La Reconstruction

Falaise, le 11 décembre 1951

La Reconstruction vue du ciel en 1951-52

La revue Techniques & Architecture a publié en septembre 1952 une série de photographies aériennes prises à la demande du MRU pour montrer l’état d’avancement des chantiers de la reconstruction.

L’article est signé par Pierre Dalloz qui a été Directeur de l’Architecture au sein du MRU et proche collaborateur d’Eugène Claudius-Petit.

Ces quelques photographies, choisies parmi beaucoup d’autres, ont été rapportées de plusieurs vols récents au-dessus de la France. Un coup d’œil sur les documents, qui sont tous datés, a clairement renseigné le Ministre sur l’état d’avancement des divers chantiers. Il lui a par surcroît permis de comparer. C’est ainsi qu’Abbeville, sortie du sol en quelques six mois, rend plus sensible le retard de telles ou telles autres localités, où de opérations de reconstruction, pourtant financées, n’ont marqué le terrain, dans les mêmes six mois d’aucune fouilles. L’argument péremptoire, n’admet qu’une réponse : la hâte de rattraper, autant qu’il se pourra le temps perdu…

Lisieux, le 11 décembre 1951

Pour le Ministre et pour ses conseillers, appeler par nécessité à juger de haut, ces photos aériennes ont le grand intérêt de fournir des images livrant l’essentiel. Nous n’aurions garde d’oublier : l’architecture est faite pour être vue au sol ; elle vaut par la modénature, la qualité des matériaux, les proportions, le soin que doit la main de l’ouvrir à chaque détail. Aussi bien l’essentiel dont il est question, dans le cas d’une ville, c’est le geste exprimé par les grands tracés et les volumes. C’est le parti. 

Marseille, le 3 mai 1952

Qu’on survole Le Havre, qu’on survole Marseille : on a tôt fait de constater l’équilibre et l’autorité du plan de Perret et que l’unité de Le Corbusier, en dépit de ses dix-sept étages, ne pèse pas. Il est clair que nous aurions eu tort de laisser édifier un mur continu devant les immeubles de second et de troisième rangs déjà construits sur le Vieux-Port. Il est clair qu’à Toulon, la ville, débloquée du côté de l’est, pourra mieux respirer ; que nos actuels chantiers du quai de Stalingrad appellent, dans les vingt ans qui viennent, la reprise totale des vieux quartiers ; que de nouveaux immeubles devront être édifiés sur les terrains du port marchand ; que le tracé, en vue de l’eau de la route de Nice ne pourra que favoriser l’essor de Toulon comme ville de tourisme. 

Mulhouse, le 2 mai 1952

Tout esprit impartial pourra le constater : la construction de logements, même nombreux, ne crée pas forcément, comme certains le prétendent, une métropolis vouée à la prostration de l’âme par l’usure mercenaire, par la répétition de formes monotones et par l’ennui. Cette vue défaitiste vaut-elle qu’on s’y attarde ? Nous avançons, pour ce qui nous concerne, dans les voies du pari confiant et de l’espoir. Nous pensons – et nous nous efforçons de le démontrer – qu’il est un art de jouer avec les volumes, d’inventer de toujours nouvelles dispositions, de manière que l’ensemble soit agréable à habiter et beau à voir. Au reste, s’il n’était pas possible de faire, en construisant des logements, de l’architecture, il ne nous resterait qu’à rejeter, dans les catégories disgraciées de l’utilitaires, le cour Mirabeau à Aix, la places des Vosges, le Palais Royal et même Versailles…

Le Havre, 23 août 1951

Vu du ciel, et même au sol, l’anneau brisé de Mulhouse s’impose dans la localité comme les avenues d‘Arles ou de Nîmes. On sent que la circulation sera par lui disciplinée et que la vie des habitants de cette unité sociable sera centrée sur le soleil, sur le silence et sur les frondaisons du cercle intérieur.

Il n’est pas inutiles de le souligner : tous les volumes architecturaux visibles sur ces photographies ne représentent que des logements ; sans les stades, écoles, mairies, églises qui les accompagnent ; sans les arbres de l’avenir et les jardins.

Plus la ville sera verte, et plus les ensembles purement architecturaux seront impérieux. Venise peut se permettre d’être ville de pierres dans l’espace marin de la lagune.

Toulon, le 3 mai 1952

Cette vue Falaise donne le ton, hélas ! de trop nombreuses localités en Normandie, dans la vallée de la Loire, entre autres. Elle exprime un urbanisme périmé qui s’est borné à élargir les rues anciennes, à sectionner à quarante-cinq degrés, pour de fallacieuses raisons de visibilité, les angles des îlots, à permettre à chacun, entre ses murs coupe-feu, le libre déploiement de ses fantaisies architecturales. Voyez le beau fronton de marbre du charcutier et ses belles lucarnes ! Le produit de cet urbanisme ignorant de l’automobile, qui a laissé se contaminer les unes par les autres toutes les notions et les nécessités d’habitation, de circulation et de commerce, ce sont ces déplorables îlots fermés, étroitement fermés sur eux-mêmes, et déjà encombrés par toutes sortes de constructions, assurément utiles mais désordonnées : entrepôts, petits ateliers, garages, qui reproduisent à neuf la forme des îlots-taudis crées par le temps. 

Abbeville, le 12 mars 1952

Une forme comme celle de Lisieux, qui n’est encore qu’un timide pas en avant dans le sens que nous croyons bon – îlots ouverts, constructions avouées sur leurs quatre faces, liberté de la voie par rapport au commerce et de l’habitation, jardins ou espaces intérieurs et parkings – marque pourtant avec la forme de Falaise une rupture qu’il serait vain, et mauvais pour notre propos, de minimiser.

Les images ont leur éloquence. Ce serait aujourd’hui un récit un peu long, et peut-être à certains égards prématuré, de narrer comment s’accomplit, dans maintes villes de ce pays, cette bénéfique révolution des idées et des formes.

Pierre DALLOZ

Techniques & Architecture, septembre Octobre 1952

Amiens, le 12 mars 1952
Ammerswihr, le 2 mai 1952
Sète, le 3 mai 1952