France

La villa Ombre Blanche de l’architecte Claude Bonnefoy ©JLV

Royan 50 : reconstruction et modernité

par Vincent Bertaud du Chazaud

Claude Ferret a commencé à reconstruire Royan à la manière ”Art Déco” des années 30, avant de découvrir l’architecte brésilien Oscar Niemeyer.

Résultat, une architecture moderne balnéaire tropicalisée, lyrique et joyeuse. Une architecture qui a mis du temps à être reconnue, et qui, encore aujourd’hui, est menacée.

L’auteur est architecte et docteur en histoire de l’art de l’Université Paris 1- Panthéon- Sorbonne.

Retrouver un peu le Royan des années 30

A Royan, la “modernité” n’a pas été une volonté immédiate de son architecte-urbaniste en chef, Claude Ferret. Celui-ci a tout d’abord dessiné pour cette ville détruite à plus de 80%, un plan d’urbanisme néo-classique, puis a commencé à construire sur le boulevard Aristide Briand des immeubles à la manière “Art Déco” des années 30, dans un style proche de qu’Auguste Perret était en train de faire pour la reconstruction du Havre.

Le boulevard Aristide Briand
La serpentine d’Oscar Niemeyer à Pampulha au Brésil

Mais le Brésil va tout changer

Il a basculé soudainement vers une expression moderne “lyrique” influencé par les architectes brésiliens Lucio Costa et Oscar Niemeyer. Le plan d’urbanisme de Royan, à la fois inscrit dans son site (la courbe de la grande plage et l’axe perpendiculaire du Font de Cherves, cours d’eau se jetant dans la mer) et trouve sa justification moderne et ses accents Années 50 dans les éléments architecturaux qui le composent. 

Ce modernisme est de deux ordres

Sur le plan technique, ce qui sera le cas sur les bâtiments publics faisant appel à des techniques audacieuses conduisant à des formes sophistiquées (voiles minces en béton armé du marché central de Simon et Sarger et de l’église Notre-Dame de Gillet et Lafaille, grandes façades vitrées du Casino de Ferret, murs rideaux du Palais des congrès de Ferret et Prouvé).

La résidence du Front de mer ©JLV

Sur le plan architectural, ce qui sera le cas avec l’habitat collectif (immeuble du Front de mer de Ferret, immeubles de l’îlot 106 rue Gambetta de Mialet), et particulièrement les villas (villa Ombre Blanche de l’architecte Bonnefoy, villa La Meinaz de l’architecte Quentin).

Une architecture balnéaire tropicalisée

A Royan, la rigueur ‘’idéologique’’ et militante du Mouvement moderne est adoucie pour prendre des allures ‘’festives’’ et conviviales. Le maire de Royan, Charles Regazzoni, veut placer « la reconstruction de la ville martyre sous le double signe, apparemment contradictoire, de la fantaisie et de l’économie ».

Au terme d’un long processus de renouvellement des références, la reconstruction de la ville s’inscrit finalement dans une modernité « cinquante » dont les caractéristiques se situent entre permanence et ré-interprétation des canons issus des années vingt ».[1]

Face à la mer, la Pérrinière des architectes Jean Daugrois et Marcel Barnier © JLV
La villa Spirou, rue du Dr Audouin, des architecte René Baraton, Jean Bauhain et Marc Hébrard © JLV

Durant ces années de croissance des « Trente glorieuses », les stations balnéaires populaires vont émerger. Les congés payés, acquis du Front populaire en 1936, interrompus par les cinq années de guerre et les années d’effort de la reconstruction, ne prennent leur plein essor que vers la fin des années cinquante.

A Royan, la cité balnéaire populaire va se construire sur les cendres de la station chic et bourgeoise de la « Belle époque », celle de la fin du siècle dernier, dont ne subsisteront que quelques villas après le bombardement de janvier 1945, permettant des juxtapositions « incongrues ».

À l’imitation de la station balnéaire brésilienne de Pampulha au Brésil, dont les principaux bâtiments sont l’œuvre de Niemeyer, où, selon son expression, ‘’il tropicalise ce qu’il a appris de Le Corbusier’’, la reconstruction de Royan s’est enrichie d’un vocabulaire architectural généreux, lyrique et joyeux, à l’opposé de l’austérité toute « protestante » d’un Le Corbusier alliant rigueur des lignes et ordre moral. 

Un tropicalisme du détail

Sans rivaliser avec la monumentalité des villas royannaises de la « Belle époque », un certain ‘’maniérisme’’ s’empare des détails pour créer des effets en façade. Les volumes simples cubiques et blancs, sont rehaussés par un riche vocabulaire architectural :

  • des soubassements en pierres jointoyées en creux de ciment gris soulignent le soin de l’appareillage,
  • des loggias en nid d’abeille épaississent le mur plat des façades,
  • des colorations vives en sous faces de balcon ou fonds de loggias accentuent ces « creux » en façade,
  • des escaliers extérieurs aérés sont traités comme autant d’objets précieux sur des volumes primaires,
  • des claustras, ronds ou carrés, horizontaux ou verticaux protègent de la vue et du soleil en ajoutant une note graphique sur le mur lisse, de même que des persiennes coulissant dans des encadrements saillants,
  • des auvents et murs saillants, parfois de biais, cadrent les constructions sur lesquelles ils portent une masse ombrée sombre en contraste violant avec la blancheur des enduits de façade.
  • des brise-soleil forment auvents ou paravents, suivant qu’ils sont horizontaux ou verticaux, projetant une ombre zébrée sur les murs blancs des façades,

des menuiseries et des serrureries singularisent les porches d’entrées[2] (portes, impostes, grilles de défense), surlignent les emmarchements des escaliers (lisses et garde-corps) et accompagnent les volumes architecturaux (clôtures, grilles, portails…).

Si « la seule condition obligatoire : faire du moderne » était le mot d’ordre de Claude Ferret, une grande part de la reconstruction de Royan s’est faite avec les techniques de construction souvent artisanales, compte-tenu de la pénurie de matériaux et les moyens réduits des entreprises locales.

Une architecture en phase avec ‘’l’air du temps’’

Ce qui étonne le plus dans cet inventaire à la Prévert, et réjouit en même temps, c’est l’inventivité et la diversité de ce vocabulaire architectural. Sans doute les architectes, confrontés aux murs blancs et volumes bruts, ont-ils voulu se servir de ces supports vierges pour les animer et créer une œuvre empruntant aux courants de l’art moderne[3]… Quel est réellement l’apport des autres arts, la peinture, la sculpture, la musique, dans l’expression plastique de cet inventaire architectonique

Parmi les influences porteuses de modernité décelables chez les architectes de la reconstruction de Royan, on peut citer ‘’le Groupe Espace’’ crée en 1952 et présidé par André Bloc, directeur de l’Architecture d’Aujourd’hui. On peut aussi oser des rapprochements entre les dessins des vitraux de Conques (bien qu’ils furent achevés en 1994) et plus généralement l’œuvre du peintre Pierre Soulages et certains garde-corps à Royan… Celui de la villa avenue du Bocage dans le quartier du Parc peut faire penser aux peintures abstraites de Kandinsky, aux gouaches découpées de Matisse, aux mobiles de Calder… Les ferronneries en zigzag peuvent nous renvoyer à l’abstraction lyrique des peintures gestuelles de Georges Mathieu

La liberté retrouvée après les années d’occupation, la pleine croissance économique après les privations, les progrès foudroyants des technologies, la foi inébranlable dans la science pour ériger un monde meilleur, optimisme et bonheur ambiants tempérés par la lutte des classes, les guerres de décolonisation, la menace d’une guerre atomique, tout ceci, cet « air du temps », a sa part dans la création artistique parmi laquelle il faut compter l’architecture.

Et dans cet ‘’air du temps’’, il faut aussi compter avec le design kitsch[4] des années « 50 » lorsqu’il produit des objets clinquants et bon marché, éloignés des objets originaux issus du ‘’Bon Design’’ qui les ont inspirés. Selon la culture de son créateur, la séduction pour un objet (ou un détail architectural) peut reposer sur l’innocence, la naïveté, ou bien sur l’humour, le clin d’œil. Le Kitsch intéresse alors autant pour son honnêteté culturelle que pour ses tendances subversives, finissant par trouver un terrain commun avec l’avant-garde dans sa dérision du ‘’bon goût’’.  

Mais il fallait aussi construire rapidement et de façon économique

La manne budgétaire pour la reconstruction était réduite, l’aide américaine du plan Marshall ayant ses limites. Aussi à la redondance des sculptures sur pierre, à la sophistication des charpentes et couvertures, dont les savoir-faire ont disparu, ont été substitués des techniques nouvelles et des matériaux industriels (béton, aluminium, brique de verre), créant un décor plus sobre mais autrement efficace pour ‘’sacrifier au culte’’ du soleil et de la mer. Le ‘’tropicalisme’’ de Niemeyer au Brésil se conjugue à Royan en ‘’héliotropisme’’ de Ferret et son équipe.

Le temps du rejet, de l’abandon et des destructions

La modernité n’a pas été reconnue et acceptée avec enthousiasme par les populations sinistrées au moment de la reconstruction de leur ville. C’est dans ce climat ambiant, au moment où il faut relever de leurs runes les villes sinistrées, qu’architectes et urbanistes doctrinaires, traditionnalistes et modernistes, s’affrontent sur la politique à suivre, hésitante et fluctuante suivant le ministre de la Reconstruction en place, plutôt conservatrice avec Raoul Dautry, moderniste et progressiste avec Eugène Claudius-Petit. 

La population royannaise, après le traumatisme de la destruction, espérait voir renaître de ses cendres une ville aussi belle que celle disparue, donc magnifiée : c’est une ville construite sur le modèle du ‘’mouvement moderne tropicalisée’’ qui se dresse petit à petit sous le regard souvent réprobateur de sa population. Les maîtres d’ouvrage privé n’ont souvent pas eu une grande part d’initiative pour la construction de leur villa. Tous les permis de construire étaient visés par l’architecte-en-chef ou ses adjoint, qui n’étaient pas prêts à laisser ternir l’image qu’ils voulaient donner de ‘’leur’’ ville. 

La destruction du Casino, la plus symbolique 

Trente années plus tard, dans les années 80, le postmodernisme a encouragé le vandalisme sur l’architecture du mouvement moderne, qu’elle soit publique ou privée. A Royan quelques pans de cette architecture en ont les frais. La destruction la plus symbolique est celle du Casino de Ferret en 1985 par la municipalité, traumatisme si important qu’il deviendra le symbole d’une ‘’deuxième destruction’’ subie par la ville, et de fait celui d’un sursaut pour sa sauvegarde. 

  Le Casino, avant sa destruction en 1985

Jusqu’au démontage du Portique et de la maison Prouvé

A l’apogée de cette désaffection, au début des années 1980 , certains édifices majeurs de la ville de Royan vont disparaître ou être défigurés. Avec la destruction déjà citée du Casino municipal (1945-1962, architectes Claude Ferret, Louis Simon, Pierre Marmouget, Adrien Courtois), ce sera la même année celle du portique du Front de mer (1950-1952, architectes Claude Ferret, Lois Simon, André Morisseau), puis les mutilations de la Poste Centrale (1951-1952, architecte André Ursault), du Palais des congrès (1954-1957, architectes Claude Ferret, Jacques Bruneau, Adrien Courtois, Pierre Marmouget), de la galerie Botton (1954-1956, architectes Henri-Pierre Maillard, Armand Jourdain), et en 2016 le démontage de la maison Métropole 8×12 (1951, constructeur Jean Prouvé). 

La Portique avant sa destruction, carte postale Tito

Une architecture toujours menacée  

Royan, après une naissance dans la douleur, une enfance difficile mais joyeuse grâce au tourisme populaire (1950-1970), une adolescence brouillonne et vengeresse (1970-1990), doit trouver l’apaisement de l’âge adulte. 

En dehors des destructions, dont la perte est radicale et définitive, l’architecture royannaise des années 1950 est menacée par la disparition progressive des détails qui ont fait sa spécificité. Ces menaces mettent en péril l’unité architecturale et urbaine de la ville, et il existe nombre d’exemples fâcheux. Il existe aussi es exemples de rénovations réussies, dont on pourrait faire l’inventaire, mais chacun les reconnaîtra.   

N’oublions que l’historien Jacques Lucan à qualifier Royan de ville « la plus cinquante » de France[5].

Le Palais des Congrès va enfin pouvoir retrouver ses couleurs et ses formes d’origine © JLV

Vincent Bertaud du Chazaud

Auteur notamment de l’ouvrage ‘’Le Tropicalisme en détails’’ – Éditions La Geste – 2020 et ”Jean Prouvé, Royan et sa région” – Editions La Geste – 2017.


[1]
   RAGOT gilles (dir.), JEANMONOD Thierry, NOGUE Nicolas, Centre des monuments nationaux, Monum, Editions du patrimoine, Paris, juin 2003, p.143

[2]   Voir : MONNIER Gérard, La porte, instrument et symbole, Editions Alternatives, Paris, 2004.

[3]   Fernand Léger s’exprime ainsi: « Lorsque les architectes eurent enfin débarrassé les murs de tout vestige de l’époque 1900, nous nous sommes trouvés devant des murs blancs. Un mur blanc est parfait pour un peintre. Un mur blanc avec un Mondrian est encore mieux. »

[4]   Kitsch provient du verbe allemand verkitschen qui signifie « galvauder ».

[5]  LUCAN Jacques, « Royan », AMC  n°11, 1986, pp.16-17 : « … la reconstruction de Royan voit la réalisation d’une suite de bâtiments singuliers, qui donnent à la ville une physionomie très « année cinquante » » et LUCAN Jacques, Architecture en France (1940-2000), histoire et théories, Editions du Moniteur, Paris, 2001, p.46.