Pour beaucoup, Sarcelles reste l’archétype de la cité dortoir construite à moindre coût pour faire face à la crise du logement, le symbole des grands ensembles et de tous ses maux.
Mais il n’est pas inutile de regarder de près comment Sarcelles, œuvre de l’architecte Jacques-Henri Labourdette, est sortie de terre et s’est développée. Entre 1954 et 1976, la population du quartier de la Lochère va ainsi passer de quelques centaines à 45.000 habitants.
Sarcelles, c’est aussi une architecture de barres et de tour. Nous vous invitons à découvrir notre article sur la réhabilitation de la Tour Ravel qui témoigne notamment de la possibilité de rénover très efficacement ces façades légères préfabriquées aluminium-bois.
Bien qu’étant l’œuvre des architectes Jacques Henri-Labourdette et Roger Boileau, les grands ensembles de Sarcelles ne constituent pas à proprement parlé une ‘’ville nouvelle’’ car ils découlent pas d’un plan d’urbanisme qui leur aurait préexisté. Sarcelles s’est construite étape par étape, à un rythme particulièrement soutenu dans les premières années.
Au départ en 1954, un modeste projet de 440 logements (‘’Les Sablons’’) que devait réaliser la Société Centrale Immobilière de la Caisse des dépôts et consignations (SCIC) en prolongement de ses opérations sur les communes de Stains et de Peyrefitte. Puis vient très vite se greffer un programme de 1180 logements au Bois de Lochères.
La SCIC, qui s’était constitué d’importantes réserves foncières, va profiter du projet d’électrification par la SNCF de la voie ferrée Paris-Creil pour lancer la construction, à l’écart du bourg de Sarcelles, de plusieurs milliers de logements.
En 1957, le projet prend en effet une autre dimension avec l’objectif de construire 4.000 logements. L’année suivante, il s’agit de 8.000 logements et même 9.000 en 1959. Preuve de l’engagement des Pouvoirs publics face à la crise du logement.
Au final, ce sont plus de 12.000 logements qui seront réalisés entre 1954 et 1976, les deux-tiers en location, un tiers en copropriété. Au global, une surface de 190 hectares, à comparer par exemple avec les 130 hectares de la reconstruction du Havre par Auguste Perret.
Pour ce faire, les architectes Jacques Henri-Labourdette et Roger Boileau ont adopté une trame urbaine orthogonale, des barres de deux à cinq étages construites de manière traditionnelle alternant avec des tours de douze à quinze étages, tous ces bâtiments étant entourés d’espaces verts de dimensions diverses.
Tous les logements étaient clairs et lumineux, disposant du confort moderne : cuisine, salle de bains, toilettes séparées, plancher chauffant, balcons, grandes fenêtres, électricité encastrée, etc. Joseph Abram cite Henry Canaos, ancien maire de Sarcelles, lorsqu’il raconte la découverte des appartements par les habitants de la cité : « Enfin les bâtiments sont là… La clé toute neuve tourne dans la serrure toute neuve. La porte toute neuve pivote sur ses gonds neufs. Comme dans un rêve. Bossot et sa femme déambulent dans les pièces immenses. Quelle différence ! La chambre à elle seule fait au moins deux fois la superficie de l’autre. Et en plus, il y a l’entrée, la salle de séjour, la salle d’eau. Et le chauffage central… ET l’eau sur l’évier… Josette regarde, bouche bée, Raymond est au paradis… C’était en 1957. Il faisait un temps splendide à Sarcelles, on respirait, on avait de la place ».
Mais comme trop souvent, les équipements collectifs n’ont pas suivi. Alors que les premiers habitants emménagent en 1956, ils devront attendre 1957 pour voir s’ouvrir le premier groupe scolaire, 1958 pour le bureau de poste et les premiers commerces, 1959 pour la halte SNCF Garges-Sarcelles et la gendarmerie alors que la population dans le grand ensemble atteint les 14.000 habitants.
Et Joseph Abram d’ajouter : « Les transports en commun étaient rares, surchargés, les commerces inexistants… il fallait faire ses courses à Paris ou faire la queue le soir, chez de rares commerçants des abords de la gare de Pierrefitte. Et il n’y avait pas plus de crèche, d’école ou de stade, que de boutique ou d’autobus ».
Les médias vont se faire l’écho de ces difficultés. La célèbre émission de télévision ‘’Cinq colonnes à la Une’’ va consacrer à Sarcelles un reportage diffusé le 2 décembre 1960, ‘’Les 40.000 voisins’’. Au micro, Pierre Tchernia : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf89007746/quarante-mille-voisins
En 1962, Sarcelles devient l’emblème du mal-être des grands ensembles, désigné sous le nom de ‘’sarcellite’’, un néologisme qui serait du à un habitant du grand ensemble s’exprimant sur les ondes d’Europe 1. En réaction, la SCI et les élus locaux ont fait flèches de tout bois. Les activités sociaux-culturelles sont grandement favorisées. Au centre des grands ensembles et au croisement des grands axes, un centre-ville s’est peu à peu construit avec notamment le Centre commercial des Flanades inauguré en 1967.
De nombreux équipements collectifs seront construits et les transports en communs améliorés au fil des ans. Mais le développement de l’accession à la propriété dans les années 70 entraîne le départ d’une partie des classes moyennes plus attirés par l’habitat pavillonnaire, et va faire croître le poids, dans ces quartiers, des populations les plus pauvres.
« De la conception du premier programme, en 1954, jusqu’à l’achèvement des derniers logements, en 1976, vingt-deux années se sont écoulées. Elles couvrent toute la période de construction des grands ensembles français, du lancement à grande échelle de ce modèle vers 1954-55 (le Plan Courant) jusqu’à son rejet définitif par la circulaire Guichard de 1973, et celles intègrent même le démarrage des politiques de rénovation urbaine ».
Nous reproduisons ci-dessous, avec l’aimable autorisation de la Communauté d’agglomération du Val de France et de Madame Catherine Roth, la chronologie de la construction des différents quartiers extraite de ‘’Textes et images du grand ensemble de Sarcelles, 1954-1976’’.
Les Sablons et Saint-Paul (1955-1969). Bâtiments de grande longueur et de cinq niveaux, avec de larges perspectives. Faible densité initiale, accrue par un rajout de petits bâtiments. Pas d’accès de voitures à l’intérieur des îlots. Techniques de construction traditionnelles, utilisation de pierre pré-taillés. 930 logements locatifs, groupe scolaire, centre commercial, centre social.
Les Lochères (1956-1961). Réduction des cours intérieures. Création d’un mail nord-sud et prévision d’un mail est-ouest. Création d’un parc, bordé par la barre la plus longue de Sarcelles (273 mètres). Amorce de préfabrication. 1360 logements locatifs, deux groupes scolaires, gymnase, centre commercial, mairie annexe, bureau de poste, centre social, cinéma, club de jeunes, centre PMI, hall d’exposition.
Les Paillards, Hirondelle (1957-1976). Augmentation de la densité, réduction de la longueur des barres, réduction des cours intérieures. Apparition de loggias et de murs-rideaux. Développement de la préfabrication. Première barre de 11 niveaux. 1527 logements locatifs et en copropriété. Groupe scolaire, gymnase, trois centres commerciaux, centre paroissial, centre médical.
Les Friches (1957-1969). Organisation de petites places. Recherche de perspectives fermées. Premiers parkings pénétrant légèrement à l’intérieur de l’îlot. Apparition des ateliers de préfabrication sur le chantier.Première tour de 16 niveaux. 1516 logements locatifs. Deux groupes scolaires, gymnase, centre commercial, chaufferie centrale, foyer de jeunes travailleurs, centre médical.
Les Plâtrières (1959-1965). Organisation de trois places réservées aux piétons. Première opération envisagées avec trois hauteurs de bâtiments d’habitation dès le départ : 5, 11 et 16 niveaux. Décision de rajouter aussi des tours dans les quartiers précédents. 1146 logements locatifs et en copropriété. Groupe scolaire, gymnase, centre commercial, centre médical, centre paroissial, temple protestant.
(1959-1965). 278 logements locatifs
Les Clos (1961-1972). Rupture importante avec les tranches précédentes : retour de la rue, création de places fermées, pénétration des parkings dans les îlots, diversification des volumes délimités par les bâtiments, implantation de bâtiments sur plots s’adaptant au terrain, création de commerces en rez-de-chaussée d’immeuble d’habitation. Utilisation de roche dormance et de plâtre de verre pour les façades, multiplication des balcons. Jeu de dominantes verticales ou horizontales sur les façades des tours. Recherche de qualité pour réduire les problèmes de fissures et d’isolation. 2069 logements locatifs et en copropriété. Groupe scolaire, gymnase, collège, centre médical, centre paroissial, résidence pour personnes âgées, centre commercial.
Taillefer (1962-1967). 916 logements locatifs et en copropriété. Deux groupes scolaires, gymnase, maison de quartier, deux centres commerciaux, bibliothèque, centre de sécurité sociale, centre médical.
Les Lignottes (1962-1967). Rue et adaptation du terrain encore plus marquée. Densité encore accrue. Décrochement des bâtiments par cage d’escalier. Premiers parkings en sous-sol. Premiers bâtiments cossus (vastes loggias, utilisation du marbre de Carrare, équipements intérieurs soignés…). 872 logements locatifs et en copropriété. Groupe scolaire, centre commercial, centre médical.
Chantereine (1967-1970). Création de places dallées et étagées sur plusieurs niveaux comprenant bassins et grandes jardinières. Multiplication des parkings en sous-sols. Diversification par assemblage de bâtiments de type et de hauteurs différents. 797 logements en copropriété. Groupe scolaire, centre commercial, foyer de jeunes travailleurs, synagogue, centre médical.
Les Flanades (1967-1973). Organisation autour du centre commercial régional des Flanades, au point de convergences des artères de la ville. 581 logements en copropriété. Centre commercial régional. Bureaux.
JL V
Crédits photos : nos recherches ne nous ont pas permis de retrouver tous les photographes, mais nous nous tenons à la disposition des ayants-droits qui se manifesteraient.
SOURCES :