France

Une architecture ordonnancée en Picardie

Déjà en partie détruit pendant la Première Guerre mondiale, Rozières-en-Santerre a été en 40 le théâtre de violents combats lors de l’offensive allemande. 

A la suite des bombardements aériens, un violent incendie détruisit 250 maisons, l’hôtel-de-ville, la gendarmerie et le presbytère, soit plus de 60% de constructions sinistrées.   

Un recours systématique à la standardisation a permis de doter la commune d’une nouvelle rue de l’hôtel-de-ville à l’architecture très ordonnancée tout en respectant l’enveloppe très contrainte des dommages de guerre. 

La Construction Moderne

Juin 1953

La rue principale du petit bourg de Rozières-en-Santerre, dans la Somme, fut en 1940, à la suite d’un bombardement, la proie du feu qui la détruisit d’un bout à l’autre. Le plan d’urbanisme en prévoyait la reconstruction avec des maisons à arcades. Approuvé par toutes les autorités compétentes, ce plan fut constamment remis en discussion par les sinistrés.

Pour en respecter toutefois les directives, l’architecte en chef proposa de remplacer les arcades par des portiques qui permettraient le même passage couvert devant les boutiques. La rue de l’Hôtel-de-ville étant essentiellement commerçante, une galerie couverte s’avérait une heureuse idée. Dans une région froide et pluvieuse comme celle de la Somme, la clientèle y circulerait à l’abri et les devantures seraient protégées des éclaboussures de la chaussée. Une telle architecture ordonnancée prenait ainsi une utilité incontestable qui profitait aussi bien aux commerçants qu’aux passants.

Avant sa destruction, la rue, constituée par une série de maisons individuelles sans caractère particulier, présentait dans son ensemble un assez pauvre aspect, imposer cet ordonnancement, tout en tenant compte des droits respectifs des sinistrés, posait un problème difficile à résoudre, d’autant qu’aucun de ceux-ci n’entendait ajouter un centime au montant de ses dommages.

Quis autem vel eum iure reprehenderit

L’ordonnancement projeté devait donc se concevoir en fonction de ces conditions. Pour permettre la réalisation de l’ensemble, une sévère économie s’imposait. Elle fut obtenue par la répétition standard des éléments constructifs. C’est ainsi que les travées se répètent sur une cote fixe, que les planchers ont tous les mêmes portées, que les fermes de charpente sont toutes semblables (à l’exception de celles des angles), les lucarnes, fenêtres, escaliers, tous établis dans les mêmes dimensions.

Vue partielle de a rue de l’hôtel-de-ville reconstruite © Chaix 

La persévérance et la ténacité de l’architecte en chef et de son adjoint vinrent à bout de l’opposition des sinistrés, à qui déplaisait cette conception de portiques et d’architecture ordonnancée. Pendant plusieurs années, les constructeurs durent poursuivre une lutte acharnée, convaincus qu’ils étaient de l’impossibilité de réaliser, avec des crédits fort limités, une œuvre convenable sans une répétition des éléments constructifs, seul moyen d’arriver à une diminution sensible du prix de revient.

Grâce à cette combinaison judicieuse d’éléments standardisés, la reconstruction de la rue de l’Hôtel-de-Ville  pu être menée à bien.

Rue de l’Hôtel-de-ville prise depuis la place du marché́ © Chaix

Tant par leur aspect architectural que par leur confort intérieur – résultant de plans types soigneusement mis au point – les nouvelles habitations remplacent en valeur bien supérieure les maisons détruites.

Les entre-axes des poteaux séparant les portiques sont de 4 mètres. La largeur de la galerie couverte est de 2 m. 45 ; celle des bâtiments étant uniformément de 9 m.10 hors d’œuvre, compte tenu de la galerie couverte.  

Vue d’un groupe d’habitation depuis la portique d’en face © Chaix

Il reste donc au rez-de-chaussée une surface libre intérieure de 6 m. 65 qui permet d’aménager une boutique de 3 m. de profondeur, avec arrière-boutique et salle commune. 

L’étage, de la même largeur uniforme, comprend des pièces habitables sur rue et sur cour. Enfin, un comble aménageable en appartement a été prévu dans chaque bâtiment.

Par cette disposition générale, les plus petits dommages incorporés dans l’îlot donnaient droit à une façade de deux portiques. Les dommages les plus importants eurent trois à quatre portiques, ce qui représente un développement de devanture important. De plus, une disposition spéciale permet aux sinistrés qui désirent une boutique plus profonde de gagner à volonté une largeur supplémentaire au rez-de-chaussée par l’adjonction d’un appentis sur cour, la profondeur de l’étage restant immuable.

Les murs des façades sur rue sont constitués de parpaings en ciment de 16, doublés de briques creuses de 11. Les façades sur cour sont en briques pleines de 22 jointurées, doublées également de briques creuses de 11. Au centre, une poutre en B.A. portant sur murs mitoyens, soulagée par des poteaux de B.A. forme refend. Les portées des planchers sont ainsi toutes semblables. 

Le ravalement des façades sur rue constituée par un collage de demi-briques, dites ‘’Ecolux’’, de 40x45x210, des Établissements Céramiques et Agricoles, Pierre Gilson, perforées et rustique, maintenues aux parpaings tous les trois rangs par des chevelus réservés dans la maçonnerie, dont les extrémités sont recourbées et enfoncées dans les trous des briques de parement. Ce travail de briquetage fut effectué après montage du gros œuvre et d’obtenir, de la part des briqueteurs spécialisés, non gênés par les autres corps de métier, un ravalement soigné et rapide.

Maison d’angle de la rue de l’hôtel-de-ville © Chaix

La couverture est en tuiles plates des Mureaux, qui donnent à l’ensemble un aspect particulièrement agréable. Pour la première fois, il a été fait usage, à la demande de l’architecte en chef d’arêtiers et de noues en tuiles, dont la forme s’adapte à la pente du toit. Il en résulte, pour les arêtiers, une esthétique indiscutable et, pour les noues, une économie sensible, tout un travail de zinguerie long et onéreux étant ainsi évité.

L’ensemble de la rue de l’Hôtel-de-Ville sera complété par un carrefour, où l’on retrouvera aux immeubles d’angle la même ordonnance architecturale, tandis que, légèrement en retrait et dans l’axe même de la rue, s’élèvera le nouvel hôtel de ville, traité avec les mêmes matériaux et entouré d’une place aménagée en jardin. Une plantation d’acacias boules est prévue sur les trottoirs, formant un prolongement de verdure au jardin de l’Hôtel-de-Ville d’une part, et aux places du Marché et du Jeu de boules situées à l’autre extrémité, d’autre part.

Rozières-en-Santerre sera ainsi une des rares petites communes de France où la revalorisation architecturale d’une rue entière aura pu être réalisée, grâce aux efforts méritoires de l’architecte en chef, M. Julien Heulot, et de son adjoint, M. Henri Bodecher.

La Construction Moderne

Juin 1953