La vie du Serpentin, œuvre centrale du projet d’Émile Aillaud aux Courtilières, est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Bien vite, le Serpentin est victime de nombreuses les dégradations comme beaucoup de Grands ensembles, et ses logements étriqués et mal isolés sont délaissés.
La Ville initie donc un ambitieux projet de restauration en 2001, mais celui-ci va mettre une quinzaine d’années à se concrétiser.
Mené par l’agence RVA, le résultat est exemplaire. Le Serpentin est labellisé « Patrimoine du XXeme siècle » depuis 2016.
La vie du Serpentin, œuvre centrale du projet d’Émile Aillaud aux Courtilières, est loin d’avoir été un long fleuve tranquille. Si au début ses habitants apprécient le confort des appartements, les architectes et urbanistes louent son avant-gardisme et la presse l’originalité du projet, le Serpentin subit bien vite les dégradations inhérentes à tous les ‘’grands ensembles’’ de cette époque et ses appartements étriqués et mal isolés sont délaissés.
Les premiers travaux de rénovation ne vont intervenir que dans les années 80. En 2001, la Ville de Pantin initie un projet de rénovation ambitieux. En 2006, elle est sur le point de signer une convention avec l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (ANRU). Mais Gérard Monnier, l’historien d’art et fondateur de Docomomo France (pour la DOcumentation et la COnservation des édifices et sites du MOuvement MOderne) réussit à alerter le Ministère de la Culture, dénonçant le projet de destruction d’une partie de l’édifice, et réclamant son classement au titre des Monuments Historiques.
Une mission d’évaluation du projet est lancée par les ministères de la Culture et de l’Équipement. Les travaux, qui devaient commencer, sont gelés. Début 2007, les rapporteurs confirment l’intérêt architectural du Serpentin, tout en regrettant d’avoir été saisi aussi tardivement :
« Les opérations d’Émile Aillaud occupent une place très singulière, car elles constituent une proposition originale, sans aucun autre équivalent, dans les réponses qui furent proposées à la question de la forme urbaine et architecturale à donner aux grandes opérations de logement social de la seconde moitié du XX° siècle.
Pour ses opérations, Émile Aillaud a inventé une « écriture » qui se présentait comme une alternative aux « Grands ensembles », issus du mouvement moderne, caractérisés par des plans de masse orthogonaux, constitués de bâtiments soit rectilignes, soit ponctuels, qui passèrent à la postérité à travers la formule de « l’urbanisme de tours et de barres ». Ces plans de masse, dans leur grande majorité, constituaient des espaces urbains peu différenciés, engendrant des paysages très répétitifs.
Face à cette situation, Émile Aillaud a réalisé des opérations qui présentent une grande diversité d’ambiances.
Cette grande diversité était générée en utilisant des formes courantes de bâtiments, mais retravaillées, mais aussi en inventant des formes nouvelles telles que les très longs bâtiments courbes de la Cité de l’Abreuvoir, et des Courtilières, ou les plans « paraboliques » des tours du Wiesberg à Forbach ou encore les plans libres des tours de Nanterre; ceci afin de pouvoir disposer d’un large éventail de solutions pour composer ses plans de masse, et donc diversifier les espaces et les paysages de ses opérations.
Ainsi, il faut avoir conscience que l’on se trouve face à une œuvre marquante, qui occupe une place importante dans l’histoire de l’architecture du logement social de la seconde moitié du siècle passé. De ce point de vue, il parait tout à fait légitime d’en sauvegarder le plus possible les témoignages.
La plupart de ces réalisations ont été fortement transformées par des réhabilitations plus ou moins lourdes, et seule subsiste, en totalité dans son état originel, Nanterre. Il subsiste cependant aussi, dans son intégrité physique, la cité du « Wiesberg », mais la polychromie d’origine, indissociable de l’architecture, a disparu.
Il ne reste donc qu’un seul lieu qui rend compte de l’état d’origine, c’est le « Serpentin » et son parc, lorsque l’on se trouve à l’intérieur de celui-ci.
Ainsi s’offre une opportunité exceptionnelle de conserver durablement un paysage totalement maîtrisé parvenu jusqu’à nous, et qui constitue la partie la plus emblématique de l’opération, où réside son apport original, et qui lui donne sa plus grande qualité.»
Concernant plus spécifiquement l’état du Serpentin, les auteurs du rapport déplorent les modifications apportées aux façades lors de la première rénovation en 1980 masquant l’effet de sustentation du bâtiment et la destruction des auvents aux entrées des immeubles.
Pour ce qui est du projet de rénovation en profondeur défendu par la Ville, ils s’opposent fermement à la pose sur les façades d’un revêtement en terre cuite ocre, mais ne s’opposent pas au projet de destructions partielles du Serpentin au nord et au sud justifié selon les élus par la nécessité de désenclaver le quartier.
Lors de son discours d’inauguration de la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris en 2007, le président Nicolas Sarkozy a évoqué le quartier comme « un exemple de ce qu’on doit s’efforcer de rénover mais aussi de préserver ». S’ensuivent d’interminables négociations, mais finalement le maire de Pantin finit par accepter de ne démolir que 50 logements au lieu de 80 prévus à l’origine. Une solution est trouvée concernant la préservation de la façade.
L’agence RVA, qui remporte en 2002 le concours d’architectes, propose d’utiliser de la pâte de verre sur des plaques ciment en lieu et place de l’enduit coloré. Les portes des caves, auparavant accessibles en rez-de-chaussée, seront intégrées dans les halls mais leurs façades conservées.
Entamés en 2011, les travaux s’achèvent en 2015. Le Serpentin a été remarquablement réhabilité, il est sauvé. Il sera classé « Patrimoine du XXe siècle » en 2016
L’aspect le plus spectaculaire de cette restauration porte sur les façades, avec le renforcement de l’isolation thermique par l’extérieur existante, grâce à un bardage sur ossature bois de plaques cintrée de ciment inerte recouvert d’une finition mosaïque d’émaux de verre.
A défaut de pouvoir restaurer à l’identique ces façades compte tenu du coût que cela aurait représenté, la solution retenue a consisté à utiliser la légèreté et la luminosité d’une mosaïque d’émaux de verre colorés. Le plasticien Pierre Di Sciullo a ainsi conçu, pour les façades côté rue, un dégradé vertical dans les tons gris clairs afin de ne pas se heurter à l’environnement des autres constructions. Pour les façades intérieures coté parc, il a choisi à l’inverse une palette chatoyante, dans des tons bleu et orangé avec un dégradé horizontal qui singularise chaque cage d’escalier.
Utilisant une palette de onze couleurs et des plaques de 33 x 33 cm de 169 carreaux, l’artiste a obtenu 1.880 combinaisons différentes. Elles ont été ensuite retranscrites sur un total de 230.000 plaques et 31 millions de carreaux de pâte de verre, puis posées sur les 30.000 m² de façades du Serpentin.
Les bâtiments faisaient de 8 m de large avant réhabilitation, et font désormais 8,40m de large après réhabilitation.
Ci-dessous, les étapes de la restauration par RVA puis, des façades côté rue et les façades côté parc
Les logements du Serpentin présentaient les caractéristiques des logements construits dans les années 1950 : des surfaces habitables exiguës, bien inférieures aux normes actuelles, sous-équipées en cuisine et en sanitaires. Une inadéquation des logements qui explique pour beaucoup leur désaffectation croissante.
L’objectif du bailleur social était donc de reconfigurer et moderniser ces logements afin de les rendre plus attractifs malgré́ l’absence d’ascenseurs, inenvisageables dans une structure aussi peu épaisse et dont l’installation à l’extérieur n’était pas non plus concevable pour des raisons évidentes. Le nombre des logements a été réduit de 635 à 511. Des T4 ont été transformés en T3, deux logements ont pu être regroupés pour former un logement plus grand. Au final, tous les nouveaux appartements (sauf les studios) sont traversants et ont vue sur le parc. Seuls les murs, les planchers et les fenêtres ont été conservés. Les installations électriques et les sanitaires ont été remis à neuf.
Émile Aillaud avait tenu à ce que les hall d’entrée soient traversants pour permettre aux résidents de s’installer au pied de l’immeuble pour partager, face à au parc, un moment de convivialité. Comme tous les autres éléments du bâtiment, les parties communes ont connu les assauts du temps. Les caves individuelles, largement ouvertes sur le parc, ont été murées en faveur de la lutte contre les squats et les usages intempestifs et divers. Les halls, pour des raisons semblables, ont vu leur accès au parc emmuré, au détriment de la vue sur l’espace central paysagé. Les auvents initiaux, aux ferrailles épuisées et apparentes, ont vu leur aspect s’alourdir lors de la première réhabilitation par la pose d’arches en béton.
La rénovation a conduit à remodeler ces espaces. Les entrées d’immeubles sont désormais marqués par un portique côté rue, et les halls permettent d’accéder à nouveau sur le parc. Les accès aux caves ont été retournés afin de pouvoir être accessibles uniquement à partir des cages d’escalier. Des tôles d’habillage prélaquées ont été posées en remplacement des ports des caves.
JLV
Sources :