Edifices religieux

2/7. Le Havre, Royan, Lourdes : Le triomphe du béton brut

La Reconstruction marque véritablement le triomphe du béton armé.

Il a permis aux architectes de l’époque d’exprimer toute leur inventivité et de traduire ainsi, par ces formes et ses surfaces, le mouvement de réforme qui a abouti à Vatican II.

Mais tout cela n’aurait pu advenir sans le véritable tournant architectural qui avait pris forme à l’est de Paris en 1923     

Auguste Perret fait sensation au Raincy en 1923

En 1923, Auguste Perret et ses frères ont totalement révolutionné l’architecture religieuse en réussissant à construire, grâce à l’emploi du béton armé, avec un budget limité et sur une parcelle rectangulaire très étroite une église d’une exceptionnelle qualité. L’église Notre-Dame de la Consolation du Raincy.  

La configuration du terrain, une parcelle rectangulaire assez allongée, perpendiculaire à la rue et enclavée sur trois côtés, présentait de fortes contraintes, mais ces contraintes ont permis à Auguste Perret de s’affranchir quelque peu du traditionnel plan en croix adopté depuis la nuit des temps par les églises catholiques romaines et de réaliser un écrin d’une exceptionnelle luminosité.

L’église du Raincy d’Auguste Perret marque un tournant à plus d’un titre dans l’architecture religieuse. Jusqu’alors, le béton était utilisé pour constituer l’ossature des édifices, mais restait caché.

Au Raincy, il apparaît en majesté. D’un point de vue technique, cette église témoigne que le béton permet également de réaliser des portées plus grandes et des voûtes plus larges sans qu’il soit nécessaire de prévoir des contreforts. Grâce au procédé du moulage, piliers et voûte peuvent former un tout. La structure apparente du bâti devient un élément décoratif à part entière. 

Longue de 55 mètres, large de 19,50 mètres, la couverture voûtée longitudinalement repose sur quatre rangs de fins poteaux canelés de 11 mètres de hauteur, légèrement galbés pour corriger des déformations visuelles.

Les vitraux sont enchâssés dans les claustras faits de blocs de béton ajourés en formes de croix, de triangle, de cercle ou de carré. 

Les moules qui ont servi à fabriquer les poteaux de la nef sont astucieusement réutilisés pour construire un clocher qui annonce, en bien plus modeste, la tour-lanterne de l’église Saint-Joseph du Havre.

L’église Notre-Dame de la Consolation a tout de suite eu un retentissement international. Plus que la disposition intérieure de l’édifice, ce sont les multiples possibilités offertes par l’utilisation du béton armé qui marquent les esprits. Des possibilités qui vont permettre aux architectes de la Reconstruction d’exprimer toute leur créativité, preuve en est l’extrême diversité des édifices religieux qui sortiront de terre après-guerre.

 

Auguste Perret encore lui, lors de la reconstruction du Havre 

Plus de vingt ans après avoir construit l’église Notre-Dame de la Consolation du Raincy, Auguste Perret construit au Havre, l’église Saint-Joseph, un autre de ses chefs-d’œuvre. 

Construite en lieu et place de l’église Saint-Joseph qui avait été détruite lors des bombardements, le nouvel édifice est destiné à être un mémorial en souvenir des 3 000 victimes des bombardements.  Auguste Perret conçoit ainsi l’église Saint-Joseph comme un phare monumental – un cierge diront certains – marquant l’entrée de la Porte Océane.

Reposant sur une nef carrée en forme de croix grecque surmontée d’une structure pyramidale, la tour-lanterne orthogonale, soutenue par quatre groupes de quatre piliers en béton armé, s’élève à 104 mètres. Œuvre du maître verrier Marguerite Huré, les 12 768 morceaux de verre enchâssés dans les parois de la tour-lanterne, diffractent la lumière en de multiples nuances qui varient au fil de la journée.

L’édifice est entièrement réalisé en béton brut (brut de décoffrage, béton bouchardé, ou béton lavé avec du gravier apparent). 50 000 tonnes de béton ont été nécessaires à sa construction. Auguste Perret et son équipe sont ainsi parvenus à créer un édifice très haut, d’apparence légère et délicate, mais capable de supporter les tempêtes. 

L’architecture de l’église Saint-Joseph est en elle-même une invitation au spirituel. Dès le seuil franchi, le regard s’élève naturellement vers le haut. L’aménagement intérieur est sobre, fonctionnel. La pente inclinée vers l’autel favorise la visibilité de tous. Les sièges se replient comme des strapontins. Le sol en liège compressé permet d’absorber le son des pas. Rien ne doit venir perturber le recueillement des fidèles et des visiteurs.

Guillaume Gillet et la cathédrale de béton de Royan

L’église Notre-Dame de Royan est sans nul doute le chef d’œuvre de sa vie. Il s’y fera d’ailleurs enterrer.  

Comme le souligne  Paul-Louis Rinuy  dans son ouvrage sur le Patrimoine Sacré du XXème et du  XXIème siècle : « A Royan, la problématique est du même ordre qu’au Havre. C’est tout une ville bombardée qu’il s’agit de reconstruire, mais la ville n’est pas un port ; elle doit se développer comme une cité balnéaire (..) Dans cette reconstruction, l’église joue un rôle essentiel, autant par son emplacement que par son élévation et la prouesse technique qu’elle représente (…).

Elle constitue le contrepoint vertical à l’horizontalité du Front de mer dessiné par Ferret. “Je veux que Royan ne soit pas une ville couchée, mais une ville debout, redressez-la par la silhouette de l’église” avait dit à Guillaume Gillet le maire de Royan de l’époque Max Brusset.

L’église finalement réalisée sur ses célèbres poteaux en V mis au point par l’ingénieur Bernard Laffaille, qui montent jusqu’à 36 mètres de hauteur, ce qui produit un effet d’autant plus impressionnant que l’édifice se trouve sur un terrain pentu. De la place située en contrebas, le clocher qui culmine à 60 mètres de haut symbolise la reconstruction de toute une ville, et de toute une génération ». Les vitraux d’Henri Martin-Granel ont été imaginés par Guillaume Gillet lui-même.

La basilique souterraine de Lourdes de Pierre Vago 

Autre témoin des formidables possibilités techniques du béton armé, la basilique souterraine Saint-Pie-X de Lourdes des architectes Pierre Vago, assisté d’André Le Donné et Pierre Pinsard ainsi de l’ingénieur Eugène Freyssinet.

Un espace de 201 mètres de long sur 81 de large et de 11 mètres de hauteur creusé sous l’esplanade des sanctuaires, à un niveau inférieur au gave de Pau

Comme le souligne  Paul-Louis Rinuy : « immense mais invisible, elle peut accueillir 25.000 fidèles à la fois (…) et se distingue, elle aussi, par sa forme en creux, son enfouissement, strictement opposés aux basiliques du XIXème siècle qui marquent leur site de leur présence architecturale imposante ». Avec son plan elliptique et ses arcs surbaissés en béton précontraints, ces vingt-neuf portiques inégaux posés sur des béquilles triangulaires évidées font de cet ouvrage une véritable prouesse aussi bien technique qu’architecturale.

JLV

1/7. Un millier d’églises à reconstruire

3/7. Le renouveau de l’Art Sacré

Sources :

  • ‘’Architecture religieuse au XXème siècle, quel patrimoine ?’’, ouvrage collectif sous la direction de Céline Frémaux, Presses Universitaires de Nantes & Institut National d’Histoire de l’Art, 2007
  • ‘’Patrimoine Sacré du XXème et du  XXIème siècle, Paul-Louis Rinuy, collection patrimoine en perspective, Éditions du patrimoine   
  • ’Vingt siècles d’architecture religieuse en France’’, Jean-Michel Leniaud, Éditions Patrimoine Références, 2007
  • ‘’L’’architecture moderne en France, tome 2, du chaos à la croissance, 1946-1966’’, Joseph Abram,  Éditions Picard, 1999
  • ’la construction d’églises dans la seconde moitié du XXème siècle : une affaire d’État ?’’ Céline Frémeaux
  • Les temples protestants « monuments historiques » en Poitou-Charentes, Brigitte Montagne, Yannick Comte et Catherine Tijou, https://doi.org/10.4000/insitu.4893
  • ‘’Auguste Perret’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine
  • ‘’ Georges-Henri Pingusson’’, collection Carnets d’architectes aux éditions du Patrimoine, 2011
  • ‘’Construire une église’’, Georges-Henri Pingusson, L’Art Sacré, novembre 1938