France

La place de l’Hôtel-de-ville dans les années 50

La Reconstruction de Chatillon-sur- Seine 

En cherchant à couper ce nœud routier et ferroviaire entre Troyes et Dijon, le 15 juin 40, l’aviation allemande a détruit une partie du centre-ville.

La reconstruction de cette petite cité, dont le patrimoine architectural témoigne d’un riche passé, est révélatrice des oppositions qui ont pu naître entre les souhaits des habitants et des élus, et ceux du M.R.U. Pour l’illustrer, voici les points de vue de deux revues spécialisées de l’époque.

Les bombardements de juin 40 ont défiguré une partie du centre-ville

La petite cité bourguignonne avant-guerre
Après les bombardements du 15 juin 40

Le point de vue de la revue ”La Construction Moderne”

”La Reconstruction de Chatillon-sur-Seine”, par Pierre ARROU, publié en janvier 1953

Jolie ville bourgeoise de 4.000 habitants, assise sur deux bras de la Seine qui coule au milieu de la verdure des jardins, Chatillon-sur-Seine possède quelques beaux immeubles des XVI, XVII et XVIIIème siècles. L’un d’eux, en 1814, abrita le Congrès des Alliés. Un autre, de style Renaissance, dû à l’architecte Philandrier, sert aujourd’hui de musée. En 1940, son centre commercial fut atteint par le bombardement et l’incendie. Trois cents immeubles environ furent détruits.

Le Plan Laborie

Il convenait de reconstruire cette ville, de lui conserver son caractère architectural régional et d’éviter par conséquent des édifices d’un modernisme trop poussé. Le plan d’urbanisme et d’aménagement fut établi pat M. Laborie, D.P.L.G., et c’est M. Henry Viollet qui fut nommé architecte-en-chef et architecte conseil de remembrement.

Le remembrement général établi avec soin, réussit à rendre à chaque sinistré, proportionnellement réduites, les surfaces et les façades qu’il avait avant la destruction, et cela, sur des emplacements voisins de ceux autrefois occupés par lui.

Les îlots étant trop étroits, il ne fut malheureusement pas possible d’établir des rues intérieures desservant les arrière-boutiques, comme on a pu le faire par ailleurs, notamment au Havre et à Orléans.

Le plan de reconstruction de la zone Nord
Le Plan de reconstruction de la zone Sud

La reconstruction conduite par l’architecte-en-chef Viollet

M. Viollet, voulant éviter la monotonie et l’aspect ‘’caserne’’ des habitations à reconstruire, laissa à chaque architecte une certaine latitude de conception, tout en la dirigeant en vue de maintenir une harmonie générale. Il imposa les toits à grande pente, traditionnels dans une région où l’on est obligé de se protéger contre les abondantes chutes de neige. Il exigea une couverture en petites tuiles plates, dites ‘’de Bourgogne’’, vieillies dans la masse. Et, puisqu’il se trouvait dans un pays de pierre, il préconisa l’emploi de celle-ci, apparente de préférence, ou revêtue d’un enduit. C’est ainsi que la devanture de la plupart des magasins a été exécutée en comblanchien, la belle pierre du pays.

Au début de la rue Carnot (le Crédit Agricole a remplacé la Banque Nationale
Place de l’Hôtel de ville (aujourd’hui Place de la Résistance)
La rue des ponts, désormais rue du Maréchal de-Lattre-de-Tassigny…
… sur ces deux photos, à l’angle avec le quai de Seine

L’opposition du M.R.U.

Mais la situation économique et, il faut bien le dire, le point de vue différent du M.R.U. a conduit finalement à des conceptions opposées, peut-être moins onéreuses.

Pour réduire les frais et obtenir un meilleur rendement, on préconise maintenant en haut lieu les grandes compositions d’ensemble. En standardisant et en adoptant pour tout un îlot la même architecture, en employant des procédés de construction uniformes, on peut vraisemblablement espérer parvenir à un prix de revient inférieur à celui obtenu par la construction d’immeubles variés. Mais le résultat recherché ne peut être atteint qu’au détriment d’une diversité plus attrayante et plus française d’esprit.

Quoiqu’il en soit, les îlots de la zone sud de Chatillon-sur-Seine s’édifient suivant les instructions du M.R.U. et il est à craindre que les deux conceptions opposées donnent aux différents quartiers de la ville reconstruites des aspects contraires et disgracieux. Le style ‘’caserne’’, qui sévit dans de nombreux chantiers de reconstruction menace de contaminer à son tour Chatillon-sur-Seine, qui aurait gagné à en être protégé.

Dans le règlement d’urbanisme de la ville, il avait été prévu en outre que les immeubles n’auraient en aucun cas plus de deux étages. Mais l’engouement actuel pour les ‘’maisons hautes’’, justifié en partie par un désir d’économie, fait que Chatillon est entraîné dans ce mouvement ; on édifie à l’entrée de la ville un immeuble qui dépassera tous les autres et risquera par conséquent, de nuire à l’harmonie générale.

La conviction forte du journaliste de ”La Construction Moderne”

Il  serait regrettable que l’architecture de notre pays, qui, pendant des siècles a inspiré le monde entier, ne restât pas fidèles à ses meilleures traditions, tout en sachant les adapter, bien entendu, aux procédés modernes et aux méthodes nouvelles. Les architectes français ont-ils besoin d’aller chercher leur inspiration ailleurs que dans notre riche patrimoine ? L’Amérique et les Nordistes, qui font du neuf, ont leur légitime façon de voir : climat, mœurs et genre d’existence y sont différents des nôtres.

En ce qui nous concerne, nous n’avons, dans le domaine de la reconstruction, qu’à suivre notre propre génie. Il a ses titres de noblesse et sait très bien tirer parti des progrès accomplis pratiquement et techniquement en matière d’habitat, sans avoir à renier aucun de ses principes esthétiques.

Le point de vue de la revue ”Techniques & Architecture”

Article publié en mai 1951 sur la reconstruction de Chatillon-sur-Seine : 

Un commentaire sans appel

Pour ce qui est des commerçants, ils se lasseront avant longtemps de voir défiler devant leurs magasins, des voitures qui ne pourront s’arrêter sans provoquer d’embouteillages ; ils envieront alors leurs concurrents placés près des parkings (car l’automobiliste n’est un client possible que devenu piéton).

Ne nous lassons pas de dénoncer tout ce qu’a de vicieux un tel urbanisme, qui engendre des îlots fermés et par conséquent les taudis, qui ne laisse pas le moindre place pour le stationnement et les plantations, qui aligne les habitations le long des voies de circulation avec tous les inconvénients de la poussière et du bruit. Dans les quartiers ainsi conçus, les enfants, dès qu’ils ont franchi le seuil familial, courent des risques ; ils ne disposent d’aucun espace pour leurs jeux.

Ce cliché des immeubles de la rue du Président Sadi Carnot, montre à l’évidence que la reconstruction par multiples petits chantiers juxtaposés produit parfois le pittoresque, mais fort souvent aussi le désordre. Elle a l’inconvénient majeur de coûter très cher.

L’amélioration proposée par le MRU, refusée par la Municipalité

Devant la lenteur et le coût de la reconstruction de la zone Sud (située au sud de la Seine), le M.R.U. a tenté de faire valoir ses propositions.  

Plan initial du quartier Sud
Plan initial avec des îlots fermés
Proposition du M.R.U. avec des îlots ouverts

Et le journaliste de Techniques & Architecture d’ajouter : ” L’architecte a retrouvé le caractère traditionnel et l’échelle juste de la localité. Il a ordonné ses constructions sur une trame régulière exprimant une discipline architecturale qui n’exclut nullement la variété. Une telle forme de construction peut fort bien accueillir la diversité des créances de dommages de guerre et satisfaire les besoins de chacun. Basée sur la normalisation des éléments, elle est beaucoup plus rapide et, pour une qualité nettement supérieure, coûte moins cher. 

Avec le recul 

Il semble bien qu’un terrain d’entente ait été trouvé. Tous les bâtiments prévus initialement par le plan de reconstruction n’ont pas été réalisés. Les immeubles qui ont été construits de part et d’autre de la Porte de Roche (aujourd’hui rue du Maréchal de Lattre de Tassigny) ont adopté les mêmes gabarits que ceux du quartier nord. Certains ont des façades en pierre apparentes, mais la plupart en enduits.     

JL V 

SOURCES :

  • ‘’La reconstruction de Chatillon-sur-Seine’’, Pierre Arrou, dans la revue La Construction Moderne, janvier 1953
  • ‘’Chatillon-sur-Seine’’, revue Techniques & Architecture, mai 1951
  • ‘’Chatillon-sur-Seine, reconstruction du centre-ville’’, Observatoire des CAUE