France Habitat collectif

Vue aérienne de la Cité de la Benauge – Urbanisme, n°27-28, 1953

la Cité de la Benauge à Bordeaux (1947-1955)

Le quartier de la Bénauge, sur la rive droite de la Garonne, n’est pas seulement connu par les amateurs d’architecture moderne par sa caserne de pompier.

Véritable cité-jardin, la cité de la Benauge fut l’une des premières grandes opérations immobilières de l’après-guerre à Bordeaux. Une opération destinée à construire des logements, mais aussi de créer des équipements collectifs pour l’ensemble du quartier de la Bastide en plein développement à l’époque.

Très bien conservée malgré les années, la Cité de la Benauge aujourd’hui encore est très reconnaissable au milieu de vieux entrepôts et de très nombreuses échoppes bordelaises.

Mais depuis quelques années, on voit se construire plus en plus de ces grands immeubles modernes.  

Selon l’étude conduite en 1953 par Jean-Baptiste Philippon, l’Inspecteur départemental de l’Urbanisme et de l’Habitation, la situation de l’habitat est grave à Bordeaux. 90 % des immeubles ont près de cent ans, « leur ancienneté et leur mauvaise composition sont génératrices d’inconfort, d’insalubrité, de maladies et de délinquance juvénile dans les îlots insalubres ». D’après le recensement de 1946, la ville de Bordeaux compte une population de plus de 250.000 habitants. Et avec plus de 430.000 habitants, l’agglomération bordelaise est la quatrième derrière Paris, Marseille et Lyon. 

Comme l’explique Jean-Baptiste Philipon dans la revue Urbanisme en 1953 : « Pour résoudre en totalité la crise actuelle, 18.000 logements seraient (donc) nécessaires : la moitié pour satisfaire les ménages mal logés, un tiers pour supprimer les logements les plus insalubres, le surplus pour faire face au développement économique. »

Comparativement à d’autres régions, la crise du logement ne résulte pas particulièrement de la guerre. L’agglomération bordelaise a été peu touchée par les bombardements. A la fin 1952, la soixantaine de logements totalement détruits avait été reconstruits et les plus de 3.000 logements partiellement sinistrés avaient été réparés. 

La crise du logement préexistait avant-guerre. Dans les années qui ont suivi la Libération, la construction des nouveaux logements destinés à ces milliers de mal-logés se heurtait principalement à la rareté des terrains disponibles et l’attachement des Bordelais à l’habitat individuel et à leurs ‘’échoppes bordelaises’’.

Soucieuse de résoudre cette crise du logement, la municipalité va bien évidemment soutenir les initiatives des bailleurs sociaux, de la caisse des Allocations Familiales, du patronat et du mouvement des Castors (un mouvement d’auto-construction particulièrement dynamique né à Pessac).

Mais la Ville, dirigée depuis 1947 par Jacques Chaban-Delmas, va surtout entreprendre elle-même la construction de logements destinés à être par la suite gérés par des bailleurs sociaux. La cité de la Bénauge sera la première grande opération de ce type (le trapèze en hachuré noir, rive droite sur ce plan de 1953).

La rive droite de la Garonne naturellement très marécageuse puisque située dans un méandre du fleuve, était restée pratiquement isolée de la ville historique bâtie sur la rive gauche jusqu’à la construction de l’unique pont de Bordeaux, le Pont de Pierre, en 1821 (en jaune). La création des lignes de chemin de fer et de deux gares desservant cette zone appelée La Bastide, est venue lui donner une activité à vocation principalement industrielle. Une activité qui s’est rapidement développée avec l’aménagement des quais de la rive droite à la fin du XIXème siècle. 

Le quartier de la Bastide (en gris sur la carte) est depuis cette période en voie d’urbanisation, tout comme les communes voisines de Cenon, Floirac et Lormont. 

Plan de Bordeaux : en gris, les zones résidentielles ; en rouge, les activités industrielles et portuaires. La cité de la Benauge est le trapèze hachuré noir sur la rive droite de la Garonne – Urbanisme 1953

La première ”Cité Pinçon”

Dans les années 30, un dénommé Monsieur Pinçon,  ci-devant entrepreneur de maçonnerie à La Bastide et propriétaire d’un pré d’une quinzaine d’hectares où l’on chassait le gibier d’eau, envisagea d’y construire un lotissement. Il faudra néanmoins attendre la Libération pour que le projet se concrétise. 

En 1946, Paul Vollette, l’architecte-en-chef de la ville de Bordeaux, relança le projet avec le concours de l’urbaniste Jean Royer assisté de Claude Leloup (cf. plan d’ensemble ci-après). Les travaux débutèrent en janvier 1949. Dix immeubles de cinq étages disposés en ‘’peigne’’ allongés d’est en ouest furent ainsi construits sur le ‘’pré-Pinçon’’, telle une véritable cité-jardin comprenant 192 appartements.

Ceux qui ont connu cette époque parlent toujours de la Cité Pinçon. Ce n’est que plus tard qu’elle fut baptisée ‘’Cité de la Benauge’’,   

Pignon Ouest d’un immeuble-peigne de Paul Volette – Urbanisme, 1953

Posées sur un soubassement en moellons et couverts de toits de tuiles à quatre pentes, les façades de ces immeubles sont en pierre de taille à l’image de l’habitat traditionnel bordelais. Les pignons ouest des immeubles orientés d’est en ouest intègrent de généreuses loggias semi-circulaires donnant sur un grand parc magnifiquement arboré. L’esthétique classique des immeubles est de plus soulignée par une corniche débordante  sous le dernier étage en attique.

Plan d’un étage courant – Urbanisme, 1953. On distingue à gauche la loggias semi-circulaire
Pignon Ouest d’un immeuble-peigne de Paul Volette aujourd’hui – ilv
Les immeubles-peigne de Paul Volette pris sous un autre angle – Urbanisme, 1953

Le M.R.U. impose l’architecte Jacques Carlu

Plan d’ensemble de l’urbaniste Jean Royer assisté de Claude Leloup – Urbanisme, 1953

Jean Carlu va s’intégrer parfaitement dans le plan d’urbanisme conçu par Jean Royer. Un plan d’ensemble qui fait la part belle aux espaces verts qui occupent l’essentiel du centre de l’îlot principal. Les rues sont repoussées sur les côtés.

On peut distinguer sur ce plan d’ensemble, publié en 1953, de la Cité de la Benauge” : au milieu les immeubles disposés en peigne de l’architecte Paul Volette (P.V.), à gauche les deux grandes barres de l’architecte Jean Carlu (JC), tout en haut le groupe scolaire et la crèche. Tout en bas le foyer sportif qui fait aussi fonction de salle de fêtes.

L’implantation des immeubles a quant à elle été savamment étudiée de façon à éviter que les ombres portées par les différents bâtiments n’obscurcissent pas les bâtiments voisins. Ce plan de l’époque met ainsi en évidence les ombres portées des immeubles aux équinoxes à 6 heures, midi et 16 heures 

Face à la crise du logement qui perdure, le projet de Paul Volette est jugé insuffisamment dense eu égard au potentiel du vaste terrain disponible. Le M.R.U. impose donc en 1950 l’architecte Jean Carlu, Premier Grand Prix de Rome, qui aura pour mission de construire pour cette seconde tranche, plus de logements et à moindre coûts. 

Jean Carlu, assisté de Maurice Babin et Michel Joly, va finalement réaliser 416 appartements répartis dans deux grands immeubles barre de 10 étages, dix-sept collectifs de trois et cinq étages, et trente maisons individuelles jumelées. Ces immeubles seront livrés en 1955.

La densité va ainsi doublé, les pierres de taille seront remplacées par une ossature en béton armé avec remplissage léger de pouzzolane, les toits à quatre pentes en tuiles laissant la place aux toits-terrasses, mais l’esprit de la cité-jardin sera préservé. 

Une troisième tranche de 454 logements sera construite entre 1958 et 1962.

Des immeubles d’aspects très différents

Compte tenu de la nature du terrain, les immeubles collectifs devront reposer sur des pieux profondément enfoncés dans le sol, et les caves seront installées en rez-de-chaussée. Les menuiseries extérieures métalliques ont été standardisées au maximum. Les blocs-évier et les blocs-douches seront tous préfabriqués.

Pour gagner du temps et économiser l’énergie, les immeubles de 10 étages seront desservis par des batteries de deux ascenseurs par escalier, l’un pour les étages pairs, l’autre pour les étages impairs.

Les deux immeubles de 10 étages de Jean Carlu – Architecture Française, 1957

Une élévation de façades d’un groupe d’immeubles bas de la tranche 2 pilotée par Jean Carlu – Urbanisme, 1953

Le même ensemble photographié quelques années après – Architecture Française, 1957

Une élévation de façades du bâtiment D, l’immeuble-pont – Urbanisme, 1953

Le bâtiment D, l’immeuble-pont de la Cité de la Benauge – Urbanisme, 1953

La Cité de la Benauge aujourd’hui

Un des deux immeubles de 10 étages – jlv

Un des immeubles peigne au milieu des arbres – jlv

Un immeuble de 5 étages – jlv

au premier plan, deux immeubles de Paul Volette, à l’arrière plan, un immeuble de 10 étages de Jean Carlu

Conclusion provisoire

L’opération de la cité de la Benauge, initialement dénommé ”cité Pinçon”, n’avait pas seulement pour objectif de construire des logements. Elle comprenait également la réalisation d’un groupe scolaire et d’une crèche, ainsi que d’une salle des fêtes pouvant accueillir des événements sportifs. Le projet de piscine découverte prévu dans le projet initial ne sera toutefois pas réalisé. 

L’objectif de la mairie de Bordeaux visait en effet à compenser le sous-équipement de ce quartier de la rive droite afin de renforcer l’urbanisation en cours.

En cela, cette opération applique tout à fait les principes du CIAM à l’instar de la Zone Verte de Marcel Lods à Sotteville-lès-Rouen. 

Plaque apposée dans le hall de l’un des deux immeubles de 10 étages de Jean Carlu – jlv

  SOURCES : 

  • ‘’ L’habitat bordelais ‘’, Jean-Baptiste Philippon, Inspecteur Départemental de l’Urbanisme et de l’Habitation de la Gironde, Urbanisme, n°27-28, 1953
  • ‘’ La Cité de la Benauge dans le quartier de la Bastide ‘’, E. Godinot, Inspecteur Départemental de l’Urbanisme et de l’Habitation de la Gironde, Urbanisme, n°27-28, 1953
  • ‘’ Cité de la Benauge à Bordeaux, Gironde ‘’, Architecture Française, numéro 183-184, 1957
  • ‘’ Guide de l’architecture de Bordeaux & agglomération 1945-1995 ‘’, textes de Gilles Ragot, Éditions Arc en rêve centre d’architecture, Éditions Confluences, 1996