France

,

2 enfants dans les ruines de Saint-Lô © US National Archives

Saint-Lô : la renaissance de la ”capitale des ruines”

Parmi les villes normandes meurtries à l’été 1944, Saint-Lô est celle qui a connu les destructions les plus radicales, d’où son surnom de ‘’capitale des ruines’’. Heureusement, Saint-Lô a su depuis, mettre en valeur son patrimoine architectural et lui redonner des couleurs. 

Un tout jeune architecte-en-chef à la manœuvre

Parmi les villes normandes meurtries à l’été 1944, Saint-Lô est celle qui a connu avec Le Havre les destructions les plus radicales. 91% des bâtiments sont détruits partiellement ou totalement. Meurtrie à jamais, la préfecture de la Manche est ainsi affublée du surnom de ‘’capitale des ruines’’. Un qualificatif qui lui est resté attaché pendant bien longtemps. Heureusement, Saint-Lô a su mettre en valeur son patrimoine architectural et lui redonner des couleurs. 

Très vite l’État nomme André Hilt, un jeune architecte prix de Rome, comme architecte-en-chef. Sa première tâche consiste naturellement à définir le plan d’urbanisme de la ville. Tout est à reconstruire. Il part donc d’une table rase.

L’éperon rocheux dominant la Dollée et de Torteron – saint-lo.fr

 Pour ceux qui ne connaissent pas Saint-Lô, il faut s’imaginer la vieille ville et ses remparts (l’Enclos) perchés sur un éperon rocheux, dominant la Dollée et le Torteron venant se jeter dans la Vire. Au fil des siècles, la ville s’est développée par-delà ses remparts de façon très dense. 

Suivant les principes édictés par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, André Hilt va s’efforcer de dé-densifier le centre historique et les abords des remparts. Il décide de détourner la route principale de Bayeux à Coutances pour faciliter la circulation automobile, de recréer des rues plus larges et de vastes places. La préfecture, la résidence du préfet, la cité administrative et le palais de justice seront construits à l’extrémité de l’Enclos, libérant de l’espace en centre-ville pour bâtir des immeubles d’habitation avec des commerces en rez-de-chaussée.  

Il est convenu que les immeubles de trois  ou quatre étages à double pente sont recouverts de toitures en ardoises. Les rues sont prévues pour avoir une largeur égale ou supérieure à la hauteur des façades. Le remembrement du cœur de ville implique donc par la création de quartiers de compensation à sa périphérie : le Bouloir au sud et la Falaise à l’ouest sur l’autre rive de la Vire.

Disparu accidentellement en 1946, André Hilt est remplacé par Marcel Mersier qui ne va pas bouleverser le plan d’urbanisme de son prédécesseur. Malgré l’importance des opérations de remembrement et la lenteur des procédures de détermination des dommages de guerre, la reconstruction de Saint-Lô ne semble pas avoir générer beaucoup d’opposition. A la différence d’autres villes sinistrées, les choix urbanistiques et esthétiques de l’architecte-en-chef – au demeurant assez classiques – étaient visiblement assez consensuels. 

Pour faire face à l’urgence devant le nombre des sans-abri et pour loger les ouvriers chargés de la reconstruction, on construits des baraques. Prévues pour être provisoires, nombre d’entre elles ont perduré. Conscient de la lenteur des procédures de fixation des dommages de guerre et de remembrement, le M.R.U. décide d’utiliser des terrains disponibles pour construire dès 1951 des immeubles préfinancés et sans affectation immédiate (ISAI). L’importance de ces chantiers permet de recourir à des éléments préfabriqués, ce qui raccourci les délais de construction.  

Le Beffroi et l’Hôtel de ville © JLV 

La place du Général de Gaulle

C’est le cœur de la ville. Là où se garent logiquement tous les touristes qui viennent visiter Saint-Lô. Côté nord, l’hôtel de ville, le beffroi et le marché couvert. Les bâtiments des trois autres côtés sont tous construits sur la base d’un gabarit de de 6 mètres. Le beffroi, haut de 72 mètres et qui était autrefois utiliser pour sécher les tuyaux des pompiers, symbolise la renaissance de la ville après les bombardements.

Sur le côté ouest de la place du Général de Gaulle, l’entrée dans l’Enclos se fait au même endroit qu’avant la destruction des remparts. 

La Préfecture, oeuvre de l’architecte Louis Arretche © JLV  

Les services de l’État à l’extrémité de l’Enclos

André Hilt a souhaité regrouper la cité administrative, la résidence du préfet et la préfecture sur une même place à l’extrémité́ de l’Enclos en surplomb de la Vire. Le palais de justice (aujourd’hui désaffecté) est derrière la préfecture, sur les remparts, en surplomb de la Dollée. Œuvre de l’architecte Olivier Clermont, il est flanqué de deux belles sculptures ‘Etienne Rebuffet.  

La cité administrative, construite par Olivier Lahalle, la résidence du préfet et l’immeuble accueillant les bureaux de la préfecture conçu par Louis Arretche, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, artisan notamment de la reconstruction de St-Malo, constitue un ensemble harmonieux qui témoigne du classicisme structurel promu par Auguste Perret. 

L’église Notre-Dame

Au lendemain des bombardements, seuls la tour Sud sans sa flèche, le chœur et les bas-côtés de l’église Notre-Dame restaient debout. Le coût de la restauration à l’identique, notamment de l’imposante façade gothique, étant prohibitif, l’architecte Yves-Marie Froidevaux a alors proposé de restaurer les parties de l’édifice qui n’avaient pas été détruites, de ne pas reconstruire les deux flèches de la façade qui s’étaient écroulées, et de bâtir un mur aveugle en schiste vert du Cotentin en retrait de l’ancienne façade afin de mettre en évidence l’impact des destructions. « Ainsi est créé un espace extérieur où le visiteur peut sentir comme en négatif tout le volume de la tour réduite à néant par la guerre » souligne Gilles Plum. Ce faisant, précise Yves-Marie Froidevaux, « la cathédrale blessée portera les stigmates du drame de 1944, une prière en faveur de la paix ».

L’église Notre-Dame aujourd’hui © JLV

Le Champs de Mars et l’église Sainte-Croix

La destruction de l’ancien haras et du dépôt de remonte a permis de créer une vaste place, dite du Champ de Mars et la construction de nombreux logements.

Sur la partie ouest de cette grande place, le clocher de l’église Sainte-Croix, qui avait été détruit lors des bombardements, a été remplacé par un nouveau clocher, assez monumental et résolument moderne.

L’église Sainte-Croix avec son clocher en béton © JLV
Le Théâtre  © JPG
La salle des Fêtes © JLV

Le théâtre et la salle des fêtes

Le théâtre et la salle de fêtes ont été reconstruit par l’architecte-en-chef Marcel Mersier en contre-bas des remparts. L’architecte voulait un équipement « attrayant, attirant, simple car il doit être fait pour tous. Tous les feux des foyers, galeries, de sa salle de bal doivent illuminer les abords du théâtre ; les murs sont donc de verre ». D’où ces centaines de pavés de verre ! La salle du théâtre est couverte d’un dôme circulaire en cuivre surbaissé encadré des volumes du foyer et de la machinerie. Le théâtre est relié à la salle de fêtes par une double passerelle.

La salle des fêtes est un parallélépipède en béton également éclairé par des centaines de pavés de verre. L’intérieur des deux bâtiments ont été l’objet récemment d’une restauration de qualité.        

Les immeubles de la rue de la Marne

Cet ensemble borde la rue de la Marne sur toute sa longueur. Côté impair, les habitations individuelles constituent une longue barre horizontale, de temps en temps percée de passages qui relient le haut et le bas de la ville. C’est toute la particularité́ de ces immeubles à toit plat, qui jouent sur le dénivelé́ de la rue et présentent plusieurs niveaux de terrasses et balcons. Cette réalisation est l’une des premières de Jean Dubuisson, avant qu’il ne devienne célèbre pour le SHAPE village de Saint-Germain-en-Laye où il utilise et perfectionne le tout nouveau procédé constructif Camus, pour ses grands ensembles de logements caractéristiques des Trente Glorieuses et pour le musée des arts et traditions populaires au Bois de Boulogne. 

La rue du Maréchal Leclerc  © Ouest-France
La rue des noyers © JLV

Une ville qui reprend des couleurs 

Depuis plusieurs années, la ville de Saint-Lô a lancé un vaste programme de rénovation et de réhabilitation.

A noter notamment, le ravalement de façades qui a ainsi redonner des couleurs à cette architecture de béton qui paraît souvent un peu terne.

Un pari osé, mais un pari semble-t-il gagné. 

Fernand Leger et l’hôpital mémorial France-Etats-Unis

La fresque de Fernand Léger à l’entrée de l’hôpital © JLV

Financé pour moitié par les Etats-Unis afin de mémoire de la Bataille de Normandie sur des plans de l’architecte américain Paul Nelson, élève d’Auguste Perret et grand admirateur de Le Corbusier, l’édifice se situe sur une colline à la périphérie de la ville.

Toutes les chambres des patients sont ainsi orientées au sud-ouest, protégées des vents d’ouest dominants par l’aile perpendiculaire qui abrite les logements des infirmières et par un retrait du bâtiment en son milieu. Le côté nord-est du bâtiment principal sont quant à eux réservés aux locaux techniques et au personnel. 

L’architecte Paul Nelson fit appel à Fernand Léger pour composer une fresque de 14 mètres de long, en mosaïque de Ravenne pour célébrer l’amitié franco-américaine. On y voit notamment deux mains se rejoindre, sur fond de drapeaux et d’une branche de pommier – un symbole du Cotentin.

Saint Lô : les acteurs de la reconstruction témoignent

Film de 3 minutes 46, réalisé par France 3 Normandie en 2019, consacré à l’appel à témoignages lancé par les Archives départementales de la Manche afin de recueillir des souvenirs, des photos et des objets de la Reconstruction.

https://www.youtube.com/watch?v=1NjY_gh1LWU