France

2/6 : Les principes constructifs de l’Unité d’habitation

L’Unité d’habitation est plus qu’un simple immeuble.

Le choix de faire reposer les 17 étages sur des pilotis, de recourir à la préfabrication, d’installer des équipements collectifs sur le toit-terrasse, comme d’isoler au maximum du bruit les appartements et les contraintes financières imposées par le MRU sont autant de défis techniques qu’auront à résoudre les ingénieurs de l’AF-Bat, le bureau d’études de Le Corbusier.

Mais le résultat est là. Dès qu’il sort de terre, l’Unité d’habitation de Marseille acquiert une renommée internationale, tant par l’originalité de son concept constructif, que de la beauté de ses formes et la puissance de son architecture.        

Le Corbusier invente la cité-jardin verticale

Dès le début des années 20, le jeune Le Corbusier constate les villes se développent de plus en plus en construisant à leur périphérie des zones pavillonnaires dans lesquelles les habitants vivent à la fois, loin des de leur lieux de travail, et en toute promiscuité. Tout ceci génère beaucoup de temps passé dans les transports et un gaspillage énorme, tant économique qu’humain.

Or, selon lui, on doit faire en sortes que les habitants puissent vivre dans un environnement qui leur offre à la fois « soleil, espaces et nature, dans le silence et sans promiscuité ». 

D’où son concept de village vertical qui est conçu pour permettre à 1.500 / 1.800 habitants de vivre de façon autonome. Pour éloigner les logements du bruit de la ville et pour leur permettre de profiter tous d’une vue dégagée, il empile sur une plateforme posée sur des pilotis en béton (le ‘’sol artificiel’’), ‘’des petites maisons’’ (des duplex) particulièrement bien isolées d’un point de vue acoustique, dans un immeuble parfaitement orienté par rapport au soleil.

Les terrains économisés grâce à la construction en hauteur permettent d’offrir aux habitants de vastes espaces verts avec des terrains de sports. A cela, il ajoute tout un ensemble de services de proximité à la disposition des habitants.  

Ce faisant, Le Corbusier cherche à trouver cet équilibre entre individu et collectif qui permet de vivre à proximité les uns des autres tout en préservant l’intimité de chacun. Et il peut le faire dans des conditions économiques avantageuses grâce à l’emploi du béton brut et de la préfabrication puisqu’une « unité d’habitation de grandeur conforme » (conforme signifiant préfabriqués en séries) est conçue pour abriter de l’ordre de 1.500 à 2.000 habitants.

Le Corbusier invente aussi, le Modulor

A la différence de la beaucoup des architectes fonctionnalistes qui privilégient à l’époque des formes simples et l’absence de décors pour construire vite et à moindre coûts, Le Corbusier attache une importance toute particulière à la plastique des formes. 

Pour Joseph Abram, « l’unité d’habitation de Marseille surprend par sa force. Les formes généreuses des pilotis, la qualité tactile des bétons bruts, le paysage sculptural de la longue terrasse (137 m x 24,50 m) où dialogue les volumes utiles, les trames épaisses des façades, tout atteste d’une maîtrise plastique de la grande dimension. Ce contrôle des rapports visuels prend appui sur les théories du Modulor ». 

Définie par Le Corbusier,  le Modulor est une mesure harmonique basée sur les proportions du corps humain : la taille d’un homme divisée par la hauteur de son nombril correspond au nombre d’or (1,619). Ayant constaté, non sans surprise, que le respect de ces proportions « est agréable à l’œil et à l’esprit », Le Corbusier va prendre comme référence un homme de 1 m 83 pour dimensionner les différentes composantes de sa ‘’machine  habiter’’.  La hauteur sous plafond correspond ainsi au bras levé (2 m 26), la hauteur d’une table à 70 cm, etc…   Le bas-relief du Modulor devient naturellement l’emblème de l’architecture corbuséenne. 

La structure générale est donc innovante

L’immeuble est composé de quatre blocs indépendants, construits côte côte, et reliés par des joints de dilatation.

Trente-six pilotis de 8 m 50 de haut portent la plateforme que Le Corbusier dénomme ‘’le sol artificiel’’. C’est sur ce ”sol article” que repose l’ossature béton dite ‘’en casier de bouteilles’’ dans lequel chaque appartement vient prendre place. 

Plan du niveau 0, au niveau de la dalle, avec la marque des pilotis, le hall d’entrée avec les 3 ascenseurs et le monte-charge

A gauche, sur cette demi-coupe transversale, on peut voir que chaque piliers s’appuie sur une semelle en béton située dan le sous-sol et sur des fondations.

Les portiques transversaux (ci-dessus) sont distants les uns des autres de 8 m.38. Cet écart correspond au double de la trame de base de 4 m. 19 utilisée pour structurer le bâtiment, soit deux travées.

A droite, sur cette photo prise lors de la construction de l’un des quatre blocs, on distingue les piliers tronconiques qui porte le sol artificiel constitué en reliant les poutres transversales des portiques. Et sur le sol artificiel, les deux premiers niveaux de l’ossature en casier de bouteilles qui va accueillir les appartements.

L’ossature générale comprenant les fondations, les pilotis, le sol artificiel et toute la superstructure des étages supérieurs avec la tour des ascenseurs et la cheminée d’évacuation d’air) a été coulée sur place en béton armé. La stabilité de l’ensemble a été calculée ‘’pour résister à l’action du vent et aux accélérations simultanées du tremblement de terre’’.

Le reste du gros-œuvre, le murs correspondant aux circulation verticales et aux pignons, les revêtements des façades, les brise-soleil, les escaliers de secours, les cellules qui forment les appartements, les murs intérieurs des rues centrales, etc… sont constitués d’éléments préfabriqués confectionnés pendant la construction de l’ossature et mis en place au fur et à mesure. 

Les différents réseaux (eau, électricité, chauffage, ventilation et ordures ménagères) passent par les pilotis et le sol artificiel. Une grande partie des appareillages assurant le fonctionnement de l’immeuble (conditionnement d’air, chaufferie, etc…) sont installés dans 32 locaux techniques de 12 m. x 3 m. x 2 m. 37 situés dans le sol artificiel. Facilement accessibles par des trous ronds de 1 mètre de diamètre (visible sur la photo de chantier ci-dessus), leur entretien est beaucoup plus aisé que ceux qui sont traditionnellement enterrés.  

L’organisation des cellules d’habitation

Il a été apporté une attention tout à fait importante à l’isolation thermique et acoustique des appartements. Chaque cellule d’habitation se présente ainsi sous la forme d’un élément absolument indépendant n’ayant aucun contact avec les cellules adjacentes et étant séparé de l’ossature générale en béton par des boîtes à plomb installés dans le plancher ou des tampons et calfeutrement en feutre asphalté. Les pans de verre sont munis de vitrages doubles, posés sans mastic, à l’aide de profilés en matière plastique empêchant la synchronisation des ondes sonores.

Tous les appartements sont construits à partir de trois modules standards. Le premier comprend l’entrée, le couloir, la cuisine et le séjour ; le second est occupé par la chambre parentale et le bloc sanitaire tandis que le troisième module est destiné aux deux chambres d’enfants.

A partir de ces trois modules standards (X, Y, Z), il est possible de réaliser 8 combinaisons et en les associant, 23 types d’appartements différents.  

Classées de A à H, ces 8 types de ‘’cellules d’habitation’’ ont été conçues pour accueillir de 1 à 10 personnes, de la chambre d’hôtel à l’appartement familial de 208 m2 pour un couple avec 8 enfants.

L’immeuble compte au total 321 appartements (337 avec les chambres d’hôtel). Tous les appartements, à l’exception de ceux destinés aux célibataires ou aux couples sans enfants, comportent deux étages de 2 m. 26 sous plafond, la salle commune ayant double hauteur. 

L’appartement le plus courant, appelé́ E2, est un duplex de 98 m2. Il mesure 24 mètres de longueur sur 3,66 mètres de largeur. Tous les E2 sont traversants. Selon leur positionnement ‘’dans le casier à bouteilles’’, ils sont de 4 types différents suivant qu’ils sont ‘’inférieurs’’ ou ‘’supérieurs’’, selon que l’étage des chambres est en-dessous ou au-dessus de l’étage de l’entrée donnant sur la rue intérieure ; et suivant qu’ils ‘’droits’’ ou ‘’gauche’’, selon que la porte d’entrée se trouve à droite ou à gauche lorsque l’on entre dans l’appartement.

Cet ingénieux dispositif d’emboîtement des appartements permet de desservir quatorze étages d’appartements avec seulement cinq rues intérieures, et par conséquent cinq stations d’ascenseurs.

SOURCES :

  • tout particulièrement : la revue fondée par André Wogenscky, ”L’Homme et l’Architecture”, numéro spécial, 1947
  • ‘’Le Corbusier / Cinq Unités d’habitation’’, Vincent Bertaud du Chazaud, Éditions du Moniteur, 2022, 180 pages
  • ”L’architecture moderne en France”, tome 2 ”1940-1966”, Joseph Abram, Éditions Picard, 1999, 327 pages
  • ”L’architecture de la Reconstruction”, Gilles Plus, Editions Nicolas Chaudun, 2011, 287 pages