France

Laissez-vous conter la reconstruction de Beauvais

En juin 40, la ville est bombardée à plusieurs reprises, provoquant l’embrasement des maisons édifiées majoritairement en pans de bois. Le centre-ville est presqu’entièrement détruit, heureusement la cathédrale est sauve.

Le centre-ville va être reconstruit avec l’aide d’Albert Parenty qui était déjà à l’origine du plan d’urbanisme validé par la Municipalité en 1927.

La reconstruction de Beauvais témoigne de la capacité de ses architectes à recréer une ville moderne aux facettes multiples qui mettent en valeur les monuments historiques qui ont pu être conservés.

Nous reproduisons ci-après l’essentiel du texte de l’historien Patrice Gourbin édité par le Service du Patrimoine de la Ville car nous n’aurions forcément pas pu faire mieux.

Le Plan Parenty

Une ville dynamique

Au sortir de la Première guerre mondiale, Beauvais était en plein développement. La reconstruction des régions libérées y favorisait les industries du bâtiment, en particulier celle utilisant l’argile comme matière première (briques et tuiles).

De plus, la proximité de Paris permettait d’espérer l’accueil d’industries et de services. En 1919, la municipalité décida de se doter d’un plan d’urbanisme destiné à favoriser et à organiser l’extension de la ville. Elle fit appel pour cela à une agence d’urbanistes, dirigée par Albert Parenty. Elaboré dans le cadre de la loi de 1919 sur les Plans d’Aménagement, Extension et Embellissement (PAEE), le Plan Parenty fut définitivement approuvé en 1927. Ses grandes orientations furent maintenues lorsqu’il fallut reconstruire la ville après les destructions de 1940.

Le Plan Parenty de 1927

Extension et voirie

L’urbaniste, qui tablait sur un triplement de la population urbaine, préconisait l’annexion de quatre communes voisines (Saint-Just-des-Marais, Marissel, Notre-Dame-du-Thil et Voisinlieu). Deux grandes zones d’habitat étaient prévues sur les plateaux nord (Argentine) et sud (Saint-Jean). Le plan prévoyait également la refonte du réseau des grandes voies de communication.

Deux grandes pénétrantes se croisant à angle droit devaient être tracées au centre de la ville afin d’absorber le trafic des nationales de Paris à Amiens et de Rouen à Compiègne. Un pont-route était prévu à l’entrée de la ville, au débouché de la route de Paris afin d’éviter la traversée des voies de chemin de fer, du boulevard circulaire et de la rivière. Peu soucieux d’éventrer le centre par de grandes percées, le conseil municipal demanda à l’urbaniste de revoir sa copie sur ce point , mais le reste du projet forma jusqu’en 1940 , la matrice de l’évolution urbaine.

La place de l’Hôtel de Ville avant-guerre

Une ville détruite

Les destructions de juin 40

La ville fut bombardée une première fois le 20 mai 1940, mais c’est entre le 5 et le 9juin que se situe l’essentiel des destructions. Plus de la moitié des logements fut détruite, la quasi-totalité du centre-ville avait disparu. La cathédrale était intacte mais l’église Saint-Etienne était sévèrement endommagée, et sur 75 maisons classées ‘’monument historique’’, une dizaine seulement furent épargnées. En contrepartie, le rempart gallo-romain de la rue Philippe-de-Dreux réapparut, largement dégagé des constructions qui s’y accolaient. Quant à la prestigieuse Manufacture de la tapisserie, fondée en 1664, ses bâtiments furent totalement détruits. En 1944, la Libération occasionna de nouvelles destructions.

Beauvais en ruines

Les réalisations de l’Occupation

Soumise aux ponctions économiques allemandes, la France de l’Occupation était incapable de lancer la reconstruction des villes détruites. A Beauvais, le seul chantier lancé à ce moment fut celui du déblaiement. Organisé de manière à employer les nombreux ouvriers au chômage, il fut achevé au début de l’année 1942. Les gravats furent utilisés pour combler une zone marécageuse, et au sud comme remblai pour les plateformes d’accès du futur pont de Paris. 

Dans la ville en ruines, la vie était difficile. Des ensembles de baraques furent progressivement aménagés sur des emplacements libres : cités de logements du Jeu de Paume et le Franc-marché, ou cités commerciales comme celle de la place de l’Hôtel de Ville, la première construite.

C’est dans ce contexte difficile qu’Albert Parenty, l’auteur du plan d’urbanisme de 1927, fut chargé d’imaginer le plan de reconstruction. Il était associé à l’architecte Georges Noël (1907-1970), originaire de Beauvais et Premier grand Prix de Rome en 1937, qui en devint par la suite l’unique responsable. Le plan fut approuvé en mai 1942. Le 6 février 1943, le rattachement des quatre communes de périphérie, envisagée depuis 1927, devint officiel.

Des baraques au milieu des ruines

Le plan de reconstruction

Le plan de reconstruction, inspiré de celui de 1927, portait non seulement sur les zones détruites , mais aussi sur le développement et la modernisation du territoire urbain dans son entier. L’esprit général était de reconstruire une ville moderne, adaptée au XXème siècle (automobile, industrie, salubrité et équipement des logements) en évitant toutefois une rupture radicale avec l’esprit traditionnel de Beauvais : « nous oserons donc rechercher une architecture XXème siècle qui saura, elle aussi, s’harmoniser, si nous savons le désirer et surtout le vouloir, avec les beaux souvenirs des époques révolues ». Le réseau des voies, régularisé et élargi, suivait l’organisation ancienne. La traversée de la ville était reprise du projet Parenty, avec son pont-route, et complété par eux voies d’évitement, à l’est et au nord, permettant à la circulation de transit de contourner le centre.

Georges Noël prévoyait une étude architecturale plus approfondie de quatre secteurs choisis pour leur importance symbolique ou d’activité : les abords de la cathédrale, ceux de l’église Saint-Etienne, la place de l’hôtel de Ville, l’entrée de ville au pont de Paris. Le pont-route, prévu sur un plan courbe, était conçu pour offrir une vue panoramique sur la ville et mettre en valeur les silhouettes de la cathédrale et de l’église Saint-Etienne.

Le plan de 1942 : en jaune les zones d’habitation, en vert les espaces publics, en violet les zones industrielles – 1514 W1/3 Archives de l’Oise

De même, un certain nombre de rues était tracé en fonction des vues qu’elles offraient sur la cathédrale, en évitant un dégagement trop important. Une promenade archéologique devait enfin permettre la mise en valeur du rempart gallo-romain dégagé.

L’architecture des immeubles à reconstruire était réglementée afin de s’harmoniser avec les monuments conservés et de retrouver un peu de la physionomie ancienne. Les hauteurs étaient limitées, les pentes de toitures imposées. Les matériaux de construction étaient originaires de carrières locales (pierre de l’Oise), ou issus de l’industrie régionale (tuile, brique, pavés vernissés).

Elévation de façades pour la place des Halles et rue des Jacobins – Archives de l’Oise

Les matériaux

Trois grandes familles de matériaux ont été employées : la pierre calcaire , la terre cuite, le béton. Elles sont respectivement dominantes dans les trois grands ensembles urbains de la place Jeanne-Hachette, de la place des Halles et de l’entourage de la cathédrale, mais elles peuvent être utilisées sur un même édifice, ou en alternance dans une même rue, comme dans la rue Gambetta.

La pierre de taille, de noble apparence, est présente partout autour des monuments historiques anciens : rue Jean Vaast, dans l’axe du portail de la cathédrale, place Jeanne-Hachette, en accompagnement de la façade de l’hôtel de Ville. Autour de l’église Saint-Etienne, l’architecte a employé de très grandes pierres (5 blocs par étage)qui témoignent de la modernisation des méthodes d’extraction dans les carrières.

Le béton est souvent destiné aux éléments structurels ou de modérature : bandeaux, poteaux, corniches, et il accompagne aussi bien les surfaces de pierre que de brique. Il peut être bouchardé, de manière à donner une matière granuleuse, ou au contraire grésé (lisse). Des éléments préfabriqués peuvent aussi constituer l’essentiel de la surface u mur, dont la couleur et la matière sont étudiées pour se rapprocher de celles de la pierre.

Beauvais, centre traditionnel de production de briques et de tuiles se devait de faire la part belle aux produits tirés de l’argile. La brique permet, par le seul jeu de mise en œuvre, d’animer les surfaces/v Mais la terre cuite se décline aussi en simple matériau de revêtement : place des Halles, les murs sont habillés de carreaux rectangulaires. La céramique émaillée est aussi utilisée en habillage des parois de loggias, sous forme d’aplats de couleurs primaires.

Une diversité semblable existe aussi au niveau des toitures. L’ardoise côtoie la tuile, déclinée en plusieurs variantes : tuile plate traditionnelle place de l’hôtel de Ville, tuile mécanique brune (place des Halles) ou rouge. Autour e l’église Saint-Etienne, la tuile vernissée verte fait écho à la toiture de cuivre de l’hôtel de Ville.

Les trois places au cœur de Beauvais

Une composition incomplète

Le cœur actif de la ville voulu par Georges Noël est représenté par la séquence de trois places : des Halles, de l’hôtel de Ville (Jean-Hachette), et du théâtre (Maréchal-Foch). La logique d’origine est aujourd’hui peu perceptible du fait de l’absence de deux éléments essentiels, le marché couvert et le théâtre qui n’ont jamais été réalisés. Le caractère de chacune des trois places est défini par le choix des matériaux et du vocabulaire architectural.

Place des Halles

La place des Halles frappe par l’aspect libre et varié, voire disparate, des constructions qui y ont été élevées, et par sa couleur rouge brique. C’est là que devait se situer le centre commerçant de la ville. La brique, matériau facile et peu onéreux, était apte à en désigner le caractère populaire.

Sur le côté ouest, l’actuel parking aérien dont la façade est en retrait d’alignement est l’ancien garage Renault, l’une des seules constructions à avoir échappé aux destructions de 1940. Les côtés nord et est sont occupés par un ensemble homogène, dû à Louis Hippolyte Boileau, l’architecte-en-chef de la ville. Il s’agit d’un immeuble d’État (ICE), l’une des premières réalisations de la reconstruction de Beauvais entrepris à partir de 1946. La chaufferie collective de cet ensemble, située rue Nully d’Hécourt, est repérable à sa haute cheminée.

Place Jeanne-Hachette et place Foch

La place Jeanne-Hachette, dues à Georges Noël, a été conditionnée par la conservation de la façade ancienne de l’hôtel de Ville de 1753,que l’on voulait mettre en valeur par une architecture strictement encadrée. Il s’agit d’une place ordonnancée, c’est-à-dire que l’architecture y est homogène sur tout son pourtour (on doit toutefois noter que les façades ne sont pas toutes identiques car le budget des propriétaires dépendaient du montant des dommages de guerre qui leur avait été alloués NDLR). La rigueur et la noblesse de l’ensemble sont accentuées par l’utilisation exclusive de la pierre de taille. 

La place Foch, dont l’élévation est plus simple, possède le même caractère. Il s’agissait cette fois de valoriser la façade du futur théâtre, qui aurait dû être placé en perspective, dans l’axe de la rue d’accès.

L’œuvre de Jacques-Henri Labourdette

L’émergence de la modernité

Les réalisations de l’architecte Jacques-Henri Labourdette autour de l’église Saint-Etienne, rue de la tapisserie et boulevard Aristide Briand sont les éléments les plus originaux et les plus marquants de la reconstruction de Beauvais. L’architecte fut choisi à la fin des années 1940, au moment où le MRU cherchait à faire évoluer l’architecture de la reconstruction. L’objectif était de trouver des solutions pour en accélérer le rythme et en abaisser le coût sans sacrifier la qualité des équipements et du gros-œuvre. Il s’agissait aussi de s’inscrire plus volontairement dans les valeurs de la modernité : aération et ensoleillement de tous les logements, fonctionnalité, introduction des espaces verts, séparation des circulations.

Organisation

Autour de l’église Saint-Etienne, le plan-masse se caractérise par l’absence de toute division parcellaire. Le sol, désormais collectif, est offert à tous les habitants, ce qui permet l’aménagement de jardins et zones plantées. Des passages sous immeubles assurent la perméabilité de ces espaces et leur traversée par des voies piétonnes. Ils permettent aussi d’apporter des surprises visuelles en introduisant des percées inattendues.

Couleurs et matériaux

L’architecture, simple et colorée, est composée de manière très libre. Les baies ne sont pas répétées de manière uniforme d’étage en étage, mais sont au contraire disposées en fonction des besoins de chaque logement. L’utilisation de la belle pierre de l’Oise suffit à faire le lien avec le contexte. La couleur est présente sur le toit, couvert de tuiles vernissées vertes, sur les loggias, dont les murs sont revêtus de céramiques émaillées, et aux entrées. Rue Engrand Leprince, les portes sont ornées d’intéressants motifs abstraits, tous différents. Rue de la Tapisserie, les séquences d’entrée incluent dans une savoureuse composition plastique auvent, porte, vitrages, boîtes aux lettres et mosaïque de céramique. 

Extrait de la plaquette ‘’Laissez-vous la reconstruction de Beauvais’’ conçue sous la direction de Marie Ansart, animatrice de l’architecture et du patrimoine de la ville de Beauvais, mise en ligne sur notre site avec son aimable autorisation. Texte de Patrice Gourbin, historien, maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Normandie et spécialiste de l’architecture de la Reconstruction.  

A voir aussi à Beauvais…

La maison Biaggi
L’arrière de la place des Halles

Source :

  • ’Laissez-vous la reconstruction de Beauvais’’ conçue sous la direction de Marie Ansart, animatrice de l’architecture et du patrimoine de la ville de Beauvais, mise en ligne sur notre site avec son aimable autorisation. Texte de Patrice Gourbin, Docteur en histoire, enseignant à l’Ecole nationale Supérieure d’Architecture de Caen, spécialiste notamment de la Reconstruction et de la restauration du patrimoine.    
  • ‘’L’architecture de la Reconstruction’’, Gilles Plum, Éditions Nicolas Chaudun, 288 pages, 2011
  • ‘’Techniques & Architecture’’, mai 1951