La Reconstruction

Sotteville-les-Rouen

2/5. Le rôle déterminant
du MRU

Initiée par le régime de Vichy dès le début du conflit, la Reconstruction constitue une œuvre gigantesque, unique dans l’histoire de France, car un grand nombre de villes ont été rayées de la carte. Cette reconstruction va être menée à bien grâce au dirigisme des pouvoirs publics et à la mobilisation de l’ensemble de la population.

Les deux défis du MRU

Face à l’ampleur des destructions, le MRU allait devoir gérer simultanément deux priorités : d’une part, trouver des solutions temporaires pour reloger au plus vite les millions de sans-abri, et d’autre part, réaménager les villes sinistrées sur la base de plans d’urbanisme adaptés au monde moderne en construisant un grand nombre de logements neufs dotés du confort moderne. 

Le MRU se trouvait ainsi pris sous le feu des critiques, à la fois des sans-abri et leurs élus qui réclamaient des logements d’urgence à corps et à cri, et de ceux qui contestaient le bien fondé de ces logements provisoires au motif qu’il fallait consacrer les maigres moyens disponibles à la construction d’habitations durables.

Conscient que les logements définitifs ne seraient pas disponibles avant longtemps, le MRU décida de lancer la construction massive de logements provisoires. Au départ, surtout des baraques en bois ; puis progressivement des constructions plus solides. Pour ne pas gêner le réaménagement des centres-villes, la plupart de ces ‘’cités de baraques’’ destinées à loger les sinistrés et les ouvriers chargés de la reconstruction, furent installées à la périphérie des villes. 

Décision logique puisqu’à l’évidence, le déblaiement des ruines, l’évacuation des gravats, les opérations de remembrement et d’évaluation des dommages de guerre allaient prendre de nombreux mois avant que les premières nouvelles constructions puissent être livrées (cf. l’article ‘’ 3. Les attentes des sinistrés étaient immenses’’).

La politique de reconstruction du MRU

Les principes de la politique de la reconstruction posés par Raoul Dautry dès 1945 s’imposèrent à tous et ne furent pas remis en cause par aucun de ses nombreux successeurs, quand bien même ceux-ci (François Billoux, Jules Moch, Charles Tillon, René Coty, Eugène Claudius-Petit, Pierre Courant et Jacques Chaban-Delmas) venaient d’horizons politiques différents. 

Tous les plans de reconstruction et d’aménagement (PRA) présentés par les villes sinistrées devaient répondre aux principes généraux édictés par le MRU et qui sont en substance, les suivants : 

  • Réorganiser l’agglomération autour de zones dédiées de façon notamment à ce que les industries et les nœuds ferroviaires soient géographiquement distincts des zones d’habitation ; ce faisant, le MRU applique les principes du zoning issus de la Charte d’Athènes : « chaque fonction a sa place et sa logique, les fonctions sont interconnectées par les axes de circulation et forment un tout ».
  • Mettre fin à un parcellaire très étroit, source de logements mal éclairés et insalubres, remembrer les parcelles pour qu’elles soient plus grandes et plus régulières afin de pouvoir y construire des immeubles de logements sains et dotés du confort moderne.
  • Faciliter la circulation automobile par la rectification et l’élargissement des rues et par la création de rocades périphériques ; la hiérarchisation des voies de circulation étant également l’un des principes du fonctionnalisme de la Charte d’Athènes. 
  • Déplacer à la périphérie les hôpitaux afin de les agrandir pour les adapter à l’augmentation de la population et faciliter leur accès. 

Des principes directeurs que le MRU va tenter de promouvoir en éditant une plaquette destinée au grand public :  

Les moyens d’action du MRU

Les Pouvoir Publics disposaient à cet égard de puissants moyens pour imposer ces principes :   

  • Utiliser les dommages de guerre pour contraindre les particuliers et les entreprises à accepter le remembrement en profondeur des parcelles.
  • Ne pas hésiter à recourir aux procédures d’expropriation pour que l’intérêt général s’impose aux multiples intérêts particuliers.
  • Soumettre à l’approbation de l’Administration du MRU de tous les plans d’urbanisme et les demandes de permis de construire.

Quel style adopter pour reconstruire ?

Alors que le MRU a très vite défini les principes généraux devant guider l’élaboration des plans locaux  d’aménagement et d’urbanisme, ses orientations en matière de style architectural à adopter furent quasiment inexistants. Probablement car les visions des multiples parties prenantes (ministres en charge de la Reconstruction, pouvoirs publics, architectes, élus locaux, associations de sinistrés…) étaient par trop différentes. 

Pour bien comprendre le contexte dans lequel ces choix ont été faits quant au style architectural à adopter pour reconstruire les villes sinistrées, il faut réaliser qu’à la veille de la guerre, les constructions des architectes du Mouvement Moderne étaient peu nombreuses et concentrées essentiellement en région parisienne. Les tenants du modernisme, comme le ministre de la Reconstruction Raoul Dautry, étaient peu nombreux. La grande majorité de la population et des élus devait donc s’attendre à ce que leur ville soit reconstruite à l’image, mais en mieux, de ce qu’elle était avant 1940. 

On a vu ainsi fleurir un certain pluralisme esthétique

Dans son livre sur l’architecture de la Reconstruction, Gilles Plum identifie trois grandes tendances et dresse le bilan suivant : 

« On ne peut que constater la relative rareté d’une réelle architecture régionaliste telle s’imposait encore dans les années 1930 et telle qu’elle s’imposait encore dans les premiers projets de la Reconstruction. (Elle) se retrouvera cantonnée dans les règlementations de protection des sites, pour veiller avec un minimum de contraintes à ne pas détruire l’harmonie d’un paysage ». On pense ainsi en particulier à Saint-Malo intra-muros, à Gien, Blois et Beauvais.    

Beauvais

« Les théories de l’architecture moderne d’avant-garde ne se sont pas montrées suffisamment adaptées ni au point pour répondre aux besoins de la Reconstruction. C’est seulement à partir des années 50 qu’elles vont porter leurs fruits ». Au titre de la Reconstruction, on peut citer les unités d’Habitation de Le Corbusier à Marseille, Rézé, Briey et Firminy, et d’une certaine mesure les immeubles de Marcel Lods à Sotteville-lès-Rouen et la Frontale de Jean de Mailly à Toulon.  

Sotteville-lès-Rouen
Marcel Lods à Sottevelle-lès-Rouen

« Face au romantisme régionaliste ou à l’utopie moderniste » la grande majorité des bâtiments de la Reconstruction s’inspirent donc d’une architecture classique modernisée. Les plus beaux exemples étant les réalisations de Pol Abraham à Orléans, de Pierre Patout à Tours et d’Auguste Perret au Havre.    

Auguste Perret au Havre

A cela j’ajoute le cas tout à fait original de Royan, très inspiré par le brésilien Oscar Niemeyer ; « la ville la plus 50 de France » pour reprendre le mot de l’historien de l’architecture Jacques Lucan.  

Royan, la villa Spirou

L’innovation pour faire face à la crise du logement

Face à la crise du logement, les besoins de la reconstruction, tant de logements provisoires que d’habitations définitives, sont énormes. L’industrialisation des procédés constructifs et l’utilisation d’éléments préfabriqués standardisés apparaissent à tous comme indispensables pour accélérer la vitesse de construction des bâtis et réduire les coûts de construction. 

Dès 1945, le MRU va lancer plusieurs concours visant à construire vite des immeubles sur des terrains disponibles ou appartenant au domaine public, donc non concernés par les opérations de remembrement. Ces immeubles de logements vont être baptisés ‘’sans affectation individuelle préalable’’ ou ‘’sans affectation immédiate’’ (ISAI). L’État va ainsi préfinancer la construction de ces logements avant de proposer aux bénéficiaires de dommages de guerre de transférer leurs droits pour s’y installer. 

Au Havre, place de l’Hôtel de Ville – Archives municipales 
Inauguration de la Cité du Merlan © Archives municipales

Le MRU lance également en 1945 la construction de la cité du Merlan à Noisy-le-Sec. Composée de 55 maisons issues de 7 pays (Suisse, Suède, Finlande, Angleterre, États-Unis, Canada, France) et trois immeubles collectifs, cette cité expérimentale a pour objectif d’expérimenter en situation réelle les nouveaux procédés de construction rapides et économiques faisant appel à la préfabrication et à l’emploi de nouveaux matériaux. L’objectif est aussi de faire tester par leurs habitants de nouveaux dispositifs d’aménagements intérieurs (notamment avec des cuisines américaines) et d’équipements des pavillons (salle de bain…). On parle de ‘’chantiers d’expérience’’. Ces premières expérimentations à Noisy-le-Sec s’avèreront à l’usage plutôt laborieuses et souvent décevantes du point de vue des habitants. Les véritables progrès de la préfabrication viendront plus tard.   

A partir de 1949, l’envergure croissante des concours impose la constitution d‘équipes pluridisciplinaires  intégrant architectes, bureaux d‘études et entreprises. Le MRU veut en effet favoriser l‘expérimentation à grande échelle de nouveaux procédés constructifs dans le cadre de programmes de plus en plus importants.  

En 1951, le concours portant sur un programme de 800 logements pour le quartier de Rotterdam à Strasbourg, remporté par l’architecte prix de Rome Eugène Beaudouin associé l’entreprise Boutiron marque l’apogée de cette politique. 

Parallèlement, le MRU organise des missions d’études à l’étranger et a mené une intense politique d’achat de maisons préfabriquées venant de Suède, de Suisse, du Canada, des Etats-Unis et de Grande-Bretagne.

Le chantier de la Cité Rotterdam à Strasbourg, 1952
Appartement-témoin au Havre

Pour convaincre des sinistrés, très attachés aux habitats traditionnels, d’aller habiter dans les logements d’un type nouveau, le MRU va aller jusqu’à les inciter à visiter les maisons témoins et les appartements témoins qui fleurissent un peu partout, mettant surtout en avant la clarté des logements et tout le confort dont ils sont dotés.   

Si le MRU a eu un rôle déterminant pour définir la politique de reconstruction et conduire cet effort gigantesque, c’est aussi grâce à la mobilisation de la population et aux aides des Alliés. Les attentes des sinistrés étaient immenses. C’est ce que nous allons vous détailler dans le prochain article de cette série.

JLV

Article rédigé en grand partie à partir des documents suivants :

 ‘’La reconstruction des villes françaises de 1940 à 1954 – Histoire d’une politique’’ de Danièle Voldman  487 pages, édition L’Harmattan, 1997 

‘’L’architecture moderne en France’’, tome 2 ‘’du chaos à la croissance 1940-1966’’, de Joseph Abram, éditions Picard, 327 pages, 1999  

‘’L’architecture de la Reconstruction’’, Gilles Plum, Éditions Nicolas Chaudun, 288 pages, 2011

‘’De la  Reconstruction aux grands ensemble – triomphe et déviation du mouvement moderne’’, conférence prononcée par  Gilles Ragot à la Cité de l’Architecture du XXème siècle. 

‘’De la  Reconstruction aux grands ensemble – triomphe et déviation du mouvement moderne’’, conférence prononcée par  Gilles Ragot à la Cité de l’Architecture du XXème siècle.