Edifices religieux

5/7. Le Corbusier, un sens inné du sacré

Dans toute sa carrière, Le Corbusier n’a réalisé qu’une chapelle et un couvent. Il n’a conçu qu’une église, et celle-ci sera construite après son décès.

Et pourtant, Corbu est un maître absolument incontournable de l’architecture religieuse. Lui qui se déclarait athée, a démontré par ses oeuvres qu’il avait un sens inné du sacré. 

La chapelle de Ronchamp, où l’architecture se fait sculpture

Sollicité par le père Marie-Alain Couturier, Le Corbusier va accepter de reconstruire la chapelle Notre-Dame du Haut à Ronchamp en lieu et place d’une chapelle  détruite par les bombardements de 1944. Le sommet de la colline de Bourlémont est un lieu consacré à la Vierge depuis le Moyen-Age. Le Corbusier va y réalisé une oeuvre quelque peu déroutante au premier abord, mais tout à fait unique et inspirante.

Comme l’écrit Joseph Abram, « ses murs tantôt convexes, tantôt concaves, ont été élevés avec les pierres de l’ancienne église. Certains sont massifs, d’autres s’affinent grâce à l’ossature en béton armé.

Les parois ne sont jamais verticales, elles s‘inclinent les unes vers les autres. La toiture (double-coques en béton- posée en débord, assure l’unité de l’ensemble ; une unité contradictoire, que renforcent les trois tours demi-cylindriques qui apportent à la composition l’orientation et la verticalité. La nef (13 m x 25 m) offre un espace sobre mais aussi sculptural. La lumière cadrée, modelée, colorée lorsqu’elle traverse les blocs de verre, y pénètre de toute part. Sous le plafond filtre un trait de lumière, qui confère à la masse de toiture une étrange légèreté».

Paul-Louis Rinuy  dans son ouvrage sur le Patrimoine Sacré du XXème et du  XXIème siècle y voit une œuvre d’art total où disparaissent les frontières entre les disciplines : « La chapelle de Ronchamp, par son originalité extrême, par le refus qu’y manifeste Le Corbusier de toute intervention artistique autre que la sienne ; il y est tour à tour architecte, peintre, créateur de vitraux, de sculpture, de mobilier liturgique ».   

Le couvent Sainte-Marie de la Tourette

Alors que la chapelle de Ronchamp n’est pas encore terminée, Le Corbusier se voit confier la construction du couvent Sainte-Marie de la Tourette sur la commune d’Eveux. Et Joseph Abram de poursuivre : « Établi sur un vallon qui domine un paysage verdoyant, le couvent se raccorde au terrain naturel par des pilotis. Il se présente comme une grande boîte d’une plasticité complexe, curieusement ouverte et fermée. Le plan laisse apparaître deux parties : l’une, en forme de U, contient ls cellules des moines et les services (réfectoire, bibliothèque…), l’autre, parallélépipédique et opaque, n’est autre que l’église, décollée du grand U par une lame de vide. Trois chapelles éclairées zénithalement par des canons de lumière viennent s’accrocher au parallélépipède, côté nord. Les cellules des moines, aux deux derniers niveaux, forment sur les trois faces du U un attique, sous lequel apparaissent (à l’ouest et au sud) les pans de verre ondulatoires, brise-soleil, dont les espacements harmoniques ont été calculés par le compositeur Ianis Xenakis ».

L’église Saint-Pierre à Firminy

La première pierre de l’église Saint-Pierre a été posée en 1970, et l’église n’a été finalement achevée qu’en 2006 après de multiples rebondissements. Néanmoins, elle a toute sa place dans ce panorama de l’architecture religieuse de la Reconstruction et des années 50 dans la mesure où elle fait entièrement partie du nouveau quartier de Firminy-Vert, que le maire de l’époque, Eugène Claudius-Petit avait demandé à Le Corbusier de construire.

Dominée par l’impressionnante Unité d’Habitation, l’église Saint-Pierre se situe dans un creux à flanc de colline entre le stade bordé par la maison de la culture, et la piscine qui sera construite par la suite par son élève André Wogenscky.

L’édifice pyramidal entièrement en béton brut repose sur un socle de 25 mètres de côté dans lequel a été aménagé un musée. Ce socle est surmonté d’un cône tronqué de 40 mètres de hauteur abritant l’église proprement dite. On y accède par un plan incliné extérieur. Comme dans la chapelle de Ronchamp, le visiteur qui y pénètre pour la première fois ne peut être que surpris par les volumes intérieurs et les effets de lumière. La nef peut accueillir 450 personnes. Elle est éclairée par un canon de lumière qui perce la paroi en béton. Un jeu d’orifices dans le béton dessine par projection au-dessus de l’autel une constellation d’étoiles. 

Pierre Pinsard, l’anti-Corbu

Surtout connu pour sa participation à la construction de la basilique souterraine Saint-Pie X de Lourdes,  Pierre Pinsard a construit plus d’une vingtaine d’églises, deux couvents et plusieurs chapelles privées. Tout comme son ami et collègue André Le Donné. A la différence de nombreux architectes pour qui la construction d’une église relevait d’un projet comme un autre, ou presque, Pierre Pinsard, à l’instar de Georges-Henri Pingusson, a mûri des longues réflexions sur la fonction première des églises catholiques et leur signification vis-à-vis des fidèles et des communautés. On lui doit ainsi des réalisations empreintes d’une grande pureté des volumes, renonçant délibérément à tout effet de style ou recherche de prouesse technique. En cela, il paraît intéressant de le mettre en regard de l’œuvre de Le Corbusier.

Le couvent des Dominicains à Lille

Le couvent Saint-Thomas d’Aquin, construit par les architectes Pierre Pinsard, Neil Hutchinson et Hugo Vollmar à Lille est d’une certaine manière l’antithèse du couvent de la Tourette. 

Alors que le béton est omniprésent chez Le Corbusier, Pierre Pinsard le conjugue harmonieusement avec la brique, le béton, le verre et le bois. Bien que situé en pleine ville, les bâtiments de cet ensemble conventuel, la chapelle, le réfectoire, le dormitorium, les patios et les cloîtres, offrent un large accès aux deux hectares du parc. L’architecture est sobre et dépouillée, toute empreinte d’humilité et en parfaite osmose avec l’architecture vernaculaire du Nord. 

Le mobilier a été dessiné par Marcel Gascoin et le grand luminaire de l’escalier des frères par Serge Mouille.

JLV

SOURCES :

‘’Architecture religieuse au XXème siècle, quel patrimoine ?’’, ouvrage collectif sous la direction de Céline Frémaux, Presses Universitaires de Nantes & Institut National d’Histoire de l’Art, 2007

‘’Patrimoine Sacré du XXème et du  XXIème siècle, Paul-Louis Rinuy, collection patrimoine en perspective, Éditions du patrimoine   

’Vingt siècles d’architecture religieuse en France’’, Jean-Michel Leniaud, Éditions Patrimoine Références, 2007

‘’L’’architecture moderne en France, tome 2, du chaos à la croissance, 1946-1966’’, Joseph Abram,  Éditions Picard, 1999

’la construction d’églises dans la seconde moitié du XXème siècle : une affaire d’État ?’’ Céline Frémeaux

Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes, Brigitte Montagne, Yannick Comte et Catherine Tijou, https://doi.org/10.4000/insitu.4893

‘’Auguste Perret’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine

‘’ Georges-Henri Pingusson’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine, 2011

‘’Construire une église’’, Georges-Henri Pingusson, L’Art Sacré, novembre 1938