Europe

Berlin 1953-1957 : deux visions de l’architecture 

En ce milieu des années 50, Berlin se relève péniblement des destructions de la Seconde Guerre mondiale. 

En pleine Guerre froide, dans une ville toujours occupée, l’architecture et l’urbanisme vont être l’instrument de l’opposition de deux visions du monde, de deux conceptions de la place de l’homme dans la société. 

D’un côté, la Stallinallee inaugurée en grande pompe en 1953, de l’autre, l’Internationale Bauausstellung, l’exposition internationale d’architecture de l’été 1957.   

En mai 1945, Berlin était à moitié détruite. Les hommes valides étant dans des camps de prisonniers, ce sont les femmes des décombres, (les ‘’Trümmerfrauen’’) qui se chargèrent du déblaiement des ruines et de la construction des abris de fortune. « Ressuscitées des ruines et tournées vers l’avenir » comme le proclamait l’hymne de la République démocratique est-allemande.  

En 1946, les autorités soviétiques d’occupation désignèrent l’architecte allemand Hans Scharum pour préparer les plans de reconstruction de la ville tous secteurs confondus.

Très vite, la reconstruction prit un caractère éminemment politique avec la confrontation croissante entre les deux blocs.  

Les Trümmerfrauen déblayant les ruines © Landesarchiv Berlin 

La ”Stallin Allee” 

Alors que la majorité des monuments historiques, ou du moins ce qui en restait, se trouvait dans le secteur oriental occupé par les troupes soviétiques, les dirigeants communistes décidèrent de les raser pour les remplacer par des bâtiments plus conformes à l’architecture stalinienne.

La maquette de la future Stallin Allee

Oeuvre maitresse de cette transformation, l’avenue Staline. Une artère magistrale, impressionnante par ses dimensions, à l’image de la démesure du ‘’Petit Père des Peuples’’.

Elle est longue de plus de 2,6 kilomètres et large de 89 mètres.

Construite en un temps record entre 1951 et 1953, elle a été bâtie sur le modèle des grands axes édifiés à la gloire du socialisme triomphant à Moscou, Léningrad, Riga…. 

La Stallin Allee et sa statue du ”Petit Père des Peuples”

De la porte de Francfort à la  Strausberger Platz, la Stallinallee est bordée par d’imposants immeubles d’habitation hauts de sept à neuf étages d’inspiration plutôt néoclassique teintée de réalisme socialiste. 

De la Strausberger Platz à l’Alexanderplatz, les immeubles d’habitation sont constitués d’éléments préfabriqués industriellement en béton recouverts de petits carreaux de céramique. Une architecture monotone qui se généralisera par la suite dans toute l’Allemagne de l’Est.

La Stallinallee sera le lieu des grandes parades officielles où défileront les régiments de l’Armée rouge et les bataillons de jeunesses communistes.

Après la mort de Staline et le rapport Kroutchev, les dirigeants est-allemands devront rebaptiser la Stallinallee en Karl-Marx-Allee. La majeur partie des manifestants du soulèvement populaire durement réprimé par les troupes soviétiques et la police est-allemande le 17 juin 1953 était en effet issu de la Stallinallee.

La Stallin Allee dans les années 60/70

L’Interbau 57

L’entrée de l’Exposition Internationale d’Architecture 1957

Pour ses organisateurs, l’exposition internationale de Berlin 1957 (der Internationalen Bauausstellung) est bien plus qu’une manifestation d’architecture. Elle doit être l’expression de la modernité et de la liberté face au ‘’Moloch’’, le ‘’Berlin de pierre’’ est-allemand.

Aussi font-ils appel à 63 architectes, dont les plus grands noms du monde occidental (Le Corbusier, Walter Gropius, Oscar Niemeyer, Alvar Aalto…) venus de 13 pays différents pour construire 35 ensembles résidentiels résolument modernes. Dix architectes paysagistes participent également car ces immeubles seront construits au milieu de vastes espaces verts.

Le quartier choisi pour installer cette exposition est situé au centre ouest de la ville, dans la zone britannique. Il avait été totalement rasé en une nuit en novembre 1943. Le Hansa Viertel est bordé au nord par les rives de la Spree, et au sud par le grand parc de Tiergarten.

1: Müller (Berlin) 2: Gottwald (Graz) 3: Luckhart & Hoffmann (Berlin) 4: Schneider & Esleben (Düsseldorf) 5: Mairie de Tiergarten 6: Kreuer (Berlin) 7: Zinsser & Plarre (Hanovre) 8: Baldessari (Milan)  9: van der Broeck & Bakema (Rotterdam) 10: Hassenpflug (Munich) 11: Beaudouin & Lopez (Paris) 12 : Schwippert (Düsseldorf) 19 : Oscar Niemeyer (Rio de Janeiro) 20 : Jaenecke & Samuelson (Malmö) 21 : Dütmann (Berlin) 22 : Alvar Aalto (Helsinki) 23 : Pierre Vago (Paris) 24 : Walter Gropius (Cambridge USA) 25 : Müller-Rehm & Siegmann (Berlin) 26: Lemmer (Berlin) 27: Baumgarten (Berlin) 28: Ludwig (Berlin) 29 : Arne Jacobsen (Copenhague) 30: Weber (Francfort) 31: Giefer & Mäckler (Francfort) 32: Kahn (Francfort) 33: Müllendorf & Ruekenberg (Berlin) 34: Ruf (Munich) 35: Hönow (Berlin) 36: Grimmeck (Berlin).

Au nord, une série de tours, dont celle de Raymond Lopez et Eugène Beaudouin. Au centre, plusieurs grands immeubles linéaires construits sur des piliers. L’immeuble de Gropius se caractérise par sa forme légèrement incurvé. Celui de Niemeyer par sa tour d’ascenseurs triangulaire hors d’œuvre. Le bâtiment de Pierre Vago joue quant à lui sur les différences de hauteur entre les étages. L’édifice d’Alvar Aalto par sa façade irrégulière.    

Avec près d’un million de visiteurs, Interbau eu un retentissement mondial considérable et marqua ainsi un tournant pour les Berlinois. 

Oscar Niemeyer

La façade Ouest de l’immeuble de Oscar Niemeyer © Landesarchiv Berlin / Image: Horst Siegmann
La façade Est avec la tour d’ascenseurs hors d’oeuvre

L’immeuble d’Oscar Niemeyer fait 70 mètres de long sur 15 de large et comprend 78 logements. Il est reconnaissable par les imposants piliers doubles en béton qui supportent l’édifice, et surtout par la tour triangulaire hors d’œuvre des ascenseurs. Comme dans beaucoup d’immeubles de l’après-guerre, les ascenseurs ne desservent pas tous les étages ; seulement le rez-de-chaussée, le cinquième et le huitième étages. Le premier et le deuxième étages sont quant à eux accessibles par des escaliers depuis le rez-de-chaussée. Le huitième étage regroupe les greniers et des buanderies.

En concevant cet immeuble, Oscar Niemeyer a repris plusieurs des concepts architecturaux de Le Corbusier, mais il a dû également accepter plusieurs contraintes imposées par le service de l’urbanisme de la ville de Berlin. Il est orienté est-ouest avec des balcons sur toute la longueur du bâtiment côté ouest. 

Walter Gropius 

L’immeuble Gropius, 1957 © Landesarchiv Berlin, Horst Siegmann
La Gropuishaus actuellement

L’immeuble conçu par Walter Gropius et ses associés de l’agence TAC avec l’architecte berlinois Wils Ebert fait 80 mètres de long sur 10 de large. Il semble légèrement incurvé, alors qu’en fait il se compose de quatre sections droites légèrement désaxées. L’immeuble comprend 64 appartements de tailles différentes répartis sur 9 étages. Les chambres et les salles de bain sont orientées au nord, les séjours et les cuisines au sud. A chaque extrémité du bâtiment, 8  appartements sont positionnées à angle droit par rapport aux autres appartements, les murs aveugles rythmant ainsi les pignons de l’édifice.

Les ‘’voiles gonflées’’ en acier des balustrades des balcons animent de façon étonnante la façade. Les quatre cages d’ascenseurs permettant d’accéder aux étages sont situées sur la façade arrière, côté nord.  

Pierre Vago 

L’immeuble de Pierre Vago en 1957
La façade Ouest récemment 

L’immeuble de Pierre Vago fait 64 mètres de longueur sur 12,50 de large et comprend 59 logements sur 9 étages.

Les balcons de la façade Est sont en béton apparent ou sont peints en blanc, l’acier étant en bleu clair. Les façades Ouest et Sud n’ont pas de balcons mais ils sont rythmées par des plaques de verre colorées (blanc, gris, bleu et jaune). Ces plaques de verre ont depuis été remplacées par des plaques en acier coloré.  

 A la différence de tous les autres immeubles linéaires de l’exposition, les appartements ont une taille très variable avec 1, 2, 3, 4 et même 5 chambres et  une surface allant de 30 à 118 mètres carrés. 24 d’entre eux disposent d’un séjour d’une hauteur d’un étage et demi ! Côté Est, les appartements peuvent être disposés sur un ou deux étages.  

Alvar Aalto  

La façade Est
Le plan d’un étage courant

L’originalité de de l’immeuble d’Alvar Aalto par rapport aux autres immeubles linéaires et aux tours, tient à sa forme compacte en U.

La grande façade fait 60 mètres de long, les ailes mesurent  respectivement 20 et 22 mètres de long. Haut de 25 mètres, il comprend 78 appartements répartis sur 8 niveaux. La bâtiment au centre dessert les deux ailes où se trouvent les appartements. Les façades sont recouvertes de plaques d’argile poreuse.

Un des appartements avait été meublé entièrement avec des meubles finois. 

Raymond Lopez et Eugène Beaudouin 

La tour d’Eugène Beaudouin et Raymond Lopez récemment
Le plan d’un étage ; à noter les escaliers permettant d’accéder aux appartements situés dans les coins

La tour construite par les architectes Raymond Lopez et Eugène Beaudouin est haute de 51 mètres. Elle comprend 87 appartements sur 16 niveaux. On a six appartements par étages. Les appartements situés dans les coins sont positionnés un demi-étage au-dessus des autres appartements. Pour des raisons de sécurité, ils bénéficient des deux entrées afin de pouvoir accéder au niveau inférieur et au niveau supérieur. Le dessin des façades accentue la verticalité de l’édifice. 

Raymond Lopez s’inspira de ce bâtiment construit à Berlin avec Eugène Beaudouin lorsqu’il réalisera quelques mois après la tour du Bois-le-Prêtre dans le XVIIème arrondissement de Paris.

Devant le succès de l’Exposition Internationale Interbau 57, les autorités Est-allemandes décidèrent de lancer un vaste plan de rénovation du patrimoine historique. Le quartier médiéval de Saint-Nicolas fut pour partie reconstruit. Les travaux de reconstruction du Gendarmenmarkt ne commencèrent néanmoins qu’au début des années 1980 à l’approche du 750e anniversaire de Berlin.

N.B. : notre article ne mentionne pas l’Unité d’Habitation de Le Corbusier car celle-ci fait l’objet d’un article particulier. 

JL V

SOURCES :