Le groupe d’habitation du ‘’Vieux Pont’’ à Nanterre est un parfait exemple d’une opération importante pour l’époque (plus de 600 logements) réalisé par le duo d’architectes Roger Hummel et André Dubreuil, Second Prix de Rome respectivement en 1928 et 1927 et architectes de l’Office d’HLM de la Seine.
L’article que nous mettons en ligne a été publié en juillet 1951 dans la revue La technique des travaux.
Réalisée en pierre de taille, ce programme immobilier est encore particulièrement bien conservé et mérite vraiment d’être visité.
Un important groupe d’habitations à loyers modérés est en cours d’achèvement au lieu-dit ‘’le Vieux Pont’’ à Nanterre. Il constitue un exemple des heureuses réalisations rendues possibles par un emploi judicieux de ce matériaux foncièrement traditionnel qu’est la pierre de taille, lorsqu’elle est mise en œuvre sur un grand chantier et selon des procédés modernes de construction.
Le programme d’ensemble de la construction prévoir toute une série de bâtiments (A à K), un groupe scolaire et un stade, disposés sur un terrain de forme trapézoïdale que limitent au Sud-Ouest, le boulevard National, au Nord la rue Boileau (le long de la voie ferrée de Paris à Saint-Germain) et la rue Thomas Lemaître, et au Sud-Est la rue Lamartine.
Les immeubles à usage d’habitation ont été répartis en trois tranches comportant au total 623 logements et 9.670 m2 de surface construite.
La construction a commencé à la fin de 1948 et la 1ère tranche a été achevée au début de 1951. La 2ème tranche est encore en cours d’exécution ; la fin des travaux, entrepris au début de 1949, est prévue pour la fin de 1951. La 3èmetranche sera commencée dès que les crédits nécessaires auront été accordés. Un début de réalisation du groupe scolaire est prévu pour fin 1951.
Les bâtiments comportent 4 étages, sous-sol et rez-de-chaussée. Ils sont en forme d’U ; dans les bâtiments d’angle, la façade qui occupe la partie centrale de l’U est de forme courbe. Les bâtiment sont séparés par des jardins et s’ouvrent sur le vaste terrain où seront édifiés le groupe scolaire et son stade.
Dans la hauteur du sous-sol, face au talus de chemin de fer, sont aménagés des garages pour automobiles. En outre, plusieurs locaux commerciaux ont été prévus sur le boulevard National et sur la rue Thomas Lemaître. Des garages à bicyclettes et à voitures d’enfants sont répartis dans les différents immeubles ; une cabine téléphonique publique est installée à proximité immédiate de la loge du gardien.
La construction est caractérisée essentiellement par le fait que la pierre de taille constitue l’élément de base. Chaque immeuble en effet, du type à murs et à refends porteurs, est en pierre tendre de l’Ile de France. Ce matériaux a été choisi parce que, dans le cas considéré, il fournissait la solution la plus économique : depuis plusieurs années, la technique de sa mise en œuvre a fait l’objet en France d’une véritable rénovation, de telle sorte qu’il lui est maintenant possible de soutenir la comparaison avec ses concurrents, au point de vue des prix de revient.
Un étude très serrée des conditions d’utilisation de la pierre de taille a été faite à cette occasion, et les résultats obtenus sont remarquables. Au lieu de transporter des pierres par blocs prétaillés comme autrefois, avec tous les inconvénients inhérents au transport, la pierre est acheminée à pied d’œuvre sous forme de gros blocs, directement de la carrière au chantier, où elle est sciée aux dimensions voulues à la tronçonneuse électrique. L’appareillage a été prévu par assise de plusieurs types, harmonieusement combinés ; l’aspect général qui en résulte est agréable et les pertes sont réduites au minimum.
Les murs de façade en élévation sont en pierre porteuses ; les encadrements des portes d’entrée des différentes baies et des verrières d’escaliers sont constituées par des éléments préfabriquées en pierre reconstituée.
Les murs intérieurs, de refend et d’escalier sont en pans de béton (poteaux et poutres) avec remplissage en briques creuses hourdées au mortier de chaux, sauf au rez-de-chaussée où il a été fait emploi des briques pleines.
Les cloisons intérieures sont en carreaux de plâtre ou en briques creuses (pour les soubassements des salles d’eau et cuisines), les planchers en béton armé avec hourdis en corps creux.
Le mode de construction adopté a permis de monter les étages très rapidement, les temps morts dus à la collaboration des divers corps de métier ayant été fortement réduits : trois semaines ont suffi pour chaque étage, plancher compris.
Le terrain naturel étant en contrebas des voies existantes, il a fallu le remblayer, d’où des travaux de terrassements importants, répartis toutefois sur l’ensemble de la construction. D’autre part, il a été nécessaire d’assurer la viabilité du groupe. L’alimentation en eau, gaz et électricité de ces construction a imposé la pose d’un réseau important et étendu de conduites (depuis des points distants de 5 à 600 mètres) : l’installation comporte trois transformateurs électriques et deux chambres de détente de gaz.
Couverture : Sur tous les bâtiments de 1ère tranche, un procédé particulier de couverture a été utilisé : toiture en zinc sans charpente, prenant appui sur le plancher haut des édifices. Des dès de béton de hauteur variable sont posés sur ce plancher haut. Ils reçoivent de pannes qui elles-mêmes supportent les chevrons sur lesquels on cloue un voligeage en planches, servant de support au zinc posé à ressauts (fig. 11 à 15).
Les appartements sont à deux, trois et quatre pièces. Ils comprennent : un ‘’bloc-service (entrée, cuisine, toilette, W.C.) orienté au Nord, une salle de séjour, et une, deux ou trois chambres suivants les cas (fig. 17 , 19 et 20). Les surfaces sont respectivement 47, 61 et 77 mètres carrés.
Les menuiseries extérieures sont en bois à la française, avec crémones métalliques ; les pièces d’appui sont à double feuillure. Les volets roulants sont en aluminium. Les huisseries intérieures sont métalliques, en fer profilés, avec portes planes. Les parquets sont en mosaïque de bois dans les chambres (fig. 18), le carrelage en grès cérame dans les pièces de service (fig. 21).
La salle de séjour reçoit un éclairage naturel abondant grâce à une baie rectangulaire et un oculus circulaire. Elle comporte une cheminée à plaque foyère rabattable ; son emploi n’étant qu’éventuel, elle ne nuit pas à la propreté du parquet.
Chaque logement comporte deux grands placards et un débarras supplémentaire pour ceux de trois et quatre pièces.
Ces indications suffisent à montrer à quel point l’architecte, en poussant aussi loin que possible la perfection des détails, s’est soucié du confort des habitants, bannissant tout luxe inutile, mais sans parcimonie.
Les cages d’escaliers sont éclairées par des dalles de verre translucide montées dans des châssis de bois, qui agrémentent l’aspect extérieur des façades. A chaque palier, les colonnes montantes sont enfermées dans des gaines fermant à clef, sans aucune saillie. Les ports d’entrée d’immeubles sont également d’une exécution très soignée (fig. 22). Elles sont en fer forgé, encadrées par un panneau en briques de verre (fig. 22). Les locaux des sous-sols prennent jour par des verres-dalles et sont aérés par des ventilations.
Les appartements de la première tranche sont pourvus d’un chauffage individuel au gaz. L’installation des appareils, dans le ca présent, n’était pas plus coûteuse que celle d’un système de chauffage central, tout en évitant les sujétions qu’entraîne dans un immeuble moderne le fonctionnement d’une chaufferie. Chaque habitant peut ainsi régler ou interrompre son chauffage comme il l’entend et paie lui-même sa propre consommation, tout en bénéficiant des avantages d’une tarification collective. La chaudière à gaz est disposée dans la cuisine. L’installation est prévue pour pouvoir éventuellement être alimentée par une chaudière individuelle à charbon.
Les photographies ci-jointes qui montrent les bâtiments achevés sous divers aspects et font ressortir plusieurs phases de construction, ont été choisies pour illustrer le bref aperçu ci-dessus : elles permettront au lecteur de se faire une idée plus précise des possibilités offertes à la construction, même dans le domaine des habitations à loyer modéré, par l’emploi rationnel de la pierre. L’impression général de sobriété et d’élégance qui se dégage de cette masse imposante de bâtiments – en attendant les massifs de verdure qui doivent compléter la silhouette, – témoigne assez que le maître d’œuvre a su concilier heureusement, dans l’ensemble comme dans le détail, les préoccupations d’ordre esthétique et les impératifs de solidité et d’économie. Le porche d’entrée (fig. 1) donnant accès à l’ensemble des bâtiments (à l’angle Ouest), à lui seul, avec ses motifs architecturaux, a déjà grande allure.
La mise en œuvre de la pierre de taille a été assurée par les entreprises E.S.C.A. et Pérignon. Les couvertures en zinc ont été réalisées, pour la première tranche, par l’entreprise Véron et Messager, et pour la deuxième tranche, par l’entreprise Duvelle et Cie.
André Bouchet
Ingénieur E.P.
Crédits photographiques :
Photo de l’en-tête et photos numéros : 1, 5, 6 : Architecture Française, 1952 numéros 125
Photos numéros 2, 3, 4, 7, 8 ,9 ,10 et 11 : La Technique des travaux, juillet 1951