Elle devient ainsi le symbole de la jeune nation qui veut liquider définitivement ses comptes avec son passé colonial.
Son inauguration de la nouvelle capitale offre au Brésil l’image d’une modernité́ en phase avec le credo positiviste du nouveau régime, mais qui ne fait pas l’unanimité́ dans une région attachée aux valeurs traditionnelles. Belo Horizonte a plus de 55.000 habitants en 1920, et en compte plus de 200.000 en 1940. Mais elle conserve néanmoins une allure de ville provinciale.
Juscelino Kubitschek est nommé́ en avril 1940, maire de Belo Horizonte. Bien qu’opposé au régime dictatorial, ce jeune médecin de 38 ans, accepte ce défi, appliquant une politique de soins intensifs à cet organisme vivant qu’est la ville.
Progressiste convaincu, sa réforme urbaine ne privilégie pas la seule viabilité́ économique, avec la nécessaire amélioration des infrastructures, mais s’attaque à la pauvreté́ tant sociale que culturelle et esthétique. Le dynamisme de sa politique axée sur trois points, travaux publics et embellissement de la ville, développement culturel et assistance aux classes laborieuses, anticipe les transformations rapides et radicales – le fameux « plano de metas » entrepris sous sa présidence de 1955 à 1960.
Invité par Kubitschek dès juin 1940, l’urbaniste français Agache est frappé par le contraste entre une zone urbaine prospère et une suburbaine sous-développée, où vivent les classes populaires, dont le labeur est essentiel au dynamisme du centre.
Une ville paradoxale où se côtoient modernité́ et archaïsme. Afin de résoudre la crise urbaine, le nouveau maire met en place de grands chantiers publics (…).
Attaché à son terroir, conservateur par nature, et celui du bandeirante, aventurier par nécessité, Juscelino Kubitschek s’attache à préserver le patrimoine de la ville en classant le seul bâtiment qui reste de l’ancienne bourgade de Curral del Rey, une ferme qu’il transforme en Musée Historique (actuel Museu Abílio Barreto) et s’oppose à la destruction de certains édifices comme le Palais du Gouverneur de la Praça da Liberdade, suggérée par Oscar Niemeyer, auquel il confiera pourtant la construction du quartier de Pampulha, symbole de la modernité́ de Belo Horizonte durant sa législature.
L’implication moderniste de Juscelino Kubitschek se traduit aussi par la fondation de l’Institut des Beaux-Arts (…) qui révolutionne l’enseignement de l’art dans toutes ses déclinaisons, en opérant une rupture avec l’académisme ambiant. L’organisation (…) d‘une rétrospective du Mouvement moderniste de 1922 aura une répercussion nationale grâce à la participation d’intellectuels et artistes brésiliens de renom et donnera un nouveau souffle au modernisme brésilien qui va trouver sa concrétisation urbaine dans l’ambitieux projet architectonique de Pampulha.
La création de Pampulha, situé hors du périmètre originel délimité par l’Avenida do Contorno, est la réalisation la plus significative de la politique urbaine entreprise par Juscelino Kubitschek, qui veut faire de Belo Horizonte une grande métropole moderne en intégrant à la vie de la cité la zone suburbaine.
Il s’agit d’en finir avec la dichotomie coloniale de relations de classe inscrites dans l’espace urbain et l’idéal du maire trouve son écho dans le projet révolutionnaire proposé par un jeune architecte progressiste, disciple de Le Corbusier. Oscar Niemeyer va ainsi concevoir ce nouveau quartier comme une zone de loisirs et de culture, un lieu de rencontre de toutes les classes, où les villas cossues côtoient les édifices destinés au public.
Le maire est déjà̀ l’homme pressé qui adoptera le slogan de « 50 ans de progrès en 5 années de gouvernement », une fois élu président en 1960.
L’ensemble architectonique de Pampulha, avec son lac artificiel, le casino, le yacht club, la maison du bal, l’église São Francisco de Assis et la résidence de Juscelino, est achevé́ en un temps record – 9 mois – et inaugurée le 17 mai 1943.
Ce projet s’inscrit dans la mouvance moderniste qui opère une rupture avec le classicisme introduit au Brésil par la Mission Artistique française au début du 19ème siècle.
Pampulha se présente comme l’expression d’une nouvelle conception de l’art, non transplanté, mais revisité par le cosmopolitisme culturel du pays.
La construction de l’Église São Francisco de Assis est sans aucun doute l’œuvre la plus significative de ce modernisme à la brésilienne, réunissant autour de son concepteur, Niemeyer, originaire de Rio de Janeiro, le peintre Portinari, auteur du Panneau d’azulejos de la façade et le paysagiste Burle Marx qui dessine le jardin, tous deux paulistas, et enfin le sculpteur Ceschiatti, mineiro, qui réalise le bas-relief du baptistère.
C’est la première fois que le modernisme sort des expositions et salons littéraires pour s’exprimer dans la rue, par le biais d’une architecture révolutionnaire.
Il concrétise en quelque sorte son existence et entre dans sa phase de maturité́, mais comme tout mouvement d’avant-garde, il se retrouvera au cœur du débat entre tradition et modernité́.
L’Église São Francisco de Assis attendra ainsi de nombreuses années avant d’être consacrée par les autorités religieuses.
Pourtant Niemeyer affirme s’être inspiré de la courbe du baroque mineiro pour concevoir cette église et l’ensemble de Pampulha.
Avec la complicité́ de Juscelino, il définit une politique de modernisation, à la fois fonctionnelle du point de vue technique et esthétique qui sera reprise, à une échelle nationale, pour la construction de la future capitale du Brésil, Brasilia (…).
Quand on évoque aujourd’hui la modernité́ au Brésil, on pense tout de suite à São Paulo, une simple bourgade coloniale née de l’esprit d’aventure des bandeirantes et qui, grâce à la prospérité́ économique apportée par le café́, a connu une modernisation rapide, permettant à son tour l’émergence de la Semana de Arte Moderna de 1922.
Il en va tout autrement pour Belo Horizonte qui présente un parcours bien différent. La fondation de la première ville moderne procède d’une volonté́ de rupture avec le Brésil colonial et s’inscrit dans le projet républicain positiviste.
Ville du paradoxe, oscillant constamment entre mémoire et utopie, Belo Horizonte est le véritable laboratoire de la modernité́ brésilienne, dès sa fondation, puis dans les années 40 avec la révolution urbanistique du tandem Kubitschek/Niemeyer concrétisée par l’audacieux complexe de Pampulha, qui irradiera la modernité́ sur le plan national avec la construction de Brasilia.
Christine Ritui
Source : Christine Ritui. Belo Horizonte, laboratoire de la modernité (1897-1950). Territoires et Sociétés dans les Amériques, Nov. 2007, Rennes, France. 8 p. halshs-00267617