France

L’avenue Aristide Briand au début des années 50 carte postale ancienne

Royan, Le Havre, deux villes deux destins

Royan comme Le Havre sont deux villes qui furent presqu’entièrement rasées à la fin de la guerre par les bombardements alliés, puis reconstruites à la Libération. Deux villes de bord de mer dont la reconstruction sera confiée à des personnalités bien différentes, Auguste Perret et Claude Ferret. Deux personnalités qui vont mettre en œuvre des visions radicalement différentes de l’architecture moderne. Deux villes qui, depuis, ont connu des destins bien différents. Deux villes que l’on ne peut s’empêcher de comparer. 

Auguste Perret vs Claude Ferret 

Auguste Perret avec Jacques Tournant son adjoint pour la reconstruction du Havre 
La façade type d’un immeuble Perret au Havre 

Quand il est choisi pour la reconstruction du Havre, Auguste Perret a 71 ans. Il est au sommet de sa carrière, connu et reconnu internationalement. A la tête de l’Atelier Perret, il va imposer des rues qui se croisent à angle droit et une grande homogénéité des façades, avec sa trame de 6 mètres 25 et ses ossatures poteaux-poutres apparentes. Un rationalisme constructif où le béton brut est roi, appliqué sur un tracé classique d’une façon magistrale et quelque peu académique, sur 130 hectares. 

Claude Ferret et Louis Simon, Fonds Simon AN/IFA.
Le Palais des Congrès de Royan, carte postale ancienne

Quand Claude Ferret est choisi pour la reconstruction de Royan. Il est, à 38 ans, le directeur des études de l’École d’architecture de Bordeaux. S’il adopte au départ une approche très inspirée par ce qui se faisait avant-guerre, l’Art Déco, il va assez vite abandonner cette architecture par bien des côtés imposante. La découverte du numéro de la revue Architecture d’Aujourd’hui consacré à l’architecture brésilienne va servir de catalyseur. Avec ses jeunes architectes, ils sont convaincus qu’ils doivent désormais faire preuve d’audace et de créativité.

D’où à Royan, un style tout à fait unique, fortement inspiré de l’architecture tropicale du brésilien Oscar Niemeyer, avec des bâtiments qui parfois témoignent de prouesses architecturales étonnantes. Une architecture joyeuse, parfois lyrique, empreinte d’optimisme et de liberté qui côtoie, en dehors du centre-ville, de grosses villas ‘’début de siècle’’ et le néo-régionalisme saintongeais d’après-guerre.

Royan Le Havre, deux villes deux destins : là où les façades préfabriquées en béton lavé du Havre ont plutôt fort bien résisté aux épreuves du temps, la grande diversité architecturale de Royan s’est progressivement estompée au fil des ans, au point que l’on peut s’en inquiéter.

Royan, la ville ‘’la plus 50 de France’’ 

Pour l’historien d’art Jacques Lucan, Royan est sans conteste la ville ‘’la plus 50 de France’’. Pourtant son destin ressemble par de nombreux aspects à celui d’un chef d’œuvre en péril, pour reprendre le titre d’une célèbre émission de l’ORTF consacrée au sauvetage du patrimoine. Et cela ne tient pas uniquement aux caractéristiques spécifiques de son architecture.

Le Portique, carte postale Tito
Le Casino, carte postale Elcé

Les élus à Royan ont participé dans les années 80 à la destruction de plusieurs édifices emblématiques des années 50 comme le Casino et le Portique ou au saccage de la Poste. Ils ont laissé les promoteurs défigurer les Nouvelles Galeries, le Stade et la piscine Foncillon. Des dommages définitifs que les magnifiques restaurations de l’église Notre-Dame, de l’ancien marché de Pontaillac transformé en musée et du Palais des Congrès entreprises récemment ne peuvent entièrement compenser. 

Le projet de rénovation de la résidence du Front-de-mer de la Mairie laisse toutefois espérer que le batadoir retrouvera prochainement son aspect d’origine.

L‘église Notre-Dame
Le Palais des Congrès

La municipalité organise très régulièrement des visites et des conférences sur l’architecture moderne ; des conférences suivies chaque fois par plus d’une centaine de personnes. Mais elle semble malheureusement avoir quelques difficultés à faire respecter les règles d’urbanisme dans le périmètre protégé du Site Patrimonial Remarquable. 

Royan, un patrimoine unique, mais fragile 

De l’importance des ‘’ éléments accessoires’’

Pour le meilleur et pour le pire, l’architecture balnéaire tropicalisée du Royan des années 50 se caractérise par l’importance de son second œuvre. Qu’il s’agisse de garde-corps et de barrières en métal, d’escaliers extérieurs le plus souvent hélicoïdaux, de portes d’entrée en bois ou en métal, de claustras et d’oculi, de brise-soleil, ou d’assemblage de pavés de verre… 

Ils ont été réalisés par des artisans talentueux, la plupart du temps avec des matériaux simples et peu coûteux, seuls disponibles à l’époque. Ces ‘’éléments accessoires’’ pourrait-on dire, jouent un rôle important pour animer une façade, voire même la transformer radicalement.

C’est d’ailleurs l’un des attraits les plus excitants des promenades dans Royan. Se laisser surprendre à découvrir de ces ‘’éléments accessoires’’ qui vous auront jusqu’à présent échappés. 

Malheureusement, ces ‘’éléments accessoires’’ d’origine sont trop souvent abîmés, voire détruits et remplacés par des fournitures industrielles. Combien de portes au dessin remarquable n’a-t-on pas vu être remplacées par des portes quelconques en pvc ? Combien de façades n’at-ton pas vu être dénaturées par la fermeture de loggias pour gagner un peu de surface habitable, ou remplacer des portes de garages en bois par des menuiseries métalliques pour installer un commerce ?  

Brise-soleil en plus ou moins bon état
…. Après les travaux

De l’importance des ‘’ éléments accessoires’’

Hormis quelques rares exceptions, les permis de construire de la Reconstruction et des années 50 de Royan mentionnent que les façades des bâtiments sont de couleur blanche ou en ton pierre. Mais au fil des ans, on a vu apparaître la couleur. Des aplats de couleur qui viennent faciliter la lecture des volumes, comme par exemple sur le fond d’une loggia ou la casquette d’un toit, des brise-soleil ou des volets, mais tout cela avec parcimonie. 

Lorsque dans les années 80 Royan a voulu oublier l’architecture de la Reconstruction et des années 50, les habitants ont tout repeint en blanc. Heureusement, depuis plusieurs années on redécouvre la couleur. Le Marché central, la Villa Boomerang et l’immeuble de la Périnière sont parmi les plus parfaits exemples :

 

Mais que dire lorsque l’on voit certains propriétaires peinturlurer leur maison :

Par ignorance ou délibérément, un trop grand nombre de propriétaires violent ainsi les règles d’urbanisme, encouragés souvent par des professionnels du bâtiment peu scrupuleux qui leur soufflent à l’oreille : ‘’surtout, n’allez pas voir le Service de l’Urbanisme’’.

Il faut reconnaître que le périmètre du Site Patrimonial Remarquable est vaste, que le nombre d’immeubles ayant une valeur patrimoniale est important et que dans la très grande majorité des cas, les propriétaires n’ont pas besoin d’avoir recours à un architecte pour réaliser lors aménagements.

Néanmoins, et face à cette situation, que nous soyons amateurs d’architecture, élus, propriétaires, artisans, nous devons donc tous continuer à agir sans relâche pour expliquer, entretenir et préserver ce patrimoine architectural absolument unique. 

 

Royan au patrimoine mondial de l’UNESCO ?  

Le Havre a eu la chance d’avoir un maire comme Antoine Ruffenacht, capable de mobiliser les énergies et les talents pour obtenir en 2005 son inscription au Patrimoine Mondial de l’Unesco tout en projetant sa cité résolument dans le XXIème siècle. 

Royan n’a certes ni la taille ni les moyens d’une ville comme Le Havre. Mais Royan mériterait d’obtenir pareille reconnaissance de la part de l’UNESCO. Son patrimoine architectural de la Reconstruction et des années 50 est particulièrement riche. Elle est de plus la seule ville européenne reconstruite après-guerre dans un style qui lui est propre et qui a été très fortement inspiré par des architectes brésiliens. Cet argument devrait toucher les membres du jury de l’UNESCO, et même si ces architectes brésiliens avaient précédemment beaucoup appris du Bauhaus et de Le Corbusier.

JL V