Architecture scolaire

Le lycée du Raincy en cours de construction – L’Architecture Française, 1960

L’architecture scolaire de 1945 à 1960 

Dans les années qui ont suivies la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction des écoles détruites, le baby-boom, l’exode rural et l’allongement de la scolarité obligatoire vont entraîner la construction de plusieurs milliers d’établissements scolaires sur l’ensemble du territoire français.

La volonté des pouvoirs publics de réduire le plus possible les coûts et d’accélérer les délais de construction auront un impact déterminant sur l’architecture scolaire pendant au moins une trentaine d’années.

Par-delà cet article thématique, vous pourrez découvrir sur notre site plusieurs établissements scolaires construits pendant cette période aux quatre coins de l’Hexagone.

Rappel historique

La loi Guizot de 1833 impose à chaque commune, ou groupements de communes, de plus de 500 habitants, de disposer d’un local dédié à l’enseignement des enfants. 

Les lois Ferry de 1881 et 1882 instituent l’enseignement laïc gratuit et obligatoire pour les enfants de 6 à 13 ans et l’enseignement ‘’concentrique’’ où chaque matière est reprise chaque année en approfondissant en lieu et place du système ‘’successif’’ qui prévalait jusque alors et qui imposait aux enfants d’apprendre au cours de leur scolarité d’abord la lecture, puis écriture, puis grammaire, puis orthographe, et enfin calcul. 

La loi Goblet de 1886, qui ne concerne que l’enseignement public, définit les différents degrés d’enseignement : l’école maternelle, l’école primaire, l’école primaire supérieure pour les élèves qui n’ont pas accès au lycée, les lycées et l’enseignement supérieur. 

On voit alors fleurir dans les villes et les campagnes des écoles de quartier ou de village qui préparent avant tout à la vie active. L’enseignement secondaire quant à lui, souvent dispensé dans des internats, va se développer, mais de façon beaucoup moins sensible puisque restant l’apanage d’une minorité.

En 1936, la loi porte l’enseignement obligatoire jusqu’à 14 ans. Cette mesure ne sera toutefois vraiment mise en œuvre qu’après la Seconde Guerre mondiale avec la mise en place des allocations familiales.

L’architecture scolaire avant 1945 

L’architecture scolaire apparaît avec la loi Guizot de 1833. Celle-ci est en effet complétée par l’édition du recueil d’Auguste Bouillon qui propose des plans-types d’écoles. L’ordonnance de 1835 précise quant à elle que les filles doivent être séparées des garçons, ce qui va influencer fortement la construction des écoles. 

Au lendemain des lois Ferry, en 1884 la loi oblige les communes à se doter d’un bâtiment, distinct du logement du maire, pour y installer les bureaux de la mairie. Comme l’a souligné Maurice Agulhon dans son ouvrage ‘’La mairie. Liberté, Égalité, Fraternité’’ : « Bien des communes ont fait d’une pierre deux coups en bâtissant un édifice municipal qui soit à la fois mairie et école, la forme banale consistant à loger la mairie dans un corps central, et l’école des filles et celle des garçons – sagement séparées – dans les ailes symétriques de l’édifice ».

Au début du XXème siècle, la prise de conscience des conséquences de la scoliose et de la myopie, puis l’influence des hygiénistes après la Première Guerre mondiale, vont amener les pouvoirs publics et les architectes à vouloir construire des salles de classes plus lumineuses et mieux aérées.   

Durant l’entre-deux-guerres et dans les premières années de la Reconstruction, deux types d’architecture, que l’on pourrait qualifier d’expérimentales, s’opposent en France : les écoles pavillonnaires et les écoles en barre. 

Avec la Friedrich-Ebert Schule, l’architecte Ernst May  (1886-1970) construit en 1928 à Francfort la première école dites ‘’pavillonnaire’’ : les classes sont réparties dans des pavillons de plain-pied au milieu d’espaces verts. Les bâtiments bénéficient de grandes surfaces vitrées pour faire entrer la lumière et mieux ventiler les locaux. En France, l’école de plein-air de Suresnes construite en 1935 par les architectes Eugène Beaudoin et Marcel Lods, reprend ce type de configuration.

L’école Karl-Marx construire par André Lurçat à Villejuif en 1932 correspond à ce que l’on appelle les ‘’écoles en barre’’. Reposant généralement sur une ossature métallique permettant d’installer de larges baies vitrées, les bâtiments font trois étages, et sont orientés au Sud. 

L’école de plein-air à Suresnes
Le groupe scolaire Karl Marx à Villejuif

La massification des effectifs scolaires après-guerre 

L’afflux des élèves intervient, dès la fin des années 40 dans le primaire, et quelques années plus tard dans le secondaire. Cette hausse s‘explique à la fois pour des raisons démographiques avec les conséquences du baby-boom qui a commencé pendant la guerre, mais aussi parce que de plus en plus de familles souhaitent que leurs enfants poursuivent leurs études après l’école primaire et après le certificat d’études.  

Pour répondre aux besoins de la Reconstruction et de l’économie, les pouvoirs publics créent le baccalauréat technique en 1947 et l’âge de la scolarité obligatoire est portée à 16 ans en 1959 pour les enfants nés après le 1er janvier 1953. 

En 1881, le nombre des bacheliers n’excède pas 1% d’une classe d’âge, le pourcentage va passer à 5% dans les années qui suivent la Libération soit trente mille lycéens chaque année, 10% en 1960 et dépasser 70% en 2010. 

Parallèlement, les pouvoirs publics vont progressivement mettre fin à la coexistence des deux filières d’enseignement destinées aux enfants de 11 à 13,14 ans qui perdure depuis plus d’un demi-siècle : d’une part, celle des cours complémentaires dispensés gratuitement par des instituteurs dans les écoles primaires supérieures (EPS) essentiellement aux enfants des milieux populaires de façon à les préparer à la vie professionnelle dès 14 ans, d’autre part, les ‘’petites classes’’ du premier cycle avec des cours dispensés par des professeurs dans les lycées à une minorités d’enfants privilégiés, cet enseignement reposant pour l’essentiel sur les humanités. Cette coexistence disparaîtra en 1963 avec la création des collèges. Des établissements qui devront être installés dans des bâtiments distincts de ceux des lycées. 

Parmi les facteurs qui ont eu un impact déterminant sur l’architecture scolaire, il ne faut pas oublier de citer la généralisation de la mixité en 1962. Sans faire augmenter le nombre des élèves, cette décision va avoir un impact important sur tous les établissements d’enseignement jusqu’alors réservés uniquement aux garçons ou uniquement aux filles.  

L’architecture scolaire de la Reconstruction

Durant les premières années de la Reconstruction, la priorité a consisté surtout à réparer ou rebâtir les milliers d’écoles endommagées ou détruites pendant le conflit. On les estime à plus de 100.000. Puis il va falloir accueillir très vite les premiers enfants du baby-boom et ceux qui ont été relogés dans de nouveaux quartiers (comme celle du Haut-du-Lièvre à Nancy) ou qui ont quitté les campagnes pour venir habiter en ville. Face à ces urgences, le ministère a ainsi lancé dès 1949 plusieurs concours destinés à promouvoir des programmes-types destinés à être réalisés sur l’ensemble du territoire. 

Nombreuses sont les municipalités qui ont construit des ‘’cités scolaires’’ regroupant une école primaire pour les garçons, une pour les filles et une école maternelle. Le groupe scolaire Meudon-Bellevue en est un bon exemple (photos L’Architecture Française, 1960) :   

Le préau de la maternelle, au fond, les écoles primaires de filles et de garçons
Les trois cours de récréation, au fond les logements de fonctions

Comme l’a signalé Thierry Goyet lors d’un colloque à Caen en 2024 sur l’architecture de la Reconstruction, les municipalités ont souvent favorisé l’implantation de ‘’groupes scolaires’’ ou de ‘’cités scolaires‘’ à l’extérieur du centre-ville pour récupérer les terrains des écoles préexistantes et limiter le nombre et l’étendue des quartiers de compensations. On pourrait ajouter qu’il en fut de même pour beaucoup de nouveaux hôpitaux. 

Des architectes ont pu bénéficier d’une certaine latitude

Jusqu’au début des années 50, les architectes ont pu bénéficier d’une certaine latitude pour faire preuve d’innovation ou exprimer leur créativité. Ceci a permis par exemple la réalisation des écoles maternelles et primaires aussi réussies que celles de Ferrière à Martigues et du Vautoux réalisées avec le concours de Jean Prouvé ou l’école de garçons de Pierre Vago à Tarascon, le groupe scolaire des Blagis à Sceaux et l’école des Sablons Pierre Sémard de Jean et Charles Dorian, réalisée en 1950 avec Jean Prouvé ou le groupe scolaire Paul Bert de Guy Lagneau au Havre.   

L’école de garçons de Pierre Vago à Tarascon – L’Architecture d’aujourd’hui, 1953
L’école maternelle Paul Bert de Guy Lagneau au Havre – L’Architecture d’Aujourd’hui, 1953

Dans ses mémoires, Pierre Vago évoque avec nostalgie cette période : « A cette époque – 1948 – il n’existait pas encore la trame obligatoire de 1 m 75 qui fut imposée  – en plus de trop d’autres normes – pour toutes les constructions scolaires (…) qu’elles se situent au bord de la Méditerranée, dans le plat pays du Nord, dans les Alpes ou dans les Pyrénées, dans une grande ville ou  dans un village. De cette fameuse trame, au surplus mal choisie, on passa vite aux plans-type puis aux bâtiments-type, le rôle de l’architecte consistant dès lors à disposer sur le terrain divers boîtes dont les plans standards étaient déjà prêts, et éventuellement à choisir la couleur des peintures. Cette politique, appliquée presque sans exceptions pendant plusieurs dizaines d’années, contribua fortement à la baisse du niveau de l’architecture française ».

La circulaire ministérielle du 1er septembre 1952

La circulaire ministérielle du 1er septembre 1952 va réduire considérablement la marge de manœuvre des maitres d’ouvrage et des architectes. Ce texte fixe en effet un ensemble de normes très précises qui ont pour objectif de réduire les coûts et les délais de construction des établissements scolaires : « l’unification générale des dimensions permettra une économie en rendant possible l’industrialisation de la production d’éléments de construction ». 

Pour être parfaitement convaincante, la circulaire précise notamment que ‘’tout accroissement de dépenses qui résulterait de dimensions différentes de celles optimales ainsi arrêtées, pourra rester à la charge des collectivités locales“.

  • Le Ministère va imposer la construction, pour les établissements à plusieurs étages (donc essentiellement les collèges et les lycées), des bâtiments rectangulaires dotés d’un toit  terrasse, basés sur une ossature poteaux-poutres (métallique ou en béton armé) avec éléments de remplissage qui laissent une place prépondérante aux fenêtres. Les escaliers sont renvoyés aux extrémités sauf quand la longueur du bâtiment implique d’en prévoir également un au milieu. De fait, l’esthétique de la presque totalité des établissements qui seront construits selon ces normes adoptent une esthétique issue de l’architecture moderne.    

Tirant partie de la créativité de certains architectes, comme Raymond Petit au Raincy, le Ministère a néanmoins rapidement admis la possibilité pour les lycées de construire que les bâtiments légèrement courbés afin d’atténuer la rigueur architecturale des immeubles barre strictement parallélépipédiques. Le lycée mixte de Libourne de l’architecte Jacques Carlu et le lycée de garçons de Reims en sont d’autres très beaux exemples.  

  • Les architectes vont devoir désormais respecter une trame de 1,75 m de côté. Cette trame va néanmoins être portée à 1,80 m afin de correspondre aux dimensions des carrelages et des carrés de moquette afin d’éviter de trop nombreuses chutes au moment de la pose. Elle sera par la suite élargie successivement à 3,60 m, 7,20 m puis 14,40 m permettant ainsi de passer de la configuration en « barre » à celle des « plots ». 
  • La circulaire précise aussi les surfaces des salles de classes. Le nombre des trames permet ainsi d’augmenter la capacité d’accueil du nombre des élèves (20 élèves pour trois trames, 30 élèves pour 4 trames, 40 élèves pour 5 trames) ou de prendre en compte le matériel spécifique à l’enseignement de la chimie, la biologie, la géographie ou du dessin notamment. Les salles de permanences font quant à elles 90 m2
  • Depuis la fin du XIXème siècle, sous l’impulsion des hygiénistes,  les couloirs étaient positionnés latéralement pour permettre aux classes d’être orientées de façon à pouvoir profiter du maximum de lumière. En imposant à partir de 1952 des couloirs centraux, l’impératif de réduction des coûts de construction va conduire à ce qu’un grand nombre de classes soient moins bien orientées, donc plus sombres, et probablement moins bien ventilées.
Libourne, lycée mixte, partie Nord de l’externat – Architecture Française, 1961
Libourne, détail du plan du rez-de-chaussée de 1956 – Région Nouvelle Aquitaine, Inventaire général du patrimoine, Bassoche Adrienne 2023

La procédure des ‘’commandes groupées’’

Une direction de l’équipement scolaire, universitaire et sportif (Desus) est créée en 1956 au sein du ministère de l’Éducation nationale afin d’accélérer et mieux contrôler les programmes de constructions scolaires.  

En 1957, le ministère va lancer un concours destiné à retenir des prototypes d’écoles par le biais de « commandes groupées ». La commande groupée du département de la Seine-et-Oise en est un bon exemple. On peut également aussi citer celle de la Moselle et de la Haute-Marne avec des ossatures en béton et une autre commande groupée lancée, toujours en Seine-et-Oise avec des ossatures métalliques. 

Extrait des plans-types de l’école Mécano pour une commande groupée pour la Seine-et-Oise – Architecture Française, 1959

Cette démarche est toutefois restée assez limitée et ne concerne chaque fois qu’un nombre restreint d’écoles. Ce n’est qu’en 1962 que l’État organisera les premiers appels d’offres nationaux pour la construction de collèges et de lycées. 

Comme le souligne Antoine Prot, « la volonté d’industrialisation de la construction des établissements scolaires va se heurter à deux principes fondamentaux de la commande publique : l’annualité budgétaire et la mise en concurrence ». Le ministère des Finances  acceptera que le ministère de l’Éducation organise des concours nationaux pluriannuels, mais pour autant que les entreprises soient remises en concurrence chaque année. Quant à l’Ordres des Architectes, il finira par admettre le passage obligé des concours lorsque le nouveau ministre Pierre Sudreau intègrera des architectes dans les jurys des concours.    

Le 1% artistique

Reprenant une initiative introduite par Jean Zay en 1936 lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale, son successeur en 1951 décida de généraliser la présence de l’art dans l’ensemble de ces établissements en instituant l’obligation de consacrer 1 % du montant de l’investissement à la création d’une œuvre artistique. 

Libourne, lycée mixte, partie Nord de l’externat – Architecture Française, 1961
Libourne, détail du plan du rez-de-chaussée de 1956 – Région Nouvelle Aquitaine, Inventaire général du patrimoine, Bassoche Adrienne 2023

L’évolution de ces établissements

Nombreux ont été les internats construits après-guerre auprès des collèges et des lycées. Ces internats vont toutefois se vider progressivement dans les années 60 avec le développement des services de ramassage scolaire. Ils seront utilement transformés en salles de cours pour accueillir la croissance toujours très forte du nombre des élèves dans les années 60 et 70.  

La cité scolaire André Borne de Montélimar en est un bon exemple. Elle comprenait à l’origine un collège et un internat pour les garçons, et un collège et un internat pour les filles. Les internats furent par la suite supprimés, l’ensemble pu ainsi accueillir un collège et un lycée, ces deux établissements étant mixtes. 

L’internat de garçons, à gauche celui du 2ème cycle, à droite, celui du 1er cycle – Architecture Française, 1959

Conclusion provisoire

L’intense effort de rationalisation des coûts et des délais de construction a certes permis de répondre à l’explosion du nombre des élèves. Cela c’est néanmoins traduit par une uniformisation des bâtiments et à un appauvrissement de l’architecture scolaire. L’incendie du collège de la rue Pailleron dans le XIXème arrondissement de Paris en 1973, faisant suite à l’incendie du dancing du Cinq-sept à Saint-Laurent-du-Pont, émeut l’opinion et va mettre un coût d’arrêt à cette course à la réduction des coûts et des délais de construction des établissements scolaires. Faute d’un terrain suffisant pour héberger tous les élèves à scolariser, un collège de 4 étages avait été construit alors que sa structure ne pouvait porter que deux étages. De plus, les matériaux utilisés pour les plafonds, les cloisons et les façades étaient défectueux. 

Il faudra attendre la décentralisation au début des années 80 pour voir les maitres d’ouvrage permettent aux architectes de retrouver une certaine latitude dans la conception de ces édifices. 

Il faut toutefois citer quelques exceptions notables comme le lycée de Grand air d’Arcachon, conçu par l’architecte Paul Domenc, ou le lycée des métiers du bâtiment de Felletin, de l’architecte Jean-Pierre Paquet.      

JL V

Pour en savoir plus sur notre site :

  • L’école de Ferrière d’Alphonse Arati et Jean Prouvé à Martigues (1953) https://architecture-50.fr/ecole-jean-prouve-martigues-architecture-reconstruction-maxeville-panneaux-aluminium/
  • L’école Buffon du Haut-du-Lièvre de Paul La Mache à Nancy
  • L’école de garçons de Pierre Vago à Tarascon (1952)
  • L’école Paul Bert de Guy Lagneau au Havre (1952)
  • Une commande groupée en Seine-et-Oise d’écoles avec une ossature classique
  • Une commande groupée en Seine-et-Oise d’écoles avec une ossature métallique
  • Le lycée Albert Schweitzer de Raymond Petit au Raincy (1959)
  • Le lycée Max Linder de Jacques Carlu de Libourne (1959)
  • La cité scolaire de Montélimar