A la veille de la guerre, Boulogne est une cité prospère de plus de 52.000 habitants. Cinq ans plus tard, il faut tout reconstruire, en commençant par le port, poumon économique de la ville, mais aussi pour approvisionner l’arrière-pays.
Selon l’envoyé de La Voix du Nord le 23 septembre 1944 : “Boulogne-sur-Mer présente l’aspect d’un immense champ de désolation. Il semble qu’une gigantesque tornade se soit abattue. De quelques côtés que l’on dirige ses regards, ce ne sont que des toits arrachés, murs éventrés, arbres brisés, pylônes tordus… Les bassins sont bordés d’un indescriptible chaos de poutrelles d’acier et de débris de toutes sortes, derniers vestiges des halles qui les entouraient “.
Boulogne libérée, les nouvelles autorités reconduise l’architecte boulonnais Roger Berrier qui s’était vu confier pendant l’Occupation la tache de définir le plan de reconstruction de Boulogne. Mais il se heurte assez rapidement au Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme lorsque celui-ci lui demande d’étudier la reconstruction du centre-ville avec des immeubles « permettant l’habitation en hauteur ».
Pour le remplacer, le Gouvernement nomme François de Viry, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, spécialement chargé de la reconstruction du port, et Pierre Vivien, architecte-en-chef, chargé de la reconstruction de la ville. Jeune et brillant architecte, très marqué par la Charte d’Athènes, Pierre Vivien s’était fait remarqué lors de son intervention dans la reconstruction de Doullens.
Pierre Vivien présente ainsi son plan dans les colonnes de la revue Techniques et Architecture en 1952, « les industries et le commerce s’étaient naturellement développés à proximité du port et s’enchevêtraient totalement avec les habitations. Les quartiers de Capécure et de la Basse-Ville, seuls quartiers plats, enserrés entre les collines, limitant l’ancien estuaire de la Liane, s’étaient rapidement développés depuis le début du siècle. Comme dans la plupart des villes françaises, les tracés viaires et ferroviaires n’avaient pas été conçus ni adaptés, pour répondre aux besoins économiques actuels. La gare de voyageurs, ancienne tête de ligne, se trouvait en cul-de-sac au centre de l’agglomération , ce qui obligeait les trains à rebrousser chemin pour rejoindre la ligne principale vers Calais ».
Schématiquement, Pierre Vivien prévoit, comme l’avait imaginé Roger Berrier début 44, le redressement de la Liane à son embouchure. La ville est en effet située à l’embouchure de ce fleuve côtier sinueux de 37 km de long. La rive gauche sera dédiée aux activités portuaires et halieutiques, la rive droite aux logements et aux commerces. Une nouvelle gare SNCF – Boulogne-Ville – devra être construite sur la rive droite au sud de l’agglomération. Les voies d’accès à la ville et au port seront renforcées pour faciliter la circulation automobile qui se développe. De nouveaux ponts, plus larges, seront construits pour franchir le port et la ville.
Le redressement du fleuve doit ainsi permettre de récupérer une vingtaine d’hectares sur le quartier de Capécure pour assurer le développement du port. Mais ce grand projet nécessite la construction de quartiers de compensation à la périphérie de la ville « destinés au relogement des huit à neuf mille habitants qui se trouvaient primitivement dispersés au milieu des installations industrielles du traitement du poisson ».
Et Pierre Vivien d’ajouter : « Pour assurer une densité d’habitation élevée, tout en ménageant des espaces libres et des parkings à voitures, etc. il a été décidé de construire sur le quai Gambetta, quatre blocs de onze étages, représentant environ deux cents logements, trois hôtels, des bureaux d’affaires, boutiques, etc. correspondant aux nécessités locales du remembrement. Ces opérations s’inscrivent dans un ensemble où se situent un bâtiment destiné au regroupement des Administrations publiques ayant trait à l’activité du port : Chambre de commerce, Direction du Port, Direction des Douanes et Inscription Maritime ».
Après plusieurs modifications, le Conseil municipal l’adopte le 12 septembre 1947, à l’unanimité. Toutefois, le Plan Vivien suscite de vifs débats, comme en témoignent les réactions presque unanimement hostiles des Boulonnais lorsqu’il est soumis à enquête publique en septembre 1947. Le 30 juillet 1948, le plan est globalement adopté par le Comité National de l’Urbanisme (CNU), avant d’être approuvé par l’arrêté du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme du 2 mars 1949. Les derniers arbitrage, notamment financiers, sont faits le 30 juin 1950 par le CNU et validés par l’arrêté ministériel du 25 octobre suivant.
On peut distinguer sur ce plan des destructions du port établi en octobre 1944 par le service topographique militaire dépendant de l’Amirauté britannique : en bleu, les destructions alliées, en rouge celles causées par les Allemands – Archives du Pas-de-Calais
Le port est en ruines. Il ne reste que 300 mètres de quais sur les 3 600 de 1939, une seule grue en état de fonctionner sur les 61 d’avant-guerre. La rade est envasée, on y compte une centaine d’épaves de bateaux rouillant parmi les multiples mines. Les terre-pleins sont hérissés de blockhaus.
La restauration du port est vitale, tant pour les Boulonnais que pour les Alliés. « le 12 octobre 1944, le port devenu partiellement utilisable reçoit son premier navire. Le 26, l’oléoduc Dumbo commence à amener à Boulogne, depuis l’Angleterre, le carburant indispensable au corps expéditionnaire allié pour la poursuite les opérations (…) L’enlèvement des mines étant achevé, le port est rendu aux autorités françaises le 25 décembre 1944, et la pêche redevient libre le même jour ». Ainsi, en 1947, près de 80 % de la flotte de pêche est reconstruite.
Le général de Gaulle, venu constater en 1945 les ravages de la guerre, avait déclaré, dans un style moins lyrique que celui qu’il avait adopté à Fécamp (on se rappelle du « port de mer et qui entend le rester ! »), que Boulogne « devait devenir un grand port de pêche moderne ». Ce sera chose faite en quelques années. La flottille se reconstitue avec des unités plus modernes. Le quartier de Capécure est reconstruit sur la base d’une trame orthonormée entièrement dédié aux industries de la pêche. La gare de marée réalisée à la fin de la décennie permet aux trains isothermes de desservir Paris et le reste de la France.
« Le trafic transmanche reprend progressivement : l’accostage du Hythe marque la reprise des relations avec Folkestone en mars 1946, mais les liaisons régulières ne sont rétablies qu’à partir du 1er juillet 1947, lorsque 369 passagers débarquent de l’Isle of Thanet ». La nouvelle gare maritime est inaugurée le 14 juin 1952. Sa conception moderne permet notamment l’embarquement et le débarquement direct des voitures sur le ferry.L’année 1954 voit la reprise des excursions d’un jour en provenance de l’Angleterre. La vie reprend là aussi.
Les travaux du creusement du nouveau tracé de la Liane et du comblement de l’ancien lit débute en 1952. Les travaux seront achevés en 1964. Ainsi redressé, le fleuve file ainsi tout droit vers la mer sur deux kilomètres, libérant une zone d’une vingtaine d’hectares destinés à la création d’un véritable quartier, sur la rive droite, idéalement placé entre le centre-ville et la gare SNCF.
A Boulogne, on les appellent ‘’les Buildings’’. Symboles de la reconstruction du centre-ville, ils sont l’œuvre de architecte-en-chef Pierre Vivien.
Implantés sur le quai Gambetta en oblique pour profiter au mieux de l’ensoleillement selon les principes de l’héliotropisme très en vogue à l’époque, ils font face à la gare maritime et au port des marées.
Chacun de ces quatre parallélépipèdes de 14 mètres de profondeur, présente une façade carrée de 40 mètres de hauteur sur 40 mètres de largeur. Ils reposent sur une ossature en béton calculée par l’ingénieur Mopin.
Au-dessus d’un rez-de-chaussée dédié aux activités commerciales, un premier étage à vocation hôtelière, puis les chambres de bonne (il s’agit d’immeubles résidentiels et non de logements sociaux), et 9 étages d’appartements, dont plusieurs traversants et formant un total d’environ 200 logements.
Les travaux débutent en 1951. En 1954, le premier building achevé est le ‘’D’’, situé le plus proche de la mer, alors que le quatrième, le plus proche du centre-ville sort de terre. Pour convaincre les acquéreurs potentiels, on crée un appartement-témoin. La jeune génération des décorateurs de l’époque va pouvoir intervenir : André Monpoix, Pierre Guariche, Joseph-André Motte, Alain Richard et Jean-René Caillette.
A l’image de la Cité Radieuse que Le Corbusier vient de terminer à Marseille, Pierre Vivien finalise en 1954 ses recherches concernant la polychromie des façades des Building. « les jeux de couleurs sont concentrés sur les volets roulants et les plafonds de loggias qui sont respectivement du bloc A au D : bleu et rouge, ocre et bleu, vert et jaune, ocre et rouge. Les menuiseries ainsi que les garde-corps des balcons sont blancs, à l’exception de la main-courante en noir ».
Il faudrait aussi vous décrire le centre-ville avec ses immeubles porche, la nouvelle gare maritime des architectes Georges Popesco et André Lacoste, avec sa rampe circulaire en face des Buildings, l’élégante gare centrale inaugurée en 1962 de Pierre Vivien, sans oublier les cités des Quatre-Moulins et du Chemin Vert. Autant d’édifices de la Reconstruction qui méritent une escapade en bord de mer.
JLV
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