La maison à portique de Jean Prouvé, dite « 8×12 » (en référence à ses dimensions), propriété de Didier Quentin, député et maire (Les Républicains) de Royan (Charente-Maritime), va quitter son bord de mer, boulevard Germaine-de-la-Falaise, pour être remontée dans un lieu encore indéterminé. Elle a été vendue au galeriste Patrick Seguin, spécialiste de l’œuvre du génial ferronnier et designer de Nancy, salué par Le Corbusier et proche de l’abbé Pierre. La demande de permis de démolir – ou plus exactement de « démontage », selon le document officiel – est arrivée le 29 septembre en mairie. L’architecte conseil de la ville, Vincent du Chazaud, membre de l’association des amis de Jean Prouvé, s’en est ému : « La maison est en train de partir. » L’avis qu’il a adressé a été, dit-il, « virulent ».
Issue des nombreuses recherches de Jean Prouvé (1901-1984) sur la préfabrication et l’industrialisation de l’habitat individuel pour les plus démunis, la maison 8×12 fait partie d’un groupe de pavillons identiques, dotés de structures en acier et de panneaux en aluminium. Ils avaient été commandés au lendemain de la seconde guerre mondiale par le ministère de la reconstruction et de l’urbanisme (MRU). Tous sont installés à Meudon (Hauts-de-Seine) et à Roubaix-Tourcoing (Nord), sauf le prototype de Royan, le seul à ne pas être classé.
Posée à titre expérimental, en 1951, face à l’estuaire de la Gironde, la maison devait rassurer le MRU sur la tenue des panneaux en milieu marin. Un programme plus vaste adoptant cette technique devait s’appliquer aux bâtiments à construire sur la côte dévastée par le bombardement de janvier 1945.Soixante ans après l’installation du pavillon, et en dépit de son état d’abandon, le test du MRU – qui n’a pas retenu la solution globale de Prouvé – s’est avéré positif. La 8×12 a même résisté à la tempête de 1999.
La demeure est une propriété de famille. Elle a abrité l’agence d’architecture du père de Didier Quentin, Marc Quentin, ancien élève d’Auguste Perret. En 2012, le maire de Royan décida d’en faire sa permanence parlementaire. Le bâtiment s’est ensuite dégradé. Peu avant, l’élu avait reçu avec les honneurs Catherine Prouvé, la fille du constructeur, ainsi que Jean Masson, l’un de ses anciens collaborateurs, mais n’avait, semble-t-il, pas été sensible à leurs conseils pour réhabiliter la construction.
« Je suis le cœur à vif avec cette histoire, explique le maire, mais c’est le seul bien que je puisse négocier rapidement : le fisc est insistant ». L’élu doit régler d’importants droits de succession, et évoque une possible dation à l’État, restée sans suite. Que le pavillon soit rayé du paysage patrimonial de la ville ? « Entre deux maux, il faut choisir le moindre », rétorque le maire. Soit, qu’il disparaisse avec la garantie d’être restauré, plutôt qu’abandonné sur place. Pourquoi alors ne pas l’avoir vendu in situ ? « J’ai essayé d’en convaincre Patrick Seguin. Il n’a pas été convaincu. » Une hypothèse confirmée par une modification en cours du plan cadastral. Une fois la parcelle de 700 m2, désormais nue, revendue, le maire jure veiller à ce que la future construction qui y sera édifiée « illustre l’architecture immédiatement contemporaine, l’architecture des années 2020 ».
Didier Quentin dit être notamment en pourparlers avec Jean-Michel Wilmotte. L’architecte évoque, lui, un vague projet de cinéma, dont il affirme pour l’heure ignorer l’emplacement exact.
« La maison de Prouvé a un sens par rapport au lieu où elle se trouve, confie le directeur du Conseil d’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement de Charente-Maritime, Michel Gallice. Elle est attachée aux caractéristiques expérimentales de Royan. Mais nous n’avons qu’un pouvoir d’alerte. Éveiller les consciences. » Reste à savoir si sa singularité historique et géographique – les maisons de Prouvé sont par nature détachées de tout contexte – incitera la direction régionale des affaires culturelles de Poitou-Charentes à recourir à un classement d’office.
Bien que saluée par le MRU comme un « laboratoire d’architecture moderne », et forte d’un label « Ville d’art et d’histoire » obtenu en 2011 par l’actuel maire, Royan a multiplié les outrages contre son patrimoine architectural contemporain. Ainsi, le bâtiment de la poste centrale à la géométrie aérienne, signé en 1952 par André Ursault, est défiguré depuis 1981 par une protubérance semi-circulaire. Non loin, les courbes « tropicalistes » des galeries Botton, réalisées en 1956 par Henri-Pierre Maillard et Armand Jourdain, inspirées de l’architecture du Brésilien Francisco Bolhona, sont parasitées par des enseignes et des stands.
Et que dire du casino municipal de Claude Ferret, chef de la reconstruction de Royan, dont le grand œuvre, achevé en 1961, est devenu le « halles Baltard » de la ville ?
Ce monument de grâce rayonnant sur la cité a été détruit en 1985 pour être remplacé par une tour de 58 mètres, qui finalement ne verra jamais le jour… L’enlèvement du pavillon Prouvé poursuit cette triste litanie.
Patrick Seguin possède vingt pavillons du constructeur nancéen, issus de différentes typologies. Il connaît celui du boulevard Germaine-de-la-Falaise depuis plus de vingt ans. « Cela fait cinq ou six ans que l’on en parle », explique le galeriste qui, pour l’acquérir, a versé « un montant important ». Deux années, dit-il, seront nécessaires pour lui « donner une nouvelle vie ». Sera-t-il revendu ? Il n’en sait rien. Cette renaissance a un prix. Une fois réhabilitées, les maisons Prouvé, conçues à l’origine pour les pauvres, se négocient jusqu’à plusieurs millions d’euros.
L’affaire du pavillon Prouvé intervient après celle du bois de Belmont. Didier Quentin a en effet été condamné en juillet à verser 7 500 euros d’amende pour prise illégale d’intérêts après avoir obtenu de son conseil municipal qu’une parcelle, propriété de sa famille, passe de « zone naturelle à protéger » à « zone destinée à une urbanisation future ». « Sur le plan politique, il n’a plus de risque électoral direct, suggère cet ancien collaborateur du maire. Non-cumul des mandats oblige, il a choisi la députation. En tant que député, vendre maintenant le pavillon lui pose beaucoup moins de problème. »
Jean-Jacques Larrochelle – Le Monde du 9 octobre 2015
Voici ce qui reste aujourd’hui de la maison 8×12 de Jean Prouvé : une ruine vouée à la démolition !
Son propriétaire a vu son permis de construire attaqué par un voisin. Le tribunal ayant annulé le permis de construire, le propriétaire a fait appel… Quel gâchis !
Et pour mieux vous faire une idée de ce qu’elle aurait pu être une fois restaurée, voici la photo de l’une de ses sœurs jumelles de la Cité ‘’Sans Souci’’ à Meudon :