France

Le Centre post-cure de Fleury-Mérogis 

Le Centre post-cure Jean Moulin a été créé à la Libération pour accueillir d’anciens déportés atteints de tuberculose notamment, pour les ré-acclimater à la vie sociale et favoriser leur réinsertion professionnelle.   

Construit en 1948, le Club du centre Jean Moulin conçu par l’architecte André Bruyère est un édifice étonnant, malheureusement encore trop méconnu, sans doute parce qu’il se situe au cœur d’un hôpital.

Dans son livre ”Pourquoi des architectes”, pour expliquer la genèse du projet de construction du Club du Centre Jean Moulin, André Bruyère a écrit : « En 1947, Frédéric Ricol, Secrétaire Général de la Fédération des Déportés Internés, Résistants et Patriotes, avec lequel j’avais travaillé l’année précédente lors de l’étude du Monument National de la France aux Victimes des Guerres, est venu me dire « Nous venons d’acheter un château superbe, à 25 km de Paris, pour en faire un centre de Postcure ». Il avait été le responsable militaire de l’insurrection du camp de Mauthausen ». 

« J’ai accepté l’inévitable retape du château mais proposé, au lieu de l’habituelle concentration pour les anciens déportés, la construction, dans le parc, d’un lieu de réunion, club contemporain. Pour exécuter les travaux, une entreprise de gros œuvre, dirigée par les Domaines, s’était révélée la moins-disante. En cours d’exécution desdits travaux, nous recevons l’avis des Domaines liquidant l’entreprise. Nous avons continué les travaux généraux, construit le Club avec 80 ouvriers de l’ancienne entreprise (…). Ce fut une aventure rapide, chaleureuse, démentielle de pauvreté ».

Accompagner les rescapés des camps dans leur parcours de survivants

Esquisse du projet – André Bruyère – L’Architecture d’Aujourd’hui, mai 1949

Une souscription nationale avait en effet permis à la Fédération des Déportés Internés, Résistants et Patriotes d’acquérir un château du XVIIème situé au milieu d’un parc de dix-huit hectares sur les hauteurs de Fleury-Mérogis. L’objectif de deux présidents-fondateurs Frédéric Henri Manhès et de Marcel Paul, tous deux déportés dans le camp de concentration de Buchenwald : créer un lieu de vie associant traitement médical et soutien à la réinsertion professionnelledestiné à d’anciens déportés « ayant eu à subir une longue hospitalisation et contraints, du fait de leurs séquelles physiologiques à changer de métier ou, pour les plus jeunes à acquérir une première formation ».

Architecte visionnaire doté d’une sensibilité singulière, André Bruyère va réussir à convaincre les dirigeants de cette association de la nécessité de créer, à côté des locaux qui hébergent les patients, une structure qui va permettre à ces anciens déportés en convalescence de s’épanouir grâce à des activités artistiques et culturelles. 

Tel est l’objet du ‘’Club Jean Moulin’’ dont l’architecture est à nul autre pareil. Un bâtiment qui ne faisait pas partie du projet initial mais qui pourra être construit avec un budget particulièrement contraint.

Un architecte atypique

André Bruyère, de son vrai nom André Bloch-Nathan, est né à Orléans en 1912. Diplômé de l’École spéciale d’architecture, il travaille avant-guerre chez Émile Aillaud. Résistant pendant la guerre, membre des FFI, il adoptera définitivement son pseudonyme à la Libération. 

Très proche des mouvements de la Résistance et des Déportés, il a conçu en 1946, dans l’enceinte du Camp de Royal-Dieu à côté de Compiègne où passèrent tant de déportés, les éléments de scénographie des cérémonies commémoratives à la mémoire des victimes du nazisme. En 1949, il réalisera également le Monument français du camp de Mauthausen. 

Visualiser le Club du Centre Post-cure Jean Moulin 

L’édifice est de taille réduite, mais tant que l’on n’a pas eu la chance de le découvrir de visu, il est assez difficile à appréhender au première abord simplement à partir de textes et de photos. Un peu comme avec la chapelle de Ronchamp avec laquelle il présente un certain nombre de similitudes.

Aussi, nous vous proposons ces plans publiés dans le numéro de mai 1949 de la revue L’Architecture d’Aujourd’hui et ces  clichés anonymes qui sont issus du fonds André Bruyère déposé au Centre d’archives d’Architecture du XXème siècle : 

Ci-dessus : coupe longitudinale du bâtiment principal

B : plan du 1er étage : 1. Toit ouvrant ; 2. Balcon ; 3. Cabine de projection ; 4. Escalier ; 5. Salle de ping-pong ; 6. Vide

C : plan du rez-de-chaussée : 1. Guichet pour les billets ; 2. Vestiaires ; 3. Bar ; 4. Plancher de danse ; 5. Scène ; 6. Coulisses ; 7. Salle de jeux ; 8. Bibliothèque

La façade latérale gauche vue depuis la façade principale 
La même façade latérale vue de l’arrière de l’édifice
A gauche, la façade principale avec le porche formant une scène de théâtre, à droite, l’aile basse

La construction du Club Jean Moulin

Toujours dans son article publié dans la revue L’Architecture d’Aujourd’hui de janvier 1951, André Bruyère a précisé les détails de la construction de ce bâtiment : “Le parvis d’entrée est également la scène d’un théâtre dont le parc est la salle et l’escalier d’accès au balcon un jeu. La salle est fenestrée latéralement, les ouvertures étant orientées vers la scène.

La dalle en béton armé couvrant le bâtiment en aile et saillant largement en façade principale constitue la galerie de cure de l’établissement. a dalle de couverture a une inclinaison ascendante de la scène intérieure vers le parvis, les acoustiques intérieures et extérieures en sont favorisées.

Des portiques en béton armé charpentent la construction. L’escalier d’accès à la cabine de projection et à la terrasse est dégagé des murs. Une partie du toit est ouvrant.

Le rideau de scène est tenu par deux perches constituant une balance haubanée. Le bar a vue directe sur la scène et participe au spectacle.

La façade principale est vêtue de déchets de dalles en comblanchien dont certains fragments constituent volontairement de points saillants provoquant ombres et lumières. Les autres façades sont constituées par des agglomérés de ciment et de mâchefer jointoyés extérieurement au ciment blanc.

Les salles de jeux et de lecture constituant l’aile basse sont en contrebas du sol de 45 centimètres et la banquette courant sous un vitrage total prolonge à l’intérieur le niveau de l’herbe offrant une forme améliorée du plain-pied quant à l’intimité au paysage, on y est assis contre l’herbe.

Les salles de jeu et de lecture ont une paroi entièrement vitrée et l’opposée à peu près pleine sur laquelle un peu de couleur était souhaitable. Il ne pourrait être question de luter en réalisme avec le spectacle universel offert par le vitrage et ce sont des lignes colorées, des pleins aux couleurs d’une chimie manifestement artificielle qui apportent autre chose que la baie vitrée”.

Le château vu depuis le Club
L‘Ecusson de la FDIRP
Le porche avec les fragments de comblanchien
Le toit ouvrant n’a jamais été mobile
La salle de spectacle depuis la scène 
La fresque de A. Mercier-Masson

Épilogue

« Avec toute notre compréhension pour les pierres passées, nous sommes conduits à admettre que malgré le bon voisinage de ces deux constructions, le château et le club c’est le château qui a tort, mais avec bonté parce qu’hospitalier, quand bien même peu adaptable aux exigences actuelles.

La liberté de composition avait rencontré quelques inquiétudes. Pourtant ce fut elle, en partie, la cause d’un succès qui permet à l’établissement de surmonter des difficultés financières. 

Puis ce fut la routine. J’avais terminé ma tâche. Alors les salles de jeux devinrent salles de classes. 

Le hall d’entrée, de deux étages, se vit mutilé par un plancher pour donner encore une salle de classe. La facilité pratique et immédiate l’emportait sur l’intérêt général.

Cet avilissement fut proportionnel à la disparition des déportés soignés que remplacèrent les malades pris en charge par n’importe quel établissement agrée par la Sécurité Sociale ».

Extrait du ‘’Pourquoi des architectes’’ d’André Bruyère

 

JL V

SOURCES :

Mes remerciements tout particulièrement à Madame Isabelle BALADIER, fille d’André BRUYERE et à Madame Brigitte FORT VERNIERE, Présidente de l’Association des Déportés Internés, Résistants et Patriotes de l’Essonne.

  • ‘’Pourquoi des architectes’’, André Bruyère, éditions Jean-Jacques Pauvert, 1968
  • ‘’Le foyer de la maison post-cure à Fleury-Mérogis’’, L’Architecture d’Aujourd’hui, mai 1949
  • ‘’Le Club du Centre Jean Moulin’’, L’architecture d’Aujourd’hui, janvier 1951