensemble de la population.
Huit cents personnes se réunirent ainsi pour entendre un rapport de l’urbaniste expliquant les grandes idées du plan. Une discussion d’engagea, ce qui fut l’occasion, tout en informant la population de l’état d’avancement du plan, de déclencher ses observations ou d’obtenir son approbation.
Cinq mois avaient suffi, en utilisant cette méthode de collaboration suivie, pour mettre au point un plan qui, d’ores et déjà, était sûr d’être approuvé dans ses traits essentiels »
Lors de ces consultations, un grand nombre de maubeugeois vont plaider pour la destruction des remparts de Vauban et de leurs glacis qui isolent la ville intra-muros des ‘’faux bourgs’’ qui se sont développés à l’extérieur.
L’architecte s’oppose à leur destruction. Voici ce qu’il écrit dans la revue L’Architecture d’Aujourd’hui en juillet 1946 : « La ville aurait perdu son caractère en même temps un souvenir historique et un monument important. Les remparts, les fossés comme les portes monumentales devaient être préservées, remis en état et entretenu, exploités du point de vue touristique ».
Gilles Plum, dans son ouvrage sur l’architecture de la Reconstruction, complète les déclarations d’André Lurçat : « La zone des fortifications abandonnée à la nature est déjà la ceinture verte prônée par les urbanistes. On n’aura pas besoin de la créer, ce qui règlera le problème de financement. C’est d’autre part, un témoignage historique qui doit trouver sa place dans la nouvelle ville ».
L’Administration des Beaux-Arts ayant parallèlement demandé le maintien des remparts de Vauban compte tenu de leur valeur historique et leur rareté, ceux-ci furent donc très vite inscrits au titre des Monuments Historiques.
A Maubeuge, comme dans la très grande majorité des villes sinistrées, l’ampleur des destructions devait permettre de corriger le tracé des rues bien trop étroites et sinueuses et d’envisager de corriger l’extrême morcellement des parcelles. L’opportunité s’offrait donc de pouvoir remplacer les habitations insalubres par des bâtiments sains, plus lumineux et mieux aérés. Mais pour se faire, il fallait au préalable mener à bien une vaste opération de remembrement.
Conscient que cette remise en cause des droits de propriété pouvait être douloureux pour des sinistrés qui venaient tout juste de sortir de la guerre, André Lurçat adopta, là aussi, une démarche originale. Selon l’architecte, « il ne s’agissait pas d’un remembrement en deux dimensions, mais d’un remembrement en trois dimensions, plus rationnel, puisqu’il ne fixait pas a priori les dimensions du terrain dans savoir comment il pourrait être exploité, mais au contraire découlait d’une juste conception de ce qui était nécessaire à chacun, en accord avec ses possibilités (…) et la valeur d’emplacement des terrains avant les destructions. (…) A la notion de surface se trouvait donc logiquement substituée celle de volume ».
Pour mener à bien ce remembrement ‘’en trois dimensions’’, André Lurçat proposa de définir en accord avec l’Association Syndicale de Reconstruction, différentes formes de propriétés, puis différents types de bâtiments. Ceci rendit possible la mise au point d’un double système de cotation permettant de rapprocher la valeur des biens détruits des nouveaux logements construits de façon à faciliter les opérations de remembrement.
Différentes formes de propriété furent tout d’abord identifiées :
1. Propriété intégrale de la partie bâtie et du non bâti des nouvelles parcelles.
2. Propriété intégrale du terrain sur une partie de laquelle il serait possible de construire à toute hauteur tout en respectant les gabarits du plan d’urbanisme avec une propriété intégrale du bâti.
3. Propriété totale du bâti et des zones situées devant et derrière de l’immeuble, mais copropriété du centre de l’îlot.
4. Propriété intégrale du bâti et du sol sur lequel il repose, propriété collective du reste de l’îlot
5. Propriété collective de la partie bâtie et de la partie non bâtie.
Sur ces bases, quatre types de bâtiments furent retenus :
1. Maisons individuelles chaque fois que ce mode d’habitat apparait logique et réalisable avec les dommages de guerre du sinistré.
2. Immeubles individuels pouvant avoir une servitude d’escalier et d’entrée d’immeuble en commun. Il fallait admettre que chacun des escaliers devait, pour être rentable, desservir au moins deux appartements de 3 ou 4 pièces ; à défaut un escalier commun serait construit pour desservir deux immeubles.
3. Copropriété pour les sinistrés propriétaires avant-guerre, d’immeubles trop petits pour entrer dans les deux catégories précédentes.
4. Copropriété pour les immeubles de plus de quatre étages.
Parallèlement, André Lurçat va réussir à convaincre l’Association Syndicale de Reconstruction et les habitants de la nécessité de construire de grands blocs d’habitation et de normaliser les gabarits des immeubles.
« Au chaos ancien, il fallait substituer l’ordre de la ville nouvelle, aux rues larges, aérées, agrémentées de plantations » écrit-il en 1946.
A la différence de Le Corbusier, André Lurçat n’attache pas autant d’importance à l’orientation Est-Ouest des bâtiments et cherche au contraire à recréer l’animation d’un centre-ville, d’où la création de plusieurs places.
Comme le souligne Gilles Plum : « Deux axes seulement – les avenues Franklin-Roosevelt (Est-Ouest) et Jean-Mabuse (Nord-Sud) qui se croisent sur la Place des Nations – sont directement bordés d’alignements continus d’immeubles de deux ou trois étages maximum. Ce sont les points forts du centre-ville, ses artères commerçantes où se concentre la plus grande part de la vie urbaine.
Dans tout le reste de la zone reconstruite, les immeubles sont des barres droites tout à fait indépendantes du réseau des rues, au milieu de jardins et d’espaces libres suffisamment grands pour éviter les vis-à-vis et le manque de perspectives ».
Tout en conservant l’essentiel des fortifications de Vauban, Lurçat va réussir à relier la ville intra-muros aux nouveaux quartiers qu’il souhaite construire sur la rive Sud de la Sambre en redessinant un grand axe Nord-Sud (l’avenue Jean Mabuse jusqu’au pont sur la Sambre, puis plus au Sud avec l’avenue de France).
Alors que les anciennes habitations tournaient le dos à la Sambre, André Lurçat va réaménager les quais de la Sambre et construire en 1958 un immeuble d’habitation de 250 mètres de long dont la façade donne sur la rivière : le Mail. L’immeuble abrite 54 appartements et 21 commerces au rez-de-chaussée. Sa façade recourbée à l’angle avec l’avenue Jean Mabuse accueillera le grand magasin ‘’Les Galeries’’.
Lurçat aura réussi à convaincre les Maubeugeois : « La Sambre représente, comme les remparts, une richesse à exploiter. Ses abords étaient d’accès difficile, sinon impossible. Il est possible, profitant des dévastations de créer le long de cette rivière, dans sa traversée de la ville, une promenade qui, partant de l’entrée principale de la ville, conduirait au centre même de celle-ci, puis, se prolongerait au-delà longeant ainsi la partie sud-est des remparts. Là où se situent les parties les plus monumentales des fortifications, les fossés larges et profonds encore remplis d’eau, qui, nettoyés, agrémentés de plantations, permettraient l’établissement d’un parc de repos ».
Et l’architecte d’ajouter : « Nous avons dit que la partie Sud serait utilisée pour la création d’un quartier nouveau permettant de décongestionner la partie Nord, de doter la ville d’espaces libres nombreux, de mieux répartir les constructions, d’égaliser en la diminuant la densité des habitants. Les bâtiments ne seraient pas disposés en ordre continu, mais compris sous la forme de blocs importants et isolés, d’où la possibilité d’établir des accès faciles aux vastes jardins intérieurs ouverts au public. Selon les secteurs, les blocs d’habitation auraient 2, 3 ou 4 étages. Des boutiques seraient aménagées dans les immeubles bordant les rues principales ».
Entre 1950 et 1963, trois mille logements auront été construits sans répondre à tous les besoins puisque plus de deux milles autres logements devront être réalisés dans les années suivantes.
A Maubeuge, André Lurçat n’aura pas cherché à effacer les traces de l’ancienne cité pour y construire de grandes ‘’unités d’habitation’’ comme Le Corbusier à Saint-Dié ou Marcel Lods à Sotteville-Lès-Rouen. Il n’aura pas non plus tenté de reconstruire à l’identique les bâtiments anciens comme Brillaud de Laujardière et Louis Arretche à Saint-Malo. André Lurçat aura réussi à convaincre les Maubeugeois de conserver les fortifications de Vauban, d’étendre notablement la surface de la ville et d’adopter une architecture résolument Moderne pour l’époque tout en conservant à la ville son caractère provincial.
JL V
SOURCES :