France Habitat collectif

La Cité Belle-Beille en septembre 1954 – Archives du Maine et Loire

Cité Belle-Beille à Angers  (1952-1954)

Face à l’ampleur de la crise du logement, Eugène Claudius-Petit, alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, annonce en 1951 la construction de 10.000 logements par an pendant 5 ans. 

Pour se faire, il ambitionne de démultiplier l’initiative en cours des ‘’chantiers expérimentaux’’ en favorisant la construction la plus industrialisée possible de ‘’grands ensembles’’ immobiliers. 

L’un des premiers chantiers de ce plan National de Construction au titre du ‘’Secteur Industrialisé’’ fut attribué à la ville d’Angers où la situation du logement était dramatique et dont était originaire le ministre.

Les 5 autres villes retenues étant Saint-Etienne, Pantin, Boulogne-sur-Mer, Le Havre et Lyon.

Le choix d’Angers s’expliquait également par le fait que la construction de 150 logements H.L.M. venait d’être lancée sur le plateau de Belle-Beille, situé à quelques kilomètres à l’Ouest du centre-ville, et que l’Office municipal pouvait facilement acquérir des terrains voisins pour bâtir un programme plus important.

Cette première opération du ‘’Secteur Industrialisé’’ lancée dès avril 1953 porta donc sur la construction de 679 logements répartis en 55 bâtiments, sur les hauteurs de l’actuelle avenue Notre-Dame du Lac face au parc municipal de la Garenne dans un site pittoresque et verdoyant, mais sur des terrains parfois très accidentés. 

Le programme comportait 31 logements de 1 pièce, 87 logements de 2 pièces, 239 logements de 3 pièces, 253 logements de 4 pièces, 69 logements de 5 pièces répartis dans 55 bâtiments : 34 collectifs (2 à 5 étages et une tour de 12 étages) et 21 individuels ou semi-individuels. 

Le plan-masse avec les 55 bâtiments de part et d’autre de la grande avenue – Techniques et Architecture, 1954

Une normalisation très poussée

L’opération devait logiquement avoir recours le plus possible à la préfabrication des éléments de construction et des équipements. Néanmoins, les plans et les façades avaient déjà été définies par les architectes angevins Henri Madelain (architecte-en-chef de l’opération) et Henri Encuehard (architecte-en-chef de l’exécution) qui avaient été retenus pour le projet initial. Le bureau d’études techniques O.T.H. pilota avec tous les intervenants des études très poussées pour normaliser le plus possible ce qui pouvait l’être :    

  • Tous les bâtiments ont une largeur uniforme de 8,61 mètres ce qui permet de réduire le coût de réalisation des planchers et des toitures.
  • La tour de 12 étages est équipée d’ascenseurs qui ne s’arrêtent que tous les trois étages, les étages inférieurs et supérieurs étant desservis par des escaliers.
  • La distribution électrique dans les appartements est relativement sommaire (1 point lumineux au plafond et deux prises de courant par pièce) mais elle peut être facilement modifiée ultérieurement
  • Il existe seulement deux types de fenêtres et portes-fenêtres en bois pour la totalité des constructions. 
  • Les portes intérieures et les meubles de cuisine ont été choisis à partir des concours lancés sur le plan national par la Direction de la Construction du Ministère de la Reconstruction et du Logement.
  • Les sols sont revêtus de granito dans les escaliers, de mosaïques dans les cuisines, de Dalami dans les pièces d’habitation. 

Le choix du procédé Beaupère

La construction avait été confiée à un groupement comptant 101 entreprises locales. Quasiment toutes artisanales. Heureusement, grâce au pilotage serré de ces entreprises par le Bureau d’Eudes Techniques et les architectes d’opérations, et compte tenu du nombre et la diversité des immeubles à construire, ce grand nombre d’intervenants ne semble pas avoir posé problème.

Le procédé constructif principal choisi, le ‘’procédé Beaupère’’, était certes moderne mais simple à assimiler et à mettre en œuvre par les entreprises. Un système de façade à éléments préfabriqués (béton de ciment ou schiste dans un coffrage de bois) qui devait être utilisé pour tous les murs de façade et les murs en sous-sol. Ce procédé nécessita l’installation à côté du chantier d’une petite usine pour construire ces éléments préfabriqués. Pour le reste, les entreprises eurent recours à des procédés constructifs plus classiques.

La simplicité des méthodes utilisées prouvait que l’industrialisation du bâtiment ne demandait pas des investissements considérables de la part des entreprises. Les moyens de manutention étaient normaux, chaque élément pouvant être facilement manipulé par un ouvrier et les éléments préfabriqués pouvaient être posés par les plus petites entreprises. En outre la préfabrication supprimait totalement l’exécution des ravalements ainsi que le recours à tout échafaudage extérieur.

Les premières étapes du procédé Beaupère – Techniques et Architecture, 1954

Plans des appartements-types 1, 2 et 3 pièces – Techniques et Architecture, 1954
Plans des appartements-types 4 et 5 pièces – Techniques et Architecture, 1954

Pour le M.R.U., un premier chantier réussi

Comme le souligne les P.V. du Conseil d’administration de l’Office H.L.M. : « Au final la construction des logements ne dura que deux années et deux mois, ce qui correspond à un rythme de 26 à 27 logements construits par mois. Cette cadence était donc supérieure à celle connue au cours des chantiers expérimentaux menés précédemment. En revanche les travaux liés aux VRD (Voirie et Réseaux Divers) étaient encore en cours lors de la réception provisoire des logements et cette situation ne se résorba que très progressivement entre 1956 et 1959. C’est donc quatre années après la fin du peuplement de Belle-Beille que tous les travaux furent achevés ».

Le M.R.U. présenta néanmoins la construction de la cité Belle-Beille comme une grande réussite aussi bien technique qu’esthétique dont la presse se fit largement l’écho dès 1953. Le quotidien Ouest-France ira même jusqu’à la qualifier de ‘’Cité enchanteresse’’.  

Vue d’ensemble en 1955 – Archives municipales de Angers 4Fi4212 

La ‘’cité Spontex’’, selon ses habitants

Pour la suite de cet article, je ne pouvais pas mieux faire que de reprendre (avec son aimable autorisation) les propos de Gwenaëlle Legoullon dans deux articles publiés en 2013 et en 2016 sur la construction des Grands ensembles, en particulier celui de la Belle-Beille :

« Les premiers habitants arrivèrent en 1954 et se plaignirent immédiatement des mauvaises conditions d’habitat. Les appartements étaient dépourvus de vestibules et de volets, les portes n’avaient pas de poignées. Tous ces éléments, comme bien d’autres, étaient facultatifs et restaient à la charge des locataires. Enfin et surtout, l’humidité était omniprésente dans la cité et affectait considérablement les logements ». 

La localisation de la cité du Belle-Beille sur un plateau très exposés aux vents dominants pouvait expliquer en partie ces problèmes, mais « le bailleur ne pouvait nier l’existence de ces dégâts, puisqu’il avait refusé la réception définitive des logements en raison de l’étanchéité défectueuse des murs et des dégâts mobiliers qu’elle engendrait ».

L’exiguïté des logements, le procédé Beaupère et la qualité défectueuse des ventilations et des conduits de fumée semblaient être aussi à l’origine de ces problèmes d’humidité. 

« C’est l’absence de buanderie et la très faible superficie de la salle d’eau qui forçaient les mères de famille à faire la lessive dans la cuisine ; pour les mêmes raisons, ainsi que du fait de l’étroitesse de la cuisine, le linge devait sécher dans le salon ; l’aération était insuffisante et les ventilations bouchées parce qu’il faisait froid dans les logements. Ce froid était dû à l’absence de chauffage central dans une partie des logements et à la médiocre qualité des murs. Enfin, le surpeuplement des habitations résultait du choix de limiter les superficies des logements et de privilégier les petits appartements aux dépens des grands logements, malgré le nombre important de familles nombreuses à reloger et en dépit des mises en garde formulées par l’Office au MRU dès la conception du projet ». 

L’exiguïté des logements, le procédé Beaupère et la qualité défectueuse des ventilations et des conduits de fumée semblaient être aussi à l’origine de ces problèmes d’humidité. 

« C’est l’absence de buanderie et la très faible superficie de la salle d’eau qui forçaient les mères de famille à faire la lessive dans la cuisine.

Pour les mêmes raisons, ainsi que du fait de l’étroitesse de la cuisine, le linge devait sécher dans le salon ; l’aération était insuffisante et les ventilations bouchées parce qu’il faisait froid dans les logements.

Ce froid était dû à l’absence de chauffage central dans une partie des logements et à la médiocre qualité des murs.

Enfin, le surpeuplement des habitations résultait du choix de limiter les superficies des logements et de privilégier les petits appartements aux dépens des grands logements, malgré le nombre important de familles nombreuses à reloger et en dépit des mises en garde formulées par l’Office au MRU dès la conception du projet ». 

        Un immeuble en 1960 – Fonds Robert Brisset, Archives d’Angers 9 Fi 708

Errare humanum est, perceverare diabolicum !

« Malgré la bilan mitigé le M.R.U. imposa une extension de Belle-Beille. Les 679 logements devinrent donc ‘’Belle-Beille I ’’ et deux autres programmes furent construits sur le même site avec le même procédé de construction. Belle-Beille II (400 logements) et Belle-Beille III (265 logements) furent construits en 1957-1958 et en 1959-1960.

Le grand ensemble rassembla donc au final 1.312 logements, d’emblée condamnés à une dégradation précoce et accueillant des locataires soumis durablement à des conditions d’habitat délétères et usantes ».

La conclusion de Gwenaëlle Legoullon jette un regard bien cru sur le poids des contraintes économiques et sociales pesant sur les décideurs publiques et les lourdeurs administratives :  

 Le quartier de Belle-Beille en 1970 – Carte postale La Cigogne, Archives de municipales de Angers 4Fi4339

« Les dirigeants du ministère du Logement, ex-MRU, étaient informés de cette situation, qui affectait tous les grands ensembles de cette période. Mais ils considéraient aussi que la construction de grands ensembles industrialisés était un succès puisqu’elle permettait à des centaines de milliers de personnes de sortir rapidement des taudis, des garnis, des baraquements et des bidonvilles. C’est pourquoi ils décidèrent de développer encore davantage la politique des grands ensembles tout en concevant des logements de meilleure qualité. Ainsi la loi-cadre de 1957 prévoyait la construction de 300 000 logements collectifs par an ».

Il faudra attente 1959 pour que Pierre Sudreau, ministre de la Construction, insiste dans son l’Instruction générale sur la politique de construction des Grands Ensembles sur la nécessité de concevoir des logements à la fois industrialisés, solides, réellement adaptés aux besoins des familles, qu’une attention particulière soit apportée à la qualité des constructions quant à la condensation et à l’isolation phonique et thermique et les immeubles soient mieux protégés du vent par des espaces verts mieux conçus. Instruction qui arrive trop tard pour un trop grand nombre de logements et qui ne sera que partiellement appliquée. Preuve en est la situation que l’on connaît encore aujourd’hui dans de nombreux quartiers. 

JL V

SOURCES :

Je tiens à remercier tout particulièrement pour avoir accepté que nous puissions publions de larges extraits de sa publication à propos de la cité Belle-Beille.

  • ‘’ Angers, Cité Belle-Beille ‘’, Travaux et Architecture, n°11/12, 1954
  • ‘’ Cité Belle-Beille à Angers ‘’, Architecture Française, n°183/184, 1957
  • ‘’ Les grands chantiers de la construction de logements au début des Trente Glorieuses en France ‘’, Gwenaëlle Legoullon, 2013, https://shs.hal.science/halshs-01202254v1
  • ‘’ La construction des grands ensembles en France : émergence de nouvelles vulnérabilités environnementales ‘’, Gwenaëlle Legoullon, VertigO – la revue électronique en sciences de l’environnement [Online], 16-3 | Décembre 2016, Online since 20 December 2016, connection on 29 October 2025. URL: http://journals.openedition.org/vertigo/17984