La crise du logement est un phénomène si aigu et si général qu’elle provoque dans tous les pays la recherche des solutions les plus originales, comme des plus traditionnelles. L’auto-construction n’est pas la moins intéressante de ces manifestations.
Elle est à la fois originale et traditionnelle au siècle de la division du travail et du progrès technique, illogique même en apparence, mais en apparence seulement.
C’est ainsi que débute l’article, publié en mai 1950 dans la revue Urbanisme, que nous reproduisons ci-dessous.
Traditionnelle, car la plupart des hommes ont toujours édifié eux-mêmes leurs demeures. Nos paysans le font souvent encore et voici que les travailleurs des villes ayant besoin de se loger retrouvent le geste naturel de leurs ancêtres bâtisseurs. Suédois, Canadiens, Hollandais, Belges, Allemands, Russes, Italiens naturellement. Anglais mêmes et Français ont compris tout l’intérêt de l’auto-construction.
Mais, contrairement à ce que certains croient, l’auto-construction ne consiste pas pour le futur habitant à construire seul sa maison en effectuant tous les travaux sans recours au spécialiste. Elle signifie seulement apport de travail aux heures de loisir. Ainsi comprise, l’auto-construction a pris le nom de « système Castor ».
Ce système revêt des formes diverses selon les expériences qui en sont faites aujourd’hui. Maus quels que soient les moyens de financement ou les méthodes de travail, il se définit par quelques traits essentiels.
1° Un apport de travail.
Qu’il s’agisse ou non d’un travail de spécialiste du bâtiment, cet apport doit être suffisamment important. Il est admis qu’un minimum de 600 heures de travail doit être réalisé par e futur habitant, appelé « Castor ».
2° Au heures de loisir.
Il ne s’agit pas d’un travail rémunéré, mais d’une production supplémentaire en vue de construire sa maison ou de participer à la construction d’une cité.
3° Une exécution parfaite.
Appel doit être fait aux spécialistes du bâtiment pour tous les travaux pour lesquels les « Castors » sont compétents.
Qu’ils apportent ou non leur travail personnel, les Français qui veulent construire peuvent bénéficier, soit de la législations sur les HLM, soit des récentes mesures relatives aux prêts du Crédit Foncier, aux exonérations fiscales et aux primes annuelles.
Le problème qui se pose à eux qui n’ont pas ou guère de capital en espèces est de fournir l’apport exigé pour obtenir les prêts :
Il est naturel d’admettre en principe que l’apport doit représenter une certaine valeur, sans pour autant déterminer les moyens qui ont servi à créer cette valeur.
Qu’il s’agisse de terrains, de capitaux, de matériaux ou de travail, l’essentiel est bien que les maisons soient en cours de construction avant que les premiers versements de l’organisme prêteur soient effectués. Il importe peu de justifier les dépenses par des factures, mais il est nécessaire et suffisant que la valeur de 10, 20, 25 ou 40% soit créée et correctement appréciée.
Une telle manière de voir les choses semble à la fois juste et réaliste. Elle a été admise dans son principe par les administrations compétentes (MRU, Finances, Caisse des Dépôts et Consignations) et il convient de rendre hommage à tous les administrateurs qui ont su considérer que l’apport-travail équivalait à un apport-valeur et permettre, d’abord à titre d’expérience exceptionnelle, puis d’une manière plus générale, la mise en route de chantiers par les « Castors », sous réserve d’un contrôle sérieux des opérations.
L’État d’ailleurs est le premier intéressé à la réussite des Castors, puisque pour de maisons de qualité identique les prêts consentis son inférieurs aux prêts normaux, car la plupart des « Castors » ne se contentent pas de remplacer seulement le capital qu’ils n’ont pas par le travail qu’ils fournissent. Ils cherchent aussi à réduire le coût de la construction par une bonne organisation de leurs chantiers. Les groupes importants formés en général en sociétés coopératives d’HLM, peuvent réduire de nombreux « frais généraux » grâce au caractère de leur entreprise et aux concours extérieurs qu’ils peuvent obtenir.
Plusieurs municipalités ont mis à la disposition des chantiers « Castors » des terrains à bas prix ou les ont cédés à bail emphytéotiques ou des prêts.
Les Caisses d’allocations familiales, encouragées par leur Union nationale et les circulaires des Ministres du Travail et de la Santé ont presque toujours accordé des avances à court terme permettant aux Castors d’acheter le terrain et les premiers matériaux, et de réaliser ainsi leur apport-travail avant de recevoir de l’argent de l’organisme prêteur.
La Caisse Nationale de Sécurité Sociale a parfois accordé des avances substantielles, dont les premières ont déjà été remboursées par les Castors, ce qui prouve qu’il ne s’agit pas là d’avances « à fonds perdus » mais bien d’avances qui seront remboursées.
Des entreprises privées ou nationalisées et des C.I.L. ont aidé les Castors par des cessions de terrains à bas prix, des prêts de matériels ou des conseils techniques.
Le MRU enfin a permis la réalisation de véritables cités « castors » conformes aux principes modernes de l’urbanisme et à la célèbre circulaire du 17 décembre 1949 en mettant à la disposition de certaines coopératives HLM des Castors, les services et la compétences de ses urbanistes en chef.
Mais s’il faut se féliciter que les Castors aient rencontré ces diverses concours, il faut aussi reconnaître que c’est bien à leur courage et à leur persévérance, à leur effort de travail et d’organisation qu’ils doivent leurs maisons ou leurs villages.
Et lorsqu’ils emménageront, tout ne sera pas terminé pour eux. Au seul point de vue financier, il leur reste à rembourser les prêts qui leur auront été consentis.
L’allocation-logement est une aide précieuse pour les chefs de famille que sont la plupart de Castors, mais l’annuité restant à leur charge représente encore 15 ou 20% de leur salaire. L’œuvre entreprise n’en est que plus méritoire. Parmi les premiers, les Castors ont su montrer le prix qu’ils attachaient à être bien logés. Ce n’est pas le moindre de leurs témoignages.
Ces méthodes de travail varient beaucoup d’une expérience Castor à une autre.
Le nombre des participants atteint 150 et se situe souvent autour de 80. Nombreux sont les groupes de 20 et l’on compte aussi des équipes plus réduites.
Le nombre d’heures de travail apportées aux heures de loisir par Castor oscille autour de 1.000 ou 1.200 heures, ais le rythme de travail est très variable. Certains petits groupes de 10 ou 20 membres ne craignent pas, pour la période d’élévation du gros œuvre, de travailler jusqu’à 20 heures par semaine, quitte à ralentir leur effort pour la finition, tandis que les groupes de 100 ou 50 échelonnent les travaux sur une période de deux an, travaillant par exemple 32 heures par moi, plu 10 heures par jour pendant les congés payés.
Une bonne organisation du chantier exige l’harmonisation entre les travaux effectués par les spécialistes ou entrepreneurs et ceux des Castors ; Les premiers en principe s’effectuent aux heures de travail normales et les seconds aux heures de loisir.
Dans les cas limites où il y a parmi les Castors un nombre suffisant de spécialistes, il n’y a pas de problème. Mais presque toujours, il est fait appel à des hommes de métier venus de l’extérieur. A l’échelle des petites équipes, il est encore facile de s’entendre sur les horaires ; à l’échelle de grands chantiers, il tend à se produire à peu près ceci : les Castors non spécialités défrichent du terrain, préparent la voirie, creusent les fouilles de maisons t même avec l’aide d’un ou deux spécialistes coulent les fondations.
Sur un grand chantier, le travail est ininterrompu, les maçons qui montent les murs ou les menuisiers qui préparent les charpentes sont là en permanence, cependant qu’il y a toujours quelques manœuvres libres pour décharger les matériaux ou effectuer de nouvelles fouilles et couler de nouvelles fondations. Les samedi et dimanche le nombre des Castors est plus important et le chef de chantier doit savoir prévoir toujours un volant de taches effectuer par les Castors qui se présentent.
Certains travaux, tels la construction d’un château d’eau ou dans le cas de maisons collectives la réalisation de l’armature des immeubles. Certains groupes « Castors » envisagent même de s‘entendre avec une entreprise qui accepterait la participation en travail de leurs membres.
Enfin, il est intéressant de noter que pour des raison aussi bien techniques que psychologiques les maisons se construisent en même temps, aucune n’étant finie et habitable longtemps avant les autres.
La encore, elles sont adaptées en fonction de l’expérience ses Castors
L’usage des matériaux préfabriqués n’est pas encore répondu chez les Castors. Un groupe fabrique lui-même tous les parpaings nécessaires à la construction, mais le nombre d’heures de travail devient considérable, sans que le prix de revient en soit diminué en correspondance.
Plus intéressante semble être l’utilisation d’éléments préfabriqués tels que planchers, portes ou fenêtres. Quant à la maison préfabriquée totale, à part quelques chalets isolés autrichiens, elles n’est guère en faveur chez les Castors pour le moment. Certains préfèrent ne pas supporter es premiers risques inhérents à toute nouveauté ; d’autres y voient une réduction excessive de la main d’œuvre castor ou encore des difficultés de montage aux heures de loisir en l’absence des spécialistes indispensables.
L’importance de l’outillage sur les chantiers Castors varie aussi pour bien des raisons. Certains Castors préfèrent utiliser un outillage important et mener rapidement leur expérience.
A l’inverse, pendant la durée des formalités nécessaires pour l’approbation du plan-masse, des Castors ne pouvant tracer dans le sol les premières lignes de leur cité future s’emploient à des travaux préparatoires que peut-être ils n’auraient jamais faits sans le temps mort administratif. Tel ce groupe de 150 Castors qui a effectué 30 .000 heures de travail en extrayant 8.000 mètres cubes de pierre d’une carrière des environs.
Ces quelques aperçus sont bien insuffisants pour donner une idée des différentes méthodes et technique employées sur les chantiers Castors ; leur variété correspond à la variété même de tous les chantiers de ce pays.
Et pourtant, malgré son apparence archaïque, le système Castor se situe par certains traits à la pointe du progrès.
A l’affût de tout abaissement de prix de revient, les Castors suivent avec attention les découverte scientifiques en matière de bâtiment ; ils étudient avec soin l’organisation de leurs chantiers et ils y sont obligés puisque l’apport-travail constitue un fait nouveau qui oblige à penser différemment de nombreux problèmes ;
Enfin, les groupes les plus nombreux ont décidé de ne pas construire seulement leurs maisons mais leurs cités et ils sont parmi les seuls constructeurs de notre pays à créer des ensembles où se réalisent en même temps mes maisons et certains équipements collectifs : foyer, coopératives, piscines, garderies d’enfants, etc.
La structure même des sociétés coopératives qui pratiquent la location-participation permet un urbanisme moderne et social : m »lange de maison individuelles et de petits collectifs, les types d’habitation étant peu nombreux ; voies pur piétons desservants les maisons, celles-ci n’étant pas séparées les unes des autres par des barrières. Chaque famille habitera sa maison, mais chacune aura conscience aussi de participer à la vie de la cité.
Que cette étude des moyens de financement ne laisse pas croire que tout se passe sans difficultés chez les Castors. Et comme ailleurs, en raison des formalités à subir, les programmes sont plus nombreux que les maisons en cours ou que les maisons habitées.
Sur quelques trois mille Castors qui ont de programmes, c’est-à-dire qui connaissant les terrains où ils font construire et les hommes qui vont apporter leur travail, plus de la moitié sont au travail, un quart des maisons environ seront habitées d’ici six mois, un bon nombre d’entre elles étant achevées aujourd’hui.
Qu’ils soient en petites équipes ou en groupes importants, les Castors tendent à former actuellement des unions départementales susceptibles de documenter les Castors de toute la France, par l’intermédiaire de leurs unions ou associations lorsqu’ils en existe et de représenter l’ensemble du mouvement Castor auprès des Pouvoirs Publics.
Car c’est bien d’un mouvement qu’il s’agit, d’un mouvement et non d’un système, le coût humain ne pouvant être dissocié du côté technique, surtout chez ceux pour qui l’effort physique et la volonté sont à la base du succès.
URBANISME, Mai 1950