France

Le ”chantier d’expérience” de Pol Abraham à Orléans

Le chantier expérimental d’Orléans est l’une des opérations les plus emblématiques engagées par le MRU dans l’immédiat après-guerre.

Piloté par Pol Abraham, l’architecte-en-chef d’Orléans, ce chantier d’expérience porte dès la fin de 1944 sur la construction de l’îlot 4 situé entre la place du Martroi et la rue Bannier . L’expérience sera prolongée jusqu’en 1949 avec les îlots 1, 2 et 5. 

Véritable laboratoire d’essai de plusieurs nouveaux procédés constructifs, il marque le basculement de la construction dans l’ère de la préfabrication industrielle.

Le ”chantier d’expérience” d’Orléans, pour reprendre la terminologie employée par le MRU, est directement piloté par Pol Abraham, qui vient d’être nommé architecte-en-chef de la ville fin 1944, assisté de l’ingénieur Jean Kerisel. Ce choix n’a pas été fait par hasard puisque ces deux spécialistes avaient déjà beaucoup travaillé sur l’amélioration des procédés constructifs auprès du Commissariat à la Reconstruction Immobilière de Vichy. L’îlot 4 comporte plusieurs bâtiments de trois ou quatre étages, 62 logements et des commerces en rez-de-chaussée-de-chaussée.

Pour mieux comprendre en quoi cette expérience a été novatrice, cet article reprend de larges extraits et la plupart des photos de l’article de huit pages entièrement consacré à ce chantier, que Pol Abraham a publié en septembre 1946 dans la revue Architecture d’Aujourd’hui. Il s’appuie par ailleurs sur l’ouvrage d’Yves Delemontey ‘’Reconstruire la France, l’aventure du béton assemblé’’.  

Repenser fondamentalement l’organisation d’un chantier

Face au manque de coordination des différents intervenants impliqués dans la construction d’un bâtiment, Yvan Delemontey explique que Pol Abraham va substituer « à la traditionnelle division par corps d’état (..) un découpage par élément complet (visant) à remplacer l’intervention successive des différents corps de métier par une exécution coordonnée ». `

Si pour Pol Abraham “le gros oeuvre ne pose pas de problèmes majeurs, en revanche, le second oeuvre, plus artisanal et improvisé, se révèle problématique” au point d’être parfois caricatural lorsqu’il apparait que l’intervention d’un corps de métier consiste souvent par commencer à démolir ce qui vient d’être fait par un autre corps de métier.

La lutte contre ”les temps morts” et le recours à des éléments préfabriqués en usine doivent ainsi permettre de compenser l’absence de main d’œuvre qualifiée et compresser la durée du chantier. 

Les procédés Croizat & Angle

Alors que traditionnellement, on monte un mur en empilant des pierres ou des briques, Pol Abraham a recours aux procédés Croizat & Angeli pour la construction de l’îlot 4.

Schématiquement, la première étape consiste à empiler un ‘’bloc-croisée’’ pour chaque fenêtre et deux rangées de dalles préfabriquées en usine. Les dalles de parement à l’extérieur de 7 cm d’épaisseur sont composées de ciment, de béton de pouzzolane et d’une fine couche de pierre calcaire reconstituée ; les dalles intérieures sont faites de plâtre avec un matelas isolant de pouzzolane.

Une fois que ces différents éléments préfabriqués sont fixés et assemblées au moyen d’un dispositif métallique provisoire assurant de façon précise le positionnement des éléments, on peut alors couler le béton dans les coffrages. On obtient ainsi un mur de 50 cm d’épaisseur totale. Les murs extérieurs s’édifient ainsi, sans échafaudage de pied, étage par étage.

Reste ensuite à installer depuis l’intérieur du bâtiment, en applique de chaque ‘’bloc-croisée’’, un ‘’bloc-ébrasement’’ intégrant le volet roulant de la fenêtre et un radiateur en allège.

Le béton de remplissage est avec du ciment et du sable de la Loire. Il peut être occasionnellement armé pour former des poteaux ou des linteaux.

Le coulage du béton au rez-de-chaussée
Le montage des ”blocs-croisées”
La façade se monte étage par étage

Et Pol Abraham de conclure : « le mur constitue bien un ouvrage exécuté sans désemparer au moyen d’un petit nombre d’opérations et ramassées dans le temps, aboutissant à un ouvrage absolument terminé, ne nécessitant aucune opération complémentaire de maçonnerie ni de parachèvement. En effet, les parements extérieurs sont absolument définitifs et ne nécessitent aucun jointement et les parements intérieurs sont seulement justiciables des travaux préparatoires du peintre en vue de l’application des peintures et du papier de tenture ».  

Ne pas hésiter à utiliser les dernières innovations techniques

Pour ce qui est des planchers, Pol Abraham utilise pour la première fois à l’échelle industrielle dans un immeuble collectif, des poutrelles en béton précontraint selon un procédé développé par l’ingénieur Eugène Freyssinet dans l’entre-deux-guerres.

Les poutrelles et les hourdis sont solidarisés par la traction exercée sur des câbles tendus transversalement. Comme le souligne Pol Abraham : “cette précontrainte s’opère sur le chantier avec une extrême facilité et se révèle aux essais parfaitement efficace”.

La pose des poutrelles de plancher

« La question des plafonds a été résolue en s’inspirant de la méthode américaine des plafonds flottants suspendus par des ressorts en vue de réaliser l’affaiblissement des bruits traversant les planchers. Il est bien évident qu’il ne peut être question de comparer le prix d’un plafond suspendu à celui d’une mince pellicule de plâtre étendue directement sous les hourdis. Le premier est inévitablement plus cher, mais l’on a estimé que, dans les immeubles collectifs, le droit au repos était aussi imprescriptible que le droit à l’hygiène hydraulique par exemple. Il s’agit donc d’abaisser au maximum le prix de ces plafonds suspendus ». 

La pose d’un faux-plafond suspendu

En ce qui concerne les cloisons intérieures, Pol Abraham est formel : « la préoccupation essentielle a été d’éliminer non pas le plâtre, matériaux admirable du bâtiment presque à tous égards, mais d’éliminer le plâtrier ». Les cloisons sont donc montées avec des plaques de plâtre expansé Samiex au moyen de règles et d’équerres métalliques permettant de couler des joints au mortier de plâtre.

Il se félicite du résultat : ” la rigidité des cloisons ainsi construites et la planéité de leur parements semblent plutôt supérieures à ce que les procédés classiques des enduits plâtre sur cloisons bruts en briques ou en carreaux de plâtre permettent normalement d’obtenir“.

La pose d’un faux-plafond suspendu

Utiliser des composants préfabriqués pour gagner du temps

« Les murs de refend longitudinaux porteurs sont complétés par des ‘’blocs-portes’’ complets supprimant également toutes façons de trous et scellement, ferrage, ajustage, électricité, (sauf passage des fils) et même peinture. Ces blocs à huisseries métalliques et panneaux multicellulaires peu déformables doivent obligatoirement comporter au montage le passage des canalisations électriques ». 

Pour les pièces  d’eau, Pol Abraham fait fabriquer en usine par Chaffoteaux & Maury des ‘’blocs-eau’’ baptisés ‘’Bloco’’ qui consistent en une cloison séparant la cuisine et la salle d’eau, et qui intègrent la plomberie (qui reste accessible au niveau des raccords), les gaines d’aération et de chauffage à air pulsé. Viennent s’y fixer d’autres éléments standardisés, fabriqués en usine (lavabo, miroir, chauffe-eau, toilettes, mais aussi le mobilier de cuisine…).

Le ”Bloco” de Chaffoteaux & Maury

Pour pouvoir installer des ”blocs-escalier” préfabriqués en usine, Pol Abraham normalise logiquement les dimensions des cages d’escalier. Et il y intègre des conduits standardisés qui facilitent le travail des entreprises qui installent les réseaux de distribution 

Autant d’éléments préfabriqués qui doivent permettre de comprimer les temps morts sur le chantier.

Des escaliers métalliques préfabriqués

Un bilan mitigé pour l’architecte, mais un tournant pour la construction

Selon Pol Abraham, le bilan de ce chantier d’expérience est mitigé, bien que prometteur. Il déplore tout d’abord que les opérations de remembrement n’aient pas permis d’harmoniser la largeur des façades. Ensuite, le chantier a cruellement manqué de moyens de levage et de transport des éléments préfabriqués. Par contre, le montage des murs, les planchers en béton précontraint, les faux-plafonds suspendus, et surtout les ‘’blocs-eau’’ ont atteint, voire dépassé ses espérances. 

Economiquement, le bilan n’est pas au rendez-vous, mais il s’agissait d’une première et le chantier a souffert du manque de matériaux et de la situation de quasi-monopole des entreprises ayant emporté le marché.   

Tout comme la cité du Merlan à Noisy-le-Sec, le chantier  d’expérience d’Orléans a ainsi été une véritable vitrine qui a permis de crédibiliser et de propager ces nouveaux procédés constructifs tant auprès des hommes politiques que des professionnels du bâtiments. 

Comme le souligne Xavier Clarke, : « Le chantier expérimental d’Orléans constitue une étape fondamentale dans l’histoire de la préfabrication appliquée au bâtiment. La mise en application des recherches développées en matière d’industrialisation des techniques de construction à toutes les étapes du chantier marque le début d’une nouvelle manière de bâtir qui transformera en profondeur le paysage urbain de la France durant la période des Trente glorieuses ».

JLV

SOURCES :

  • ‘’Le chantier expérimental d’Orléans’’, Pol Abraham, architecte-en-chef, Architecture d’Aujourd’hui, septembre 1946
  • ‘’Reconstruire la France, l’aventure du béton assemblé, 1940-1955’’, Yves Delemontey, Éditions de la Villette, 2015, 398 pages.  
  • ‘’Le patrimoine de la reconstruction à Orléans : un chantier expérimental en devenir’’, Xavier Clarke (ABF du Loiret), revue Pierre d’Angle de l’Association Nationale des Architectes des Bâtiments de France, septembre 2016.