Situé à 20 kilomètres au sud d’Amiens, le village du Bosquel a été presque complètement détruit lors des bombardements de juin 1940.
L’urbaniste, architecte et ethnologue Paul Dufournet va convaincre les autorités de Vichy d’en faire un modèle de la reconstruction de la France rurale. Mais le projet ne sera mis en œuvre qu’à la Libération.
Paul Dufournet aura ainsi repensé radicalement et reconstruit ce nouveau village, véritable « parangon d’une ruralité à réinventer ».
Une expérience unique, bien vite oubliée, qui mérite toute notre attention.
Le Ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme avait demandé à Paul de Roubaix de réaliser un film sur la reconstruction du village du Bosquel.
Sorti en 1947, le film ‘’Le Bosquel, un village renaît’’ permet de visualiser ce qu’était ce village avant-guerre, l’ampleur des destructions et les efforts déployés par l’architecte-en-chef en charge de sa reconstruction pour convaincre les habitants. Avec le lyrisme propre à beaucoup de films de cette époque, il montre comment le village va renaître de ses ruines.
Nous vous invitons à visionner ce film avant de lire la suite de notre article
Le Bosquel comptait 244 habitants au recensement de 1936. La superficie de la commune est d’environ 10 kilomètres carrés, soit 10.000 hectares. Le village se situe dans un pays de champs ouverts où prédomine la grande culture céréalière. On y pratique l’assolement triennal (blé, puis avoine ou orge, enfin la jachère avec la vaine pâture la troisième année). Les parcelles, très morcelées du fait des héritages successifs, sont le plus souvent étroites et longues pour ne pas retourner trop souvent la lourde charrue. Les fermes sont donc concentrées au centre du village.
Les rues se présentent comme une succession de granges accolées sans aucune ouvertures, si ce n’est les portes cochères. Au milieu de la cour de chaque ferme trône le tas de fumier, symbole de la richesse du propriétaire.
Un premier remembrement avait eu lieu en 1934 faisant passer le nombre de parcelles de 3.000 à 400 pour 17 exploitants et 30 ouvriers agricoles.
Ce plan cadastral date de 1941. Les parcelles en noir sont celles qui appartiennent à M. Ropiquet.
En agrandissant la surface des parcelles et en supprimant la presque totalité des parcelles enclavées, ce remembrement a permis le développement de la mécanisation et a réduit sensiblement les charges de travail.
Les bombardements de début juin 40 vont détruire presque la totalité du village. Sur 110 maisons, 85 sont totalement détruites et 21 sont touchées. Seules 4 seulement intactes. Lorsqu’ils reviendront, les habitants vont devoir survivre dans des abris de fortune.
Né en 1905, élève de Tony Garnier à Lyon et architecte de l’Assistance publique de 1933 à 1939, l’urbaniste et architecte Paul Dufournet connaît bien l’architecture rurale picarde. Il envisageait en effet d’écrire une thèse sur ce sujet. C’est lui qui prend contact avec le Commissariat à la Reconstruction Immobilière pour le convaincre de le nommer en charge de la reconstruction de quatre villages sinistrés au sud d’Amiens : Le Bosquel, Oresmaux, Rumigny et Saint-Sauflieu.
Désigné début 1941 par le C.R.I. pour la reconstruction du Bosquel, il convainc les autorités d’en faire un site pilote de la reconstruction de la France rurale. Alors que le régime de Vichy cherche à promouvoir une vision très conservatrice (« la terre, elle, ne ment pas »), Paul Dufournet est convaincu qu’il convient de repenser radicalement la configuration de l’urbanisme et de l’architecture des campagnes.
Si le Commissariat à la Reconstruction Immobilière soutient le projet, le Ministère de l’Agriculture est beaucoup plus réservé considérant que Paul Dufournet « bouleverse délibérément l’économie séculaire de la ferme picarde ».
Il se fixe 3 priorités :
Et identifie 3 zones concentriques :
Un second remembrement est donc entrepris à partir de 1943. Il s’achève en octobre 1944. En suivant le principe du remembrement des exploitations en lieu et place du remembrements des propriétés, le parcellaire se réduit à 73 îlots de culture, le plus petit fait 30 hectares, le plus grand 185 hectares.
Anticipant la pénurie de matériaux de construction, Paul Dufournet va chercher à employer au maximum des matériaux de construction disponibles à proximité. Il prévoit que les fondations seront fait de béton de cailloux et les murs extérieurs de béton de terre stabilisé. Le sable sera donc remplacé par de la terre argilo-sableuse du cru.
Toutefois, le manque de moyens et la poursuite du conflit bloquent l’avancée du chantier. Paul Dufournet profite de ce temps pour peaufiner son projet. Aussi, à la Libération, il est fin prêt. Le M.R.U. l’inscrit donc dès février 1945 sur la liste des opérations prioritaires.
Paul Dufournet s’entoure de cinq architectes d’opération (Jean Bossu, Pierre Dupré, Louis Miquel, Raymond Séverat et Maurice Grandjean) auquel s’adjoignent l’ingénieur-conseil Robert Le Ricolais et l’architecte-conseil Mannes Degraaf. Les quatre premiers sont des anciens élèves de Le Corbusier.
Très vite, il apparaît que les objectifs de Paul Dufournet et de son équipe n’est pas de réaliser un village témoin permettant de tester des solutions économiques et reproductibles ailleurs sur le territoire comme le M.R.U. le fait avec des immeubles d’habitations ou des maisons individuelles. Ils souhaitent tout à la fois, cerner au mieux les souhaits et les besoins des fermiers et s’extraire des schémas traditionnels afin de concevoir la meilleure réponse possible.
” En jaune : le parcellaire urbain. En vert : les pâtures. En rouge : les labours. En blanc : le domaine bâti.
Au centre : les services communaux (école, mairie, foyer social, et le point d’eau (incendie). Face à l’église : le terrain scolaire.
On remarquera les redents des habitations distribués le long des voies, mais sans tenir compte de leur alignement. Ceci permet d’aérer les constructions en créant des perspectives renouvelées. On a essayé d’échapper aux perspectives ”en couloir”, sans dégagements latéraux que nous imposait un remembrement effectué sur le principe des parcelles dites à ” constructions continues”.
Toutes les fermes ont été redistribuées de manière à faciliter leur liaison avec les terres. Seules la ferme n°6 pourra se trouver gêner dans son développement : son propriétaire regrette maintenant amèrement de ne pas avoir suivi les conseils qui lui avaient été donnés de quitter le milieu du village pour sa périphérie”. Techniques & Architecture, mars 1946
Les premiers travaux entrepris permettent de reconstruire la voirie. La ferme Quesnel va servir de chantier pilote. Elle sera achevée fin 1946. Parallèlement, la construction de trois autres fermes sont entreprises : les fermes Cauchy Chanterelle, Ropiquet.
Alors que la ferme picarde traditionnelle est localisée généralement dans le village, en étant organisée autour d’une cour fermée où trône le tas de fumier, Paul Dufournet tient à construire en dehors du village des fermes avec des cours ouvertes, en éloignant le plus possible cette source de mauvaises odeurs du bâtiment d’habitation.
Le bâtiment d’habitation qui héberge la famille de l’agriculteur doit être plus vaste, bien aéré et doté du confort moderne. Les étables ne sont donc plus contigües au logement.
« la ferme à l’époque machiniste doit être une usine. L’architecte doit trouver une organisation rationnelle du plan ». Ainsi, on prévoit un grand bâtiment d’exploitation polyvalent, adaptable en fonction des besoins de chaque agriculteur, et donnant directement sur les champs. Deux autres bâtiments sont prévus : pour les annexes et une grange.
© SIAF-CAPA – Archives d’architecture du XXe siècle, Fonds Bossu, 192 IFA 203/14.
Toutefois, les projets de Paul Dufournet rencontrent de nombreuses difficultés. La pénurie de matériaux et de main d’œuvre qualifiée. L’opposition tout d’abord d’un certain nombre d’habitants, qui s’estiment lésés par les opérations de remembrement ou qui contestent la nécessité de détruire des bâtiments frappés d’alignement. Les pouvoirs publics qui tardent à verser les honoraires des architectes et à payer les entreprises, puis cherchent à réduire leur participation au financement du projet. Les travaux vont même être interrompus.
Si la construction des quatre premières fermes va être financée par des crédits de l’État, les autres propriétaires vont devoir adhérer en 1947 à une association syndicale de reconstruction et compter sur leurs seuls dommages de guerre.
En févier 1948, les pouvoirs publics ne renouvellent pas le contrat de Paul Dufournet. Les chantiers de la reconstruction du Bosquel seront désormais intégrés à ceux gérés au niveau du département de la Somme.
Le nouveau village du Bosquel se voulait le prototype d’une architecture rurale adaptée aux défis de la modernité.
En réalité, ces bâtiments, conçus pour une période qui n’a pas eu lieu, se révèleront obsolètes assez rapidement. Ces architectes n’ont en effet pas anticipé les conséquences de la mécanisation de l’agriculture, du développement des produits phytosanitaires, et de la concentration des exploitations qui vont s’accélérer à partir des années 50. Mais pouvaient-ils raisonnablement le faire ? Rappelons que le projet a été lancé en 1941.
L’architecture de la Reconstruction ne se résume pas au Havre, à Orléans ou à Royan. Plus de 350 villages ont été détruits. L’expérience du Bosquel reste toutefois unique, et mérite d’être connue et saluée.
JL V
Sources :