France

L’imprimerie Mame à Tours

A Tours, l’imprimerie Mame est un lieu incontournable pour tout amateur de l’architecture moderne.

Construite par l’architecte Bernard Zehrfuss avec l’aide de l’ingénieur Bernard Lafaille et décorée par le peintre Edgar Pillet, cette ‘’usine à livres’’ est surtout connue pour ses sheds en aluminium conçus par Jean Prouvé.

Quatre créateurs éminents pour un bâtiment exceptionnel et inspirant. 

Originaire d’Angers, la famille Mame a installé sa première imprimerie à Tours en 1796. L’entreprise connait un essor important et sa renommée va lui permettre de devenir imprimeur de la Papauté. Mais l’usine construite dans le cœur historique de la ville va être totalement détruite en juin 1940 lors de l’incendie déclenchée par l’attaque allemande. L’activité sera relancée dans des locaux provisoires proches de la gare. Malheureusement, les bombardements alliés de 1944 les détruisent complètement.  

Dans le cadre de la mise en œuvre du plan de reconstruction, le M.R.U., la Ville de Tours et l’entreprise Mame conviennent en 1949 de reconstruire l’usine à l’extérieur du centre-ville, en lieu et place de l’ancienne caserne Lasalle. Il s’agit d’un grand terrain rectangulaire de 3,5 hectares en bord de Loire.

Construire une ‘’machine à livres’’ innovante 

Alfred Mame va faire appel à un ami d’enfance, l’architecte Bernard Zehrfuss, Grand Prix de Rome en 1939. Celui-ci est associé avec son confrère Jean Drieu La Rochelle et secondé par l’architecte Jean Marconnet. Ils vont vite être rejoints par Jean Prouvé qui va leur concevoir ses fameux sheds en aluminium.

Comme l’explique    dans les Carnets d’Architecte consacrés à Bernard Zehrfuss, rapporte les propos de l’architecte : « ce garçon qui n’avait pas une éducation architecturale, qui était simplement un homme de goût (…) et une éditeur (…) essayait dans l’édition de faire des choses nouvelles. Il me répétait tout le temps ‘’on va faire une petite usine bijou, n’est-ce pas ? ». 

La maquette

Alfred Mame propose également à l’artiste peintre et plasticien Edgar Pillet de participer à l’aventure. Edgar Pillet est alors le président du Groupe Espace, crée en 1951 à l’initiative d’André Bloc. 

Alfred Mame demande à Bernard Zehrfuss de lui construire un édifice suffisamment modulable de sorte qu’il puisse s’adapter aux évolutions techniques et aux besoins de l’entreprise.

La nouvelle usine se compose donc de deux bâtiments reliés par une galerie. Le premier, surnommé la Tour, est destiné à abriter les services administratifs. C’est un parallélépipède presque carré comprenant, outre un rez-de-chaussée et un entresol, trois étages. Sur le toit-terrasse, quatre structures légères conçues par Jean Prouvé et réalisée dans les ateliers de Maxéville. Côté sud, face à l’entrée, un hall monumental de hauteur double permet d’accéder à un grand escalier qui dessert les étages de bureaux et l’ancien appartement du directeur situé au dernier niveau.

Les ateliers occupent le second bâtiment, d’une surface de 5 432 mètres carrés, doté d’une ossature poteau-poutre en béton brut avec un remplissage en parpaings. Il comprend deux niveaux : un sous-sol et un rez-de-chaussée. 

Des sheds Prouvé préfabriqués en aluminium

En 1952, la revue Architecture Française consacre un article à cette véritable innovation : « Les couvertures d’usines et de bâtiments industriels imposent un système de toiture spécial qui doit, notamment, réduire au minimum le nombre de poteaux de soutien, assurer une parfaite étanchéité et une bonne répartition de l’éclairement.

Le shed a été créé pour résoudre ce problème particulier. Dans ce domaine, les ateliers Jean Prouvé ont amené une intéressante solution nouvelle : le shed préfabriqué en aluminium, dont une importante application a été faite pour la réalisation des nouveaux ateliers de l’imprimerie Mame, à Tours.

Assemblage de deux éléments constituant le shed – Architecture Française, 1952

 Le shed Prouvé est constitué de deux profilés en acier formant longerons et reliés par des traverses également en acier. Cette carcasse est habillée sur ses faces intérieures et extérieures par une tôle d’aluminium. La portée peut varier de 5 à 7 mètres, la largeur peut atteindre 1 m. 25 entre axes. Les extrémités de travée peuvent être réalisées par des éléments spéciaux de pignon présentant un flanc embouti qui assure l’étanchéité latérale. 

Le montage, sur n’importe quelle ossature, s’effectue avec des engins de levage de faible puissance. Il faut une demie heure à deux hommes pour mettre en place un shed de 8 m2 de couverture (poids des éléments : 20 kg au m2 couvert).

Mise en place d’un shed – Architecture Française, 1952
Schéma des sheds Prouvé – Techniques & Architecture

L’assemblage des sheds est réalisé par des couvre-joints métalliques extérieurs et intérieurs, laissant chaque élément parfaitement indépendant et absorbant ainsi les effets de dilatation.

Le vitrage des petits rampants comprend un face extérieure fixe en verre armé et une face intérieure sur châssis ouvrant permettant le nettoyage ». 

Vue extérieure d’une série de sheds – Architecture Française, 1952
Vue prise de l’intérieur des ateliers – Architecture Française, 1952

Véronique de Montchalin y voit un succès technique « qui procure 80% de la lumière du jour à l’intérieur et qui s’accompagne d’un parti pris esthétique évident (profil harmonieux et élégant des sheds). Cette coque en deux parties est particulièrement astucieuse: une partie, rectiligne, vitrée, laisse entrer la lumière, la seconde, de forme parabolique, est constituée de deux tôles d’aluminium abritant de la laine de verre isolante et du papier aluminium qui isolent et réfléchissent la chaleur. Surtout, elle réfléchit la lumière provenant de la partie vitrée et inonde de lumière les ateliers. Jean Prouvé continuera de travailler à cette idée qui débouchera sur sa fameuse «maison coque» présentée en 1951 à l’Exposition des Arts ménagers ». 

Les pavillons Prouvé sur le bâtiment administratif

Jean Prouvé va également concevoir et réaliser quatre structures qui seront installées sur le toit-terrasse du bâtiment administratif : l’appartement d’Alfred Mame, son bureau et la salle du conseil d’administration. Ils sont constitués d’éléments de façade standardisés préfabriqués revêtus à l’extérieur par une tôle d’aluminium strié. Le passage couvert est équipé d’un  côte de larges baies vitrées, de l’autre de cinq panneaux en aluminium percés chacun de dix-huit hublots de couleurs vives.

Vue de la façade sud du troisième étage – archives privées du groupe Serge Laski
Intérieur de l’ancienne salle du conseil – archives privées du groupe Serge Laski

Les peintures murales d’Edgar Pillet

Convaincu que l’architecture et l’art sont intimement liés et qu’ils contribuent à la qualité de la vie au travail, Alfred Mame fait également appel au peintre Edgar Pillet qui est un des membres du Groupe Espace. Il se chargea de décorer les cloisons intermédiaires des ateliers avec des grands aplats abstraits de couleurs jaune, bleu, blanc, gris et noir. Il a aussi dessiné le piétement métalliques du mobilier de bureau. 

En octobre 1962, Edgar Pillet explique ainsi dans la revue Art d’Aujourd’hui, son intervention dans la nouvelle imprimerie Mame : « Des peintures murales géométriques pondéraient le volume des ateliers et d’abstraites compositions accordées au rythme des sheds animaient discrètement les grandes surfaces. Une harmonie douce de vert, de jaune et de bleu outremer colorait le long mur coupe-feu de 70 mètres de l’atelier de reliure. Selon la couleur des salles, deux tons s’appliquaient aux machines : clair pour les parties volumineuses et statiques, foncé pour les fines et mobiles. Le rouge indiquait le danger alors que la circulation des chariots se matérialisait par des bandes jaunes et noires. Un second marquage au sol identifiait chaque poste de travail pour favoriser la concentration ».

La nouvelle imprimerie Mame va ainsi remporté en 1954 le Grand Prix de l’Architecture industrielle de Milan. 

La nouvelle imprimerie Mame va ainsi remporté en 1954 le Grand Prix de l’Architecture industrielle de Milan. 

L’imprimerie Mame a fait l’objet récemment d’une réhabilitation que l’on peut qualifier d’exemplaire puisqu’elle a permis que ce bâtiment tout à fait unique et tout à fait innovant puisse être sauvé. 

L’édifice rénové héberge aujourd’hui à la fois l’École des Beaux-Arts et la Cité de la Création et de l’Innovation. 

J-L V

SOURCES : 

  • ’ Couvertures en sheds, Jean Prouvé constructeur ’’, Techniques & Architecture, n°3/4, 1951
  • ‘’ Imprimerie Mame à Tours, Sheds préfabriqués en aluminium ’’, Architecture Française, numéro 125, 1952
  • ‘’ Bernard Zehrfuss ’’, Christine Desmoulins, Les Carnets d’Architecte, Éditions du Patrimoine, 2008
  • ‘’ Imprimerie Mame ‘’, Véronique de Montchalin – Service éducatif Patrimoine DRAC Centre, 2006 
  • Le site de l’association Les Amis d’Edgar Pillet : https://www.edgardpillet.fr/association-edgard-pillet.html