France Réhabilitations exemplaires

Réhabilitation exemplaire : la Tour Lopez à Paris

Construite à la fin des années 50 pour héberger les services parisiens de la Caisse Centrale des Allocations Familiales, l’édifice se devait d’être aussi fonctionnel qu’innovant. Et ce fut le cas. Mais les problèmes se sont accumulés au fil des ans au point que la Sécurité Sociale va chercher à se défaire de cet ensemble immobilier. 

Mais c’est sans compter l’action des défenseurs du patrimoine. Menacée de destruction, la tour Lopez est finalement entièrement réhabilitée par ses nouveaux propriétaires. 

Comme on l’a vu précédemment (cf. l’article ‘’la Tour Lopez, Manifeste de la Modernité’’), la décision de la Sécurité Sociale d’installer une façade essentiellement en matières plastiques pour faire des économies, a fait que la tour Lopez s’est très vite vue affubler du surnom de ‘’la tour infernale’’ en référence avec la chaleur à l’intérieur des locaux.

Au milieu des années 60, le bâtiment principal a été classé parmi les Immeubles de Grande Hauteur. De très importants travaux de mise en conformité auraient dû être entrepris, mais la Sécurité Sociale n’avait pas vraiment envie de les réaliser. 

La décision, au début des années 90, de décentraliser les services de la Caisse Centrale des Allocations Familiales au niveau des départements, a condamné encore un peu plus le site parisien devenu objectivement trop vaste et trop coûteux. 

La perspective d’une cession de cette grande parcelle en plein Paris avec la possibilité pour des promoteurs de réaliser une juteuse opération immobilière, a constitué alors pour les dirigeants des Allocations Familiales, du Ministère de la Santé et de Bercy une réelle opportunité pour combler en partie le ‘’trou de la Sécu’’. Ces dirigeants vont donc faire flèches de tout bois pour mener à bien cette opération.

10 ans de polémiques et de procédures 

Pour tirer le meilleur parti du terrain, la CAF dépose en 1997 une demande de permis de démolition. Heureusement, des architectes et des historiens de renom se sont entretemps mobilisés pour obtenir le classement de l’édifice. 

Le Ministère de la Culture engage alors la procédure de classement et commande une étude de faisabilité pour la réutilisation du site. Le 9 novembre 1998 est publié l’arrêté de classement de la Tour Lopez. 

La CAF conteste immédiatement l’arrêté de classement. Le 30 juin 1999, le Tribunal Administratif de Paris annule l’arrêté. Mais le 9 mai 2000, a Cour Administrative d’Appel de Paris annule le jugement en premier ressort. La CAF décide donc de saisir le Conseil d’État. 

Face à cette situation de blocage, et dans l’attente de la décision du Conseil d’État, une conciliation est organisée visant à identifier différentes options de transformation du site. 

Le 29 juillet 2002, le Conseil d’État annule l’arrêté de classement au titre des Monuments Historiques aux motifs suivants : « la pose des pare-soleil en aluminium sur les panneaux de façade et la dégradation de ces panneaux ont profondément altéré l’ouvrage originel » ; « les travaux de réhabilitation envisagés auront pour effet d’altérer profondément, voire de faire disparaître, les éléments faisant l’originalité du bâtiment ».  Décision rarissime et contestable. 

La polémique repart en octobre 2002, quand la CAF dépose une nouvelle une demande de permis de démolition. Le Ministère de la culture donne un avis négatif concernant la démolition de la tour Lopez. Une seconde conciliation permet d’aboutir à la vente du terrain par la CAF à deux promoteurs (OGIC associé à BNP Real Estate) sur la base du projet conçu par les architectes Dominique Hertenberger (141 logements seront construits en lieu et place des bâtiments de faible hauteur qui seront détruits) et ARTE Charpentier (pour la restauration de la Tour et de l’immeuble pont qui accueille notamment le restaurant). Les permis de démolition et de construire sont accordés en juin 2004. 

Le plan-masse d’origine © CAF
Le plan-masse de la rénovation © Arte Charpentier

Une transformation de fond en comble de l’immeuble 

Compte tenu de ses dimensions, le bâtiment principal a été classé en 1967 comme un Immeuble de Grande Hauteur (I.G.H.). Pour éviter les contraintes découlant de ce statut, les architectes en charge de la réhabilitation ont très vite proposé de concentrer les locaux techniques au huitième et dernier étage. De plus, les sept étages occupés de l’immeuble rénové sont désormais tous accessibles aux échelles des camions de pompiers.

Pour faire perdre à la Tour Lopez son surnom de ‘’tour infernal’’, il était évident qu’il allait falloir remplacer le mur-rideau d’origine composé d’une structure en aluminium et de panneaux de remplissage en polyester stratifié et équiper le bâtiment d’une climatisation.

Par ailleurs, on ne pouvait conserver les planchers d’origine constitués par un tôle métallique de 1,5 mm renforcé par des nervures en tôles pliées et recouvert par une couche d’Isorel et d’une finition en Bulgomme. Dans un tel édifice, les planchers doivent en effet être suffisamment solides et pouvoir servir de coupe-feu.  

Enfin, si la structure métallique d’origine était encore en parfait état, elle allait toutefois devoir être sensiblement renforcée pour supporter le poids des nouvelles façades, des nouveaux planchers et des nouveaux équipements. C’est ce que l’on peut constater sur le schéma ci-contre.

Le renforcement de la structure © Arte Charpentier

Les nouvelles façades 

Le mur-rideau d’origine a été remplacé par une double-peau constitué d’un mur-rideau extérieur suspendu en verre feuilleté extra-clair reprenant la trame en aluminium de 3,30 mètres de largeur. La peau intérieure est constituée quant à elle de menuisière en mélèze reprenant la trame de 1,32 mètre.

Les deux parois sont distantes de 55 centimètres. Le dispositif est ainsi ventilé naturellement, mais il est cloisonné tous les deux étages pour éviter l’effet cheminée.

Avec ce mur-rideau en verre, la tour Lopez retrouve la transparence voulue par ses concepteurs, mais que l’étroitesse du budget alloué par la Caisse d’Allocations Familiales n’avait pas permis d’installer.

© Vincent Fillon
© Vincent Fillon

Le renforcement de la structure et la pose de la double peau 

La charpente d’origine est conservée

Les suspentes de façades et des poutrelles longitudinales ont implantées

Puis sont posées les dalles de plancher en béton armé

La peau extérieure est composée de panneaux de 3,30 m par 3,20 m

La peau intérieure est elle constituée de menuiserie en bois de mélèze 

La restauration de l’immeuble-pont  

La structure métallique de l’immeuble-pont a été elle-aussi mise à nue pour être traitée. Le restaurant a été restauré entièrement. Seule la rangée des skydomes situés à côté de la tour a été supprimée pour des raisons de sécurité. 

photos © Vincent Fillon

La renaissance d’un Manifeste de la Modernité  

La Tour Lopez n’est pas classée au titre des Monuments Historiques et ne bénéficie pas du label ‘’Architecture contemporaine remarquable’’.  Sa réhabilitation a néanmoins permis de préserver l’essentiel de l’œuvre de Raymond Lopez. Ainsi réinterprétée et remise aux normes, elle a pu retrouver la transparence recherchée par ses concepteurs. Une architecture élégante qui demeure encore aujourd’hui comme un manifeste pour la modernité. 

JL V.

Articles rédigés à partir des ouvrages suivants :

  • Un monument historique controversé – La caisse d’allocations familiales à Paris 1953-2008” par Giulia Marino, Éditions Picard, 270 pages
  • La tour Lopez – renaissance d’une belle endormie 1952/2009”, par Pierre Clément, Éditions du Mécène, 2010, 171 pages
  • Architecture et patrimoine du XXe siècle en France”, Bernard Toulier, les Editions du Patrimoine, 2000, 356 pages