Architecture hospitalière

La salle ovoïde du bloc opératoire de l’hôpital mémorial de St-Lô

L’Architecture hospitalière avant 1960

Parmi tous les hôpitaux reconstruits après la Seconde Guerre mondiale, l’hôpital de Saint-Lô marque une étape très importante dans l’histoire de l’architecture hospitalière en France.

Une histoire qu’il est vraiment intéressant de retracer pour mesurer le chemin accompli depuis les Hôtels-Dieu du Moyen-Age. L’architecture de ces hôpitaux évoluent avec les progrès de la médecine et l’évolution des mentalités. Mais cette architecture se transforme avec les progrès de la construction et la créativité des architectes.

L’architecture hospitalière jusqu’au XIXème siècle 

Les termes d’hôpital et d’hospice viennent du latin ” hospitium “, qui signifie ‘’ hospitalité “. Les premiers hôpitaux, ou plutôt hospices, sont apparus dès le 4e siècle, dans les grandes villes byzantines.

Dans nos contrées, ce sont les monastères qui vont dès le haut Moyen-Âge accueillir les pauvres, les pèlerins et les mourants. Au XIIème siècle, on voit progressivement apparaître dans les grandes villes les premiers hôpitaux, financés par des dons mais administrés par des congrégations religieuses, d’où leur nom : ” hôtels-Dieu”. On y accueille les pèlerins, mais aussi les malades, les vieillards, les invalides et les nécessiteux. La chapelle y occupe logiquement une place centrale. 

Vers 1260, Saint-Louis fonde la ” Maison des pauvres aveugles de Paris ” qui avait pour vocation l’hébergement de quinze fois vingt patients, ancêtre de l’hôpital des ” quinze-vingts ”.

En 1785, devant l’état sanitaire effroyable des villes et l’inefficacité des soignants, le roi Louis XV charge l’Académie des sciences de rédiger un rapport sur la reconstruction de l’Hôtel-Dieu de Paris.

Le chirurgien Jacques-René Tenon, son auteur, y développe un certain nombre d’idées modernes : la séparation des blessés et des malades selon leurs affections, l’importance de la ventilation et de l’évacuation des matières souillées…

Il recommande également d’héberger les malades dans des pavillons de deux étages séparés par des jardins. Jacques-René Tenon est ainsi à l’origine de l’architecture hospitalière pavillonnaire qui va se développer au XIXème siècle. 

Le plan d’un hôpital selon Jacques-René Tenon, 1788

A partir du milieu du XIXème siècle, sous l’impulsion des hygiénistes, avec les progrès de la médecine et face à l’augmentation de la population urbaine, on voit se construire les premiers établissements hospitaliers. En France, la loi du 7 août 1851 leur reconnaît une personnalité juridique. Les mentalités évoluent : l’assistance aux plus démunis et l’aide médicale ne relèvent plus seulement de la charité mais devient une responsabilités des pouvoirs publics. Ceux-ci vont adopter pour ces nouveaux établissements l’architecture dite ‘’pavillonnaire’’ qu’avait imaginé Jacques Tenon. Les malades sont cantonnés dans des pavillons distincts en fonction de leur pathologie, ces pavillons devant être suffisamment écartés les uns des autres selon les théories aéristes de façon à éviter que l’air ne propagent les maladies. 

L’hôpital Lariboisière

L’entrée de l’hôpital Lariboisière de l’architecte Martin-Pierre Gauthier

L’hôpital Lariboisière à Paris est l’archétype l’architecture dite ‘’pavillonnaire’’. Construit sous le Second Empire, il est le premier établissement de L’Assistance Publique qui vient d’être créé. Erigé au nord de la capitale, il apparait replié sur lui-même derrière des murs d’enceinte et son entrée unique, tournant le dos à la ville surpeuplée et malsaine.

Cet hôpital quadrilatère est composé de quatre ailes primaires (numéros 4, 5, 7 et 10 sur le plan) qui sont croisées sur leurs extrémités, générant dès lors une imposante cour centrale de forme rectangulaire. Six pavillons secondaires ‘numéros 6 sur le plan), disposés en double peigne, se raccordent horizontalement aux deux ailes latérales. Ainsi disposées, ces six unités de soins, permettent une meilleure dispersion des patients.” En ce milieu du XIXème siècle, la chapelle occupe toujours une place centrale dans la composition. Doit-on s’en étonner, elle est située également entre les deux bâtiments qui abritent les salles d’opération.

Durant la seconde moitié du XIXème siècle

Durant la seconde moitié du XIXème siècle, la mise en évidence du rôle des microbes comme responsables des infections et des contaminations tout comme la naissance de la radiologie avec l’utilisation des rayons X, vont faire évoluer cette architecture pavillonnaire sans toutefois la remettre véritablement en cause. 

Pendant longtemps, les médecins comme les architectes vont buter face à deux priorités difficilement conciliables : doit-on continuer à séparer les malades pour éviter la diffusion des germes pathogènes, ou faut-il les regrouper pour leur permettre de bénéficier des nouveaux moyens de diagnostic et de traitement ?

Les progrès en matière d’anesthésie et l’usage d’antiseptiques ainsi que le lavage systématique des mains vont d’abord profondément transformer la chirurgie avec l’apparition des blocs opératoires. 

Parallèlement, on verra apparaître aux Etats-Unis à la fin du XIXème siècle les premiers ‘’hôpitaux-compacts’’.  La maîtrise des ossatures métalliques ignifugées par du béton d’une part, le développement des ascenseurs et des monte-charge, d’autre part, permettent désormais de construire des immeubles plus hauts et plus massifs. 

Le tournant des années 30 

Avec les progrès continus de la médecine, on voit se développer de véritables plateaux techniques, le corps médical se spécialise, les infirmières formées à l’hôpital remplacent les religieuses. 

Un nouveau type d’hôpital va connaître un grand succès aux Etats-Unis : l’hôpital-bloc. Les établissements qui vont être construits à cette époque outre-Atlantique vont devenir de plus en plus hauts : 9 étages à New-York en 1922, déjà 19 pour le Saint Luke’s Hospital de Chicago en 1925. Des édifices de grande hauteur qui adopteront des formes très variées (en V, en X ou en Y) pour offrir le maximum de surfaces vitrées aux patients et intégrer ainsi les préceptes des hygiénistes. 

Le Los Angeles County General Hospital    

Los Angeles County General Hospital en 1937 – Los Angeles Public Library

Inaugurée en 1933, le Los Angeles County General Hospital est reconnaissable à sa structure massive au sommet d’une colline, avec ses 19 étages (120 mètres de hauteur) et à son esthétique Art Déco. Il a été conçu pour héberger en même temps un millier de malades et accueillir en consultations externes un millier de patients chaque jour. Le bâtiment principal comprend au rez-de-chaussée l’administration, au deuxième étage les consultations externes, puis jusqu’au dixième étage les différents services de l’hôpital général, du onzième au seizième étages l’hôpital privé, et au-dessus les habitations du personnel. 

L’hôpital accueille également la faculté de médecine ainsi qu’une école d’infirmières. A noter que presque tous les étages disposent de solariums.

La Cité hospitalière de Lille

La Cité hospitalière de Lille avec ses deux tours d’unités de soins en étoile

« En concevant les nouveaux espaces, les architectes désirent rassembler les trois facettes des soins médicaux. Les tours forment les noyaux des traitements, reliant les quatre unités de soins à chaque étage. L’aile nord arrière comporte l’enseignement de l’université́ médicale et les logements des étudiants. L’aile sud avant contient les salles de consultations et le bloc opératoire de l’hôpital. Le site abrite également une chapelle, qui se situe à l’étage supérieur de la tour est ». 

« Par sa construction en hauteur, réalisée en béton armé, l’édifice suit une typologie d’hôpital-bloc. Cependant, son fonctionnement interne et l’emplacement des unités de soins suivent toujours l’ancienne typologie pavillonnaire ». 

Le chantier ayant été interrompu durant la Seconde Guerre mondiale, l’établissement n’est achevé qu’en 1953. Entre-temps, Paul Nelson a construit l’hôpital mémorial de Saint-Lô qui fait désormais figure de référence au niveau international. La configuration des chambres des malades en est une parfaite illustration : l’hôpital mémorial est le premier conçu avec des chambres de 1, 2 ou 4 lits. La cité hospitalière de Lille comporte encore des dortoirs de 24 lits.

L’hôpital Beaujon à Clichy

Hôpital Beaujon, avec les balcons en demi-lune de la façade Sud – L’Architecture d’Aujourd’hui; 1936

A l’origine de ce projet, la volonté de l’Assistance Publique de construire un grand hôpital, localisé hors de Paris, et un bâtiment qui soit une référence pour les hygiénistes. C’est finalement Jean Walter, l’architecte de la Cité Hospitalière de Lille, qui est retenu pour cet hôpital qui  sera construit à Clichy. Il sera assisté par Urbain Cassan et Louis Madeline.

L’hôpital Beaujon sera le premier hôpital de grande hauteur en France, mais un bâtiment toujours empreint par les théories hygiénistes : les dortoirs bénéficiaient  de 3,80 mètres de hauteur sous plafond de 3,80 m afin de faire circuler l’air au maximum. Les patients avaient facilement accès à des solariums des balcons en demi-lune. Une attention toute particulière fut apportée à la tranquillité des malades hospitalisés en limitant les nuisances sonores. Chaque tête de lit était équipée d’une T.S.F. avec un bouton d’appel et un casque. 

L’architecture hospitalière après 1945 

Les plans-types du Service de Santé des Etats-Unis

La revue L’Architecture d’Aujourd’hui, a publié en 1948 dans son numéro 17, une série documents d’information du Service de Santé des Etats-Unis concernant l’organisation des différents services d’un hôpital général (plans-types, schémas de circulation, nomenclatures en fonction du nombre de lits).      

Il est évident que ces documents ont pu être largement étudiés et exploités par les responsables publics, les architectes et les entreprises du secteur, et qu’ils ont influencé l’architecture hospitalière des années 50. 

Nous reproduisons ci-après quelques-uns de ces documents à titre illustratif. 

Organisation du service Hospitalisation

« Il est difficile d’énoncer une règle générale concernant la répartition des malades dans les divers services de l’hôpital général car la répartition, déjà variable d’après chaque cas particulier, pourra être modifiée par l’existence dans la communauté donnée, d’un service spécialisé tel qu’une maternité ou un hôpital pour enfants ou encore par la présence à ‘hôpital de spécialistes réputés.

Des études ont démontré que la distribution normale des malades dans les différents services d’un hôpital est la suivantes : 45/50% en Chirurgie, 20/23% en Médecine, 12/25% en Obstétrique, 4/6% en pédiatrie, 9/15% dans les autres services ».

Surfaces-types selon la taille des hôpitaux

Organisation du service des Urgences

« Les locaux réservés aux cas urgents forment un service qui n’a aucun rapport avec l’importance de l’hôpital. Le facteur déterminant est simplement la quantité des cas urgents que l’hôpital est appelé à traiter. Le plus petit est considéré comme le service minimum et ne contient pas de lit du tout. Le plan, montre quelque chose qui convient beaucoup mieux au travail régulier d’un service des cas urgents ; il se pourrait que l’hôpital nécessite encore d’autres aménagements.  

Les lits d’observation dans ce service de cas urgents, service plus importants, sont destinés à l’examen des malades qui ne pourraient être admis à l’hôpital : les ivrognes, en sont le type courant. Le bureau est destiné aux officiers de police. Double possibilité d’opération pour les cas multiples, tels les accidents d’automobile ».

Plans-types Service des urgences – Architecture d’Aujourd’hui, 1948
Plans-types Service des urgences – Architecture d’Aujourd’hui, 1948

L’hôpital mémorial de Saint-Lô

Voici comment Justine Diercxsens présente l’œuvre de l’architecte franco-américain Paul Nelson construit entre 1946 et 1954 : « S’inspirant des modèles d’hôpitaux américains, il crée une partition entre la surface technique, largement étalée au rez-de-chaussée (‘’le socle’’), et l’hospitalisation des patients, montée en hauteur sur neuf étages (‘’la tour’’). Cela permet une séparation complète entre l’activité médicale ambulatoire et le domaine d’hébergement des patients (hiérarchisée de façon rigoureuse) 

« L’édifice est construit à partir du malade lui donner l’espoir de la guérison. La combinaison d’architecture, de soins médicaux et d’ambiance bienfaisante font de cet édifice à la fois un établissement fonctionnel et une œuvre d’art. »

Façade Nord de l’hôpital mémorial – Architecture Française, 1959
Une chambre de malade, Techniques hospitalières, 1956

Pour expliciter son concept d’hôpital-bloc, Paul Nelson va le comparer à un arbre : le plateau technique et les consultations externes situés au rez-de-chaussée, d’une part, les services techniques (cuisines, buanderie, pharmacie, chaufferie…) basés au sous-sol, d’autre part, peuvent être assimilés à la souche et aux racines de l’arbre. 

Les colonnes d’ascenseurs et les escaliers passent dans le tronc. Les branches et les feuilles représentent quant à elles les différents étages d’hospitalisation.      

Pour en savoir plus sur l’hôpital mémorial de Saint-Lô, n’hésitez pas à lire notre article, particulièrement bien documenté.

L’apparition des C.H.U.

En créant les Centres Hospitaliers Universitaires, la réforme Debré de 1958 va marquer une nouvelle étape de l’architecture hospitalière en France. L’objectif de cette réforme est de faire en sorte que ”dans les villes sièges” d’une faculté de médecine et d’une faculté de pharmacie soit créé un centre universitaire hospitalier devant assurer tout à la fois les fonctions de soins, d’enseignement et de recherche.  

Cette réforme amena l’architecte Henry Bernard à concevoir un avant-projet de CHU de 1 200 lits et un millier d’étudiants. Ses études sur les différentes configurations possibles l’amenèrent à conclure que ” l’hôpital de demain, désormais universitaire se devait d’être vertical et épais, comme un paquebot”. L’avant-projet de CHU qu’il proposa en 1963 se composait ainsi d’un bâtiment unique, prenant la forme d’une barre de 17 niveaux accueillant en son centre toutes les circulations verticales. Cette barre prenait place sur un soubassement, un large plateau carré de 2 niveaux de superstructure.

C’est à Caen qu’Henry Bernard pourra réaliser son projet d’hôpital universitaire au début des années 70. Rappelons qu’il avait construit dans le cadre de la Reconstruction de cette ville deux édifice remarquables : l’église Saint-Julien et l’université.

Le CHU de Caen se compose d’une tour-donjon en H de 19 étages orientée nord-sud, posée sur un soubassement sur 4 niveaux. Un gigantesque hôpital-paquebot de 100.000 mètres carrés de 87 mètres de hauteur, reprenant la configuration de l’hôpital-socle de l’hôpital mémorial de Paul Nelson à Saint-Lô. Un édifice qui montra vite ses limites, notamment compte-tenu de son manque de flexibilité et des circulations verticales par trop limitées. Sa démolition pourrait être confirmée en 2025.

Conclusion provisoire

Tiraillé entre les exigences des progrès de la médecine et la nécessaire maîtrise de la dépense, l’hôpital est en tension permanente. Cette tension est d’autant forte que le vieillissement de la population devient de plus en plus sensible. Faut-il construire des édifices suffisamment spacieux pour s’adapter à ces évolutions souvent imprévisibles, ou doit-on opter plutôt pour des bâtiments ayant des durées de vie plus courtes ? Faut-il continuer à concentrer les moyens les plus sophistiqués dans quelques établissements ou au contraire les décentraliser pour être plus proches des patients et favoriser la médecin préventive ? Autant de questions qui interpellent aussi bien les maitres d’ouvrage que les architectes. .

JL V

SOURCES :

” Analyse de l’évolution de l’hôpital du XXe siècle en recherche d’une architecture hospitalière humaine et raisonnée“, Diercxsens, Justine, Faculté́ d’architecture, ingénierie architecturale, urbanisme, Université́ catholique de Louvain, 2022  http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:35479

‘’ Rise of the Modern Hospital, An Architectural History of Health and Healing, 1870-1940 ’’, Jeanne Kisacky, University of Pittsburgh Press, 2017 

 L’hôpital-paquebot d’Henry Bernard’’, Léo Noyer-Duplaix, In Situ, https://journals.openedition.org/insitu/13998

 ‘’Les « valeurs de santé de l’hôpital Beaujon à Clichy entre 1935 et 2023’’, Lila Bonneau, In Situ, https://journals.openedition.org/insitu/39528

‘’Les unités d’espace de l’hôpital général, plans-types par le Service de Santé des Etats-Unis’’, L’Architecture d’Aujourd’hui, numéro 17, 1948