France

Marcel Lods à Sotteville-les-Rouen

Au lendemain de la guerre, l’architecte Marcel Lods fut chargé de la reconstruction de Sotteville-lès-Rouen. Aujourd’hui, l’un des rares exemples de mise en oeuvre en France des théories de Le Corbusier.

Marcel Lods était en effet connu pour avoir expérimenté avant-guerre avec Eugène Beaudouin, des méthodes novatrices de construction d’immeubles d’habitation comme ceux de la cité de la Muette à Drancy. Un ensemble d’immeubles tristement célèbre pour avoir été transformé à l’aube de la guerre en camp d’internement puis de déportation.

Sotteville-lès-Rouen a cruellement souffert des bombardements des Alliés qui visaient sa gare de triage, semant la mort et la désolation. Les deux-tiers de la commune ont été démolis, le centre-ville rayé de la carte. Pour reconstruire la cité, le ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme Raoul Dautry proposa à l’architecte Marcel Lods d’y réaliser un projet expérimental. Aujourd’hui, l’un des rares exemples de mise en oeuvre en France des théories de Le Corbusier.

Marcel Lods était en effet connu pour avoir expérimenté avant-guerre avec Eugène Beaudouin, des méthodes novatrices de construction d’immeubles d’habitation comme ceux de la cité de la Muette à Drancy. Un ensemble d’immeubles tristement célèbre pour avoir été transformé à l’aube de la guerre en camp d’internement puis de déportation.

Repenser radicalement l’organisation spatiale du quartier

La maquette, Architecture d’Aujourd’hui, septembre 1946

Plutôt que de retrouver l’ancien réseau des rues du centre-ville, Marcel Lods proposa avec sa ‘’Zone verte’’ de repenser radicalement l’organisation spatiale. Ainsi va jaillir ici, l’un des premiers ‘’grands ensembles’’ construit en France puisque le premier coup de pioche est donné dès 1946. Toutefois, la pénurie de matériaux et du manque d’outillage moderne stoppe la construction du premier immeuble qui ne reprend qu’en 1949. Deux petits bâtiments prototypes, toujours habités, ont pu être construits, rue Fouache.Ils ont ainsi permis de tester les nouveaux procédés que Marcel Lods et la MRU souhaitaient utiliser pour ce chantier expérimental.

Les quatre premiers immeubles, baptisés Anjou, Bourgogne, Champagne et Flandres, sont achevés entre 1950 et 1953. Les trois derniers, Gascogne, Touraine et Dauphiné, le seront entre 1950 et 1965. « Tout en restant dans la même typologie, la réalisation de ces derniers immeubles s’éloigne au fur et à mesure du style sculptural des débuts. Au final, l’ensemble comporte 1.139 logements vont être construits ». Les trois premiers immeubles, Anjou, Bourgogne et Champagne sont classés Monuments historiques. 

Mettre en pratique les théories de Le Corbusier

Aux alignements sur rue, Marcel Lods préfère ‘’une unité de voisinage’’ composée de longues et fines barres de grande hauteur (un rez-de-chaussée, dix étages habités et un toit-terrasse) orientées nord-sud, entourées de larges espaces verts. Gilles Plum dans son ouvrage sur l’architecture de la reconstruction note: « La ‘’Zone verte’’ réalisée par Marcel Lods à Sotteville-lès-Rouen est l’un des rares exemples d’une réelle application es théories de Le Corbusier. (…) Les immeubles dessinent une ligne nord-sud de manière à ce que les pièces prennent le jour soit à l’est, soit à l’ouest, ce qui leur assure une demi-journée d’ensoleillement. Ils ont en revanche peu d’épaisseur, ce qui permet un bon éclairage dans toutes les pièces sans effet de tunnel ».

Sotteville-lès-Rouen
Les immeubles ”Bourgogne” et ”Anjou” © JLV

« En d’autres temps – expliqua Marcel Lods en 1946 –  il eut paru logique d’exécuter de tels bâtiments avec une ossature métallique. Actuellement, il est impossible d’immobiliser le tonnage de fer indispensable à une telle ossature. Dans ces conditions, le choix est limité à l’ossature totale en béton armé, coulé sur place, et à l’ossature en béton précontraint pour les pièces faites d’avance et assemblées. Les pièces de béton précontraint faites d’avance nous procureront une économie de matières premières et nous aurons des cotes rigoureuses, ce qui constitue sur l’ossature du béton coulé sur place, un double avantage (…). Sur cette ossature de béton précontraint, nous monterons des murs extérieurs , composés d’une paroi externe et d’une paroi interne séparées par un vide d’air dont le rôle sera avant tout d’assurer l’isolement phonique et thermique ».

Une entrée de l’immeubles ”Bourgogne” © JLV

La remarquable qualité sculpturale des constructions

Les immeubles ”Bourgogne” et ”Anjou” © JLV

Pour Gabi Dolff-Bonekämmer, professeure de conservation du patrimoine à Berlin, « les petits balcons du côté ouest, apposés de part et d’autre des cages d’escaliers en saillie, avec leurs garde-corps de couleur vive, rouge ou verte, donnent un aspect léger et ludique aux façades. Les balcons côté est sont plus larges, disposés en bandes régulières devant la façade. En somme, les barres de Lods ont une forte qualité sculpturale, visible en particulier dans les parties hautes avec des modénatures, les toits-terrasse et les auvents, ainsi que dans les rez-de-chaussée à passage ouvert derrière une rangée de colonnes. »

Cette qualité sculpturale est indéniable, surtout lorsqu’on les compare à tous les ‘’grands ensembles qui ont été construits par la suite. Néanmoins, ces hautes et longues barres parallèles sont assez austères comparées aux Unités d’Habitation de Le Corbusier. Les garde-corps sont peints de couleurs vives, mais sans beaucoup d’audace : en orange pour l’immeuble Anjou, en rouge pour Bourgogne, en vert pour Champagne… 

Des logements modernes, tout confort

Architecture d’Aujourd’hui, septembre 1946

En 1947, Marcel Lods décrit de la façon suivante dans la revue Urbanisme, l’appartement-type : « Dans chaque appartement, une séparation totale est faite entre les trois catégories suivantes :

1° Partie service comprenant : la cuisine

2° Partie commune ou salle de séjour comprenant le coin des repas en communication avec la cuisine et le coin du repos ; la salle de séjour étant séparée de l’entrée par un écran en sas.

3° Partie intime, comprenant : la chambre des parents, la chambre des garçons, la chambre des filles qui sont regroupées autour d’une petite lingerie, permettant elle-même d’accéder à la toilette et aux W.C.

L’orientation est conçue de façon à avoir une façade Est et une façade Ouest. La salle de séjour bénéficie de la double exposition ». 

L’appartement-témoin décoré par Marcel Gascoin

Cet projet d’appartement est l’une des attractions de l’Exposition internationale d’urbanisme et de l’habitation qui se tient en 1947 au Grand Palais. Une manifestation va lancer la mode des appartements-témoins, permettant ainsi aux visiteurs professionnels et au grand public de découvrir la reconstitution en grandeur réelle les appartements de plusieurs immeubles en cours de construction. Des appartements clairs et lumineux, dotés de tout le confort moderne, meublés de série à des prix abordables. L’appartement-témoin de Sotteville-lès-Rouen, conçu par Marcel Lods et décoré par Marcel Gascoin. côtoie celui du Havre, d’Auguste Perret, décoré par René Gabriel.

’Le Décor d’Aujourd’hui’’ – Numéro 41, 1947

Une architecture remarquable qui vaut le détour 

Dans son article sur Sotteville-lès-Rouen, Gabi Dolff-Bonekämmer cite un extrait du livre Sotteville après la pluie : qui témoigne de la grande qualité de cette architecture « Les logements dans la Zone verte ont été les moins onéreux de toute l’agglomération rouennaise et, de ce fait, accessibles aux revenus modestes. Le succès a été immédiat et beaucoup de personnes qui ont acheté ces logements dans les années cinquante les occupent encore aujourd’hui. Le succès social continue donc, non seulement parce que les appartements sont confortables et spacieux, mais aussi parce qu’ils sont situés au centre-ville ». Autant de raisons qui justifient de faire un détour pour visiter cette brillante réalisation de Marcel Lods.

JLV

Sources :