Edifices religieux

1/7. Un millier d’églises à reconstruire après-guerre

Un millier de lieux de culte sont à reconstruire au lendemain de la guerre. Autant d’opportunités pour nombre d’architectes de faire œuvre de créativité, voire d’audace, au point parfois de soulever d’intenses débats avec les autorités religieuses et les fidèles. 

Organiser la reconstruction au mieux, malgré la loi de 1905

Au sortir de la guerre, le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) recense environ quatre mille lieux de culte détruits ou endommagés, dont un millier qui vont devoir être rasés et reconstruits.

Depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, les églises, les temples et les synagogues sont la propriété des communes, mais elles sont corrélativement ‘’affectées au culte à demeure perpétuelle’’. Si la loi interdit l’utilisation de fonds publics pour construire de nouveaux édifices, les pouvoirs publics vont toutefois à la Libération accepter que les dommages de guerre puissent être utilisés pour réparer ou reconstruire, sur place, à proximité ou ailleurs dans l’agglomération, les édifices religieux endommagés ou détruits durant le conflit. 

Dans les faits, les conditions de la reconstruction de chaque lieu de culte vont dépendre pour beaucoup, tant d’un point de vue administratif, architectural que financier, des relations qu’entretiennent localement les autorités municipales et religieuses.

Dans son étude ‘’la construction d’églises dans la seconde moitié du XXème siècle : une affaire d’État ?’’ Céline Frémeaux explique que pour « organiser au mieux la reconstruction des églises, tant au point de vue administratif que financier et pratique, l’État suscite la création d’organismes relais, les associations syndicales ou les coopératives de reconstruction. L’Église catholique quant à elle, va créer en 1946 la Fédération nationale des groupements d’églises et édifices religieux sinistrés » afin de collecter des fonds supplémentaires, souscrire des emprunts garantis par l’État et des avances en attendant le versement des compléments de l’indemnité des dommages de guerre.

Reconstruire à l’identique, quand cela est possible

Au lendemain de la guerre, nombreux sont les édifices religieux qui ont pu être réparées et restaurées ‘’à l’identique’’ conformément aux souhaits de beaucoup des sinistrés. Mais le souci de retrouver les bâtiments tels qu’ils étaient avant le conflit, n’a pas empêcher d’utiliser des procédés constructifs plus modernes, en remplaçant par exemple des charpentes en bois par des charpente en béton).

Mais au final, c’est quand même un millier d’églises qui vont devoir être rasées et reconstruites, parfois un peu plus loin pour respecter les contraintes des plans d’urbanisme. Par ailleurs, face à l’exode rural qui entraine un afflux de population dans les nouveaux quartiers, les diocèses doivent repenser l’organisation de leurs paroisses et leurs choix d’implantation des lieux de culte.  

Le cas tout à fait particulier de l’église de St-Lô

La préfecture de la Manche sort des combats de 1944 presqu’entièrement détruite au point qu’on l’a affublé à l’époque du qualificatif de ‘’capitale des ruines’’. Au lendemain des bombardements, seuls la tour Sud sans sa flèche, le chœur et les bas-côtés de l’église Notre-Dame restaient debout. Le coût de la restauration à l’identique, notamment de l’imposante façade gothique est prohibitif.

l’architecte en chef de Saint-Lô, Yves-Marie Froidevaux a alors proposé de restaurer les parties de l’édifice qui n’avaient pas été détruites, de ne pas reconstruire les deux flèches de la façade qui s’étaient écroulées, et de bâtir un mur aveugle en schiste vert du Cotentin en retrait de l’ancienne façade afin de mettre en évidence l’impact des destructions.

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Reconstruite

L’opportunité de renouveler le langage architectural

Le millier d’édifices religieux à reconstruire va donner l’opportunité à nombre d’architectes de sortir de la construction de logements qui les occupaient quotidiement pour faire œuvre de créativité, et parfois d’audace, en renouvelant le langage de l’architecture et du décor religieux.

Il faut reconnaître que ce langage s’était notablement sclérosé au fil des siècles. Comme l’a souligné Gilles Ragot, « alors que jusqu’alors, les architectes et les artistes étaient appelés à mobiliser tous leurs talents pour construire et décorer les plus beaux et les plus grands édifices religieux, le XIXème siècle est marqué par un conformisme extrême, l’innovation architecturale s’exprimant pleinement dans la construction d’ouvrages d’art et des édifices civils ».

L’église Saint-Augustin à Paris.
On peut remarquer que Baltard, n’a pas hésité à rendre apparente la structure métallique de l’édifice

Ce renouveau du langage architectural allait par ailleurs bénéficier du soutien de nombreux fidèles qui invitaient l’Église catholique à faire preuve de plus d’humilité, d’une plus grande ouverture sur le monde contemporain, et à une plus grande participation des fidèles. Des convictions nouvelles qui plaidaient, en termes architectural, pour la suppression des séparations physiques et symboliques entre les officiants et les fidèles, moins de décorum et une fonction ecclésiale au centre et non plus au-dessus des fidèles. 

Il faut citer à ce titre, l’action tout à fait déterminants du Père Couturier et du Père Régamey qui prônaient dans la revue dominicaine ‘’L’Art Sacré’’, le retour à une architecture « authentiquement sacrée, sincère dans son expression, débarrassée de tous les superflus et la débauche d’ornement ».

Oser remettre en cause le plan en forme de croix

Depuis la nuit des temps, les églises étaient construites en pierres avec une charpente en bois, sur la base d’un plan en croix latine ou grecque, avec des collatéraux de part et d’autre de la nef centrale. Le rôle central de la lumière dans la liturgie catholique déterminait l’orientation de l’édifice et son architecture intérieure.  

Dans son ouvrage, ‘’Vingt siècles d’architecture religieuse en France’’, Jean-Michel Leniaud expliqueau commencement de l’époque paléochrétienne, le célébrant officiait en étant tourné à la fois vers l’orient (Jérusalem) et les fidèles, (…) l’autel étant installé sur une construction (la ‘’confession’’) en surélévation par rapport au sol de la nef. A partir des VIème et VIIème siècles, l’eucharistie n’est plus célébrée vers les fidèles, mais vers l’orient ; les fidèles étant repoussés dans la partie occidentale de l’édifice derrière la clôture qui ferme le chœur. Ainsi, le sanctuaire et le chœur sont-ils nettement distincts, les fidèles assistant à la messe face au jubé (…). A partir des VIème et VIIème siècles, l’eucharistie n’est plus célébrée vers les fidèles, mais vers l’orient ; les fidèles étant repoussés dans la partie occidentale de l’édifice derrière la clôture qui ferme le chœur. Ainsi, le sanctuaire et le chœur sont-ils nettement distincts, les fidèles assistant à la messe face au jubé. (…) A partir de la fin du XVIème siècle, Charles Borromée prôna une église ne comportant qu’une seule nef, l’autel étant conçu de telle façon que l’on puisse tourner autour pour accomplir le rituel de l’encensement ; en avant du sanctuaire est scellée une table de communion. Du coup, les fidèles jouissent de la possibilité de voir le fond du sanctuaire » (de ce fait, les jubés vont disparaître progressivement).

Dès l’entre-guerre, des voix s’étaient élevées pour remettre en cause de plan traditionnel de forme de croix latine adopté par les églises catholiques romaines. Un mouvement qui va naturellement repartir et s’amplifier avec la Reconstruction. Une évolution de l’église catholique qui sera actée au début des années 60 lors du Concile Vatican II. Mais avant cela, c’est dans la banlieue est de Paris qu’une véritable tournant architectural avait vu le jour en 1923

JLV

Sources : 

  • ‘’Architecture religieuse au XXème siècle, quel patrimoine ?’’, ouvrage collectif sous la direction de Céline Frémaux, Presses Universitaires de Nantes & Institut National d’Histoire de l’Art, 2007
  • ‘’Patrimoine Sacré du XXème et du  XXIème siècle, Paul-Louis Rinuy, collection patrimoine en perspective, Éditions du patrimoine   
  • ’Vingt siècles d’architecture religieuse en France’’, Jean-Michel Leniaud, Éditions Patrimoine Références, 2007
  • ‘’L’’architecture moderne en France, tome 2, du chaos à la croissance, 1946-1966’’, Joseph Abram,  Éditions Picard, 1999
  • ’la construction d’églises dans la seconde moitié du XXème siècle : une affaire d’État ?’’ Céline Frémeaux
  • Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes, Brigitte Montagne, Yannick Comte et Catherine Tijou, https://doi.org/10.4000/insitu.4893
  • ‘’Auguste Perret’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine
  • ‘’ Georges-Henri Pingusson’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine, 2011
  • ‘’Construire une église’’, Georges-Henri Pingusson, L’Art Sacré, novembre 1938